Les patrons chinois sur les traces de Jean-Jacques Rousseau

De quoi sont vraiment venus parler les entrepreneurs privés chinois lors de leur récente visite en France ? De l'esprit du contrat et de Jean-Jacques Rousseau, en qui les Chinois voient une source d'inspiration pour les années qui viennent.
François Hollande et la délégation du China Entrepreneur Club. Copyright Reuters.

La visite d'une délégation de dirigeants d'entreprises et d'économistes chinois en France, entre le 25 et le 30 juin, a constitué un véritable événement médiatique, dont le sommet fut la réception d'une partie de la délégation à l'Elysée, par François Hollande le 25 juin, suivie d'un déjeuner. L'engouement suscité par cette visite mérite que l'on explore un peu les coulisses afin d'en comprendre tous les enjeux, qu'il s'agisse de la personnalité des visiteurs, de leur programme à Paris et des sujets qui ont été abordés.

Les visiteurs. Il s'agissait d'une délégation du China Entrepreneur Club (CEC) que les lecteurs de ce blog connaissent puisque c'est aussi ce club qui organise le forum de Yabuli dont j'étais l'un des intervenants et auquel j'ai consacré un long article dans ce blog (2/03/13). Il faut savoir que le CEC fonctionne comme une sorte de club privé, dont les membres sont cooptés (la liste d'attente est fournie), et qui rassemble des entrepreneurs privés (44) et un certain nombre de conseillers économiques de haut niveau (7).

Ce qui n'empêche pas d'ailleurs quelques uns de ces dirigeants d'être membres du Parti Communiste et de siéger à l'Assemblée nationale populaire qui compte 2.987 délégués qui se réunissent chaque année au mois de mars au Palais du Peuple, sur la place Tienanmen à Pékin. Les dirigeants membres du CEC représentent une grande variété d'entreprises, par la taille et les secteurs d'activités. On y trouve des personnalités emblématiques du secteur privé chinois comme son chairman, Liu Chuan Zhi, président de Legend Holdings et de Lenovo ; Jack Ma Yun, fondateur d'Alibaba, qui vient de prendre un peu de distance par rapport à cette entreprise pour se consacrer à son nouveau projet logistique (voir l'article du 2 mars 2013, "la dernière invention de Jack Ma")) ; Wang Jun Hao, Vice-président du grouper JuneYao (voir son profil dans l'article du 2 mars); Wang Jian Lin, troisième fortune de Chine, président de Wanda Group (qui a racheté en mai 2012 pour 2,6 milliards de dollars la société américaine AMC, deuxième réseau de cinémas d'Amérique du Nord et qui vient de prendre le contrôle du constructeur britannique de yachts Sunseeker) ; Guo Guang Chang, président de Fosun ( qui est en train de racheter ClubMed avec Axa Private Equity).

Mais on trouve aussi des dirigeants d'entreprise moins connus en France, opérant dans l'informatique, la distribution, l'immobilier, les biens de consommation, l'agro-alimentaire, le private equity ou la banque (comme Ma Wei Hua, président de China Merchants Bank, cotée à Shanghai et Hong Kong, et dont « l'ambassadeur » est le célèbre pianiste LangLang). Ils pèsent environ 240 milliards d'euros de chiffre d'affaires cumulé, mais on trouve aussi parmi les membres du CEC des entreprises de taille modeste (entre 10 et 50 millions de chiffre d'affaires) et des géants comme Légend Holdings et Lenovo qui affichent chacune plus de 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Il ne faut pas oublier les conseillers du CEC et notamment le prestigieux économiste Wu Jing Lian du Development Research Center (DRC), un organisme très important qui agit comme conseil économique pour le gouvernement, Long Yong Tu, ancien vice-ministre de la Coopération économique et commerciale avec l'extérieur, et négociateur en chef de la Chine pour son entrée à l'OMC et le professeur Zhang Wei Ying, recteur de la Guanghua School of Management de l'Université de Pékin.

Le programme de la visite. Ce séjour en France (précédé d'une étape en Belgique les 23 et 24 juin, au cours de laquelle la délégation a rencontré Manuel Barroso) était le troisième voyage officiel à l'étranger du CEC, après les Etats-Unis en novembre 2011 et la Grande-Bretagne en juillet 2012. Le programme, détaillé dans un épais document dans lequel figuraient tous les CV des dirigeants français rencontrés ainsi que les fiches d'identité des entreprises visitées), s'est ouvert le 25 juin par une conférence économique, payante pour les participants étrangers, consacrée à la coopération entre les entreprises françaises et chinoises, les investissements croisés entre la Chine et l'Europe, les enjeux sociaux de l'entreprise privée.

Quelques dirigeants d'entreprises français ont pris part aux débats comme Philippe Crouzet, Philippe Varin, Louis Gallois, Serge Dassault mais aussi Sir Martin Sorrell ou Jim O'Neil de Goldman Sachs. Mais le temps fort de ce lundi était la réception à l'Elysée et le déjeuner élargi qui a suivi où l'on pouvait croiser Jean-Pierre Raffarin, Martine Aubry, Pierre Moscovici ou Nicole Bricq. Les hôtes chinois ont même pu se faire photographier avec le Président de la République, sur une petite estrade. Le programme de la soirée était chargé. Après une visite au Quai d'Orsay avec Laurent Fabius, les membres de la délégation avaient le choix entre une soirée sur la Seine, à bord d'un bateau de croisière, avec un spectacle concocté par les G.O. du ClubMed, sous la férule d'Henri Giscard d'Estaing  ou une visite privée du Bon Marché, avec champagne et macarons. La vérité oblige à dire que le divertissement fluvial a fait davantage recette...

Les jours suivants ont vu s'enchaîner les visites : Atos avec Thierry Breton et son état-major au grand complet, un dîner chez les Dassault, une visite chez Dassault Systèmes qui a beaucoup impressionné la délégation, une matinée au Sénat sous les auspices de Jean-Pierre Raffarin, consacrée aux opportunités d'investissements en France, un arrêt chez Cartier, un workshop chez L'Oréal en présence de Maurice Levy, suivie, le lendemain, d'une matinée au choix, chez Chanel ou chez BNP-Paribas en compagnie de Jean-Laurent Bonnafé.... Pour un retour programmé vers Pékin le 30 juin au soir sur un vol de China Airlines...

Les thèmes officiels abordés. Bien sûr, l'on a beaucoup évoqué l'économie chinoise, le développement du secteur privé en Chine, les possibilités de coopération entre entreprises françaises et chinoises, opportunités d'investissements dans les deux pays, sans parler du renforcement des relations personnelles, un point crucial en Chine. Mais le thème général de ce voyage, fixé par le CEC, était tout autre. Le livret de présentation de ce voyage, établi à destination des interlocuteurs français du CEC, porte un titre assez singulier « L'Esprit de Contrat et la Nouvelle Culture du Commerce ».

Dans ce document, Liu Chuan Zhi écrit : « L'une des mission du China Entrepreneur Club est de promouvoir un commerce éthique. Nous faisons la promotion de l'entreprenariat, tout en portant une attention particulière au développement continu de l'économie et de la société (...) La France est le berceau de l'esprit d'engagement. Depuis « Du Contrat Social » de Jean-Jacques Rousseau, le contrat social est devenu une vertu dont les Français sont fiers. Pour les entreprises chinoises, la construction d'un sens des responsabilités et d'un contrat social est une capacité, une confiance et une compétence. »

Cette référence au « Contrat Social » de Jean-Jacques Rousseau est tout sauf anodine, même si le contenu du mot « social » n'est probablement pas tout à fait le même aujourd'hui et en Chine et au XVIIe siècle en France. On le sait, les Chinois sont fascinés par le Siècle des Lumières et par les enseignements que la société chinoise peut tirer des écrits d'Adam Smith, de Voltaire ou de Rousseau. Ce dernier a notamment posé les principes d'un « contrat » obligeant chaque individu envers la collectivité et la collectivité envers chacun de ses membres afin que l'homme dépasse ses appétits naturels et s'inscrive dans un ordre social régulé par le collectif. Ce rapport entre l'individu, la société et le souverain est au c?ur de beaucoup d'interrogations en Chine, où les dirigeants souhaitent que la notion de « contrat » avec le peuple soit davantage mise en avant et que les attentes sociales de la société chinoise soient prises en compte de façon plus dynamique.

Quoiqu'il en soit, le CEC avait pour mission de présenter une image plus qualitative du monde chinois de l'entreprise dans laquelle le « contrat », avec les clients, partenaires, salariés mais aussi avec la société toute entière, est à la base du progrès.

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Commentaires 8
à écrit le 04/07/2013 à 19:03
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On fait dans le brejnev ! Allez-vous squizer le financement des entreprises alors que ça ferme chaque jour. COUIC LE CAC ? On a l occiput accrocéphale malin ! Dispense-t-on les chômeurs de la recherche d emplois ? C est scandaleux ! Les chinois font ...

à écrit le 04/07/2013 à 11:41
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Il me semble que l'UMP a une alliance avec le parti communiste chinois, et qu'il est mort depuis ce "contrat". Les chinois ne voient sans doute dans le contrat de rousseau juste une version occidentale du confucianisme.

à écrit le 04/07/2013 à 10:55
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Entant que libéral je rejette ce "contrat social", la "régulation de l'individu au profit du collectif" et la soumission des citoyen à un gouvernement et à ses castes mafieuses. Les chinois et les français devraient plutot s'inspirer des écrits des T...

le 04/07/2013 à 11:43
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Bien difficile de ne pas avoir la même appréciation des régimes libéraux économiques et financiers qui massifient et uniformisent les individus par l'argent ou la misère !

le 04/07/2013 à 13:53
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Dans un vrai et bon système libéral, on a l'argent qu'on mérite en fonction de ce qu'on apporte à ses contemporains. En France, de plus en plus, on a l'argent du clientélisme : c'est sans doute un immense progrès de la prétendue "justice sociale"...

le 04/07/2013 à 13:54
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+100.

le 04/07/2013 à 13:55
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Le contrat proposé par le PS, c'est : produisez des richesses, on vous ponctionnera grave !

le 04/07/2013 à 19:09
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La société ne consent pas à ce régime déviant. C est un cas de rupture du contrat social.

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