Pourquoi la France doit relever les frais d’inscription à l'université pour les étudiants étrangers

La France est de moins en moins attractive pour les étudiants étrangers. Et ce, malgré des frais de scolarité bien en deça de ceux pratiqués dans les pays anglo-saxons... Par Mehdi Lazar, Président du cabinet de conseil franco-américain Bridges Education Consulting, Los Angeles
La France doit retrouver de son rayonnement pour attirer les étudiants étrangers. Cela doit passer par des réformes courageuses de l'enseignement supérieur... | REUTERS

Un récent rapport du British Council prévoit environ 3,8 millions d'étudiants en mobilité à l'étranger dans l'enseignement supérieur au niveau mondial d'ici à 2024, contre un peu plus de trois millions il y a deux ans (1) . Parmi ces étudiants, l'Inde et la Chine vont contribuer à hauteur de 35% à la croissance mondiale des effectifs des étudiants internationaux.



La perte d'attractivité de la France est un problème

La place de la France dans ce grand mouvement de la globalisation de l'enseignement supérieur interroge. Destination historiquement populaire, la place de cette dernière ne cesse de diminuer alors que les destinations les plus populaires pour les étudiants - les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, soit de grands pays anglophones - continuent à attirer le plus grand nombre d'étudiants et que de nouveaux acteur émergents apparaissent comme la Chine, l'Inde et la Malaisie (2).

En outre, de nouveaux grands pays émetteurs se développement - comme le Nigeria, l'Arabie Saoudite et l'Indonésie - modifiant ainsi les flux au niveau mondial. Dans cette compétition globale, la perte d'attractivité de la France, notamment au niveau des étudiants les plus brillants et les plus avancés, devient problématique.

Une compétition entre États nécessaire

Malgré les efforts entrepris ces dernières années - comme la création bienvenue d'EduFrance en 1998, devenue depuis Campus France - les étudiants étrangers qui représentent les "élites étudiantes" du monde (3) sont de moins en moins formés à la langue, culture et représentation du monde française.

Or cette compétition entre États et institutions afin d'attirer les étudiants étrangers les plus talentueux sur leur territoire permet de nouer des relations politico-économiques fructueuses avec les élites des pays en questions, de développer l'innovation sur le territoire national mais aussi d'apporter prestige aux programmes académiques et des rentrées financières aux institutions et aux systèmes éducatifs des pays d'accueil.  C'est notamment ce qui a poussé les grands pays anglophones à s'ouvrir aux étudiants en mobilité depuis les années 1980.

 

Pas de politique d'attraction ambitieuse

Mais en France, les étudiants étrangers ne payent pas plus cher leur scolarité à l'université que les étudiants locaux. L'attractivité française relève donc uniquement de considérations de prestige et d'influence et coûte de l'argent à notre système éducatif. Dans notre contexte actuel de contraction des finances publiques, une telle politique pourrait être à revoir.

Il est aussi notable que la France cherche encore à circonscrire le périmètre de sa politique d'attractivité éducative : financement, langue d'enseignement, usage des technologies d'information et de la communication, partenariats et zones géographiques visées ne font pas consensus dans l'hexagone et la nation et ses représentants peinent à produire une politique d'attraction visible, lisible et ambitieuse.

Un pays plein d'atouts

Ainsi, le débat récent sur la place de l'anglais à l'université tout comme le lancement de la plate-forme FUN (France université numérique) avec de grands établissements hexagonaux pour concurrencer les plus grands MOOC anglo-saxons (4) montrent que si la France prend conscience des enjeux de cette globalisation de l'enseignement supérieur, elle accumule péniblement les mesures sans que la nation affiche ambition et consensus.

La France dispose pourtant d'atouts : le rayonnement culturel de notre pays et le nombre de francophones dans le monde, estimé à plus de 220 millions, sont un réservoir d'étudiants futurs. Mais cela ne suffit pas.

La France, puissance moyenne

Les flux montrent justement la surreprésentation en France des étudiants étrangers européens - en raison de la proximité géographique et du programme Erasmus - et issus du continent africain souvent issus des "ex-colonies" et le faible nombre d'étudiants asiatiques - soit le pôle émetteur le plus large et dont la croissance est la plus forte.

Si cela devait être un marqueur de la place de la France dans le monde, il illustrerait donc les grandes tendances de la géopolitique globale avec un déplacement du centre de gravité mondial vers l'Asie et le passage de la France du statut de grande puissance à celui de puissance moyenne dans le cadre de l'Europe.

Valoriser les diplômes français

En même temps même si les flux mondiaux d'étudiants se diversifient et de nombreux acteurs étatiques apparaissent, émetteurs comme récepteurs, les étudiants en mobilité ont continué à augmenter malgré la crise de 2008.

Dans ce cadre, la France pourrait donc avec ses nombreux atouts se garder une place de choix dans cette compétition mondiale. Elle devrait pour cela répondre à ce que cherche un étudiant en mobilité internationale : découvrir une autre culture certes, mais également valoriser son diplôme en renforçant son rôle de "bien de position".

 

Former aux compétences du XXIe siècle

Pour cela les diplômes français devraient former aux compétences qui sont recherchées au XXIe sur un marché du travail global. Notamment, pour un grand nombre d'étudiants la très bonne qualité des formations françaises et leur prix très compétitif ne compense pas la barrière de la langue, les mauvaises performances du marché de l'emploi et le manque d'équipement de l'université française.

A ce titre, augmenter légèrement les frais de scolarité pour les étudiants hors UE permettrait donc d'augmenter l'offre éducative du système d'enseignement supérieur - notamment à l'université - ce qui le rendrait plus attractif.

 Cette augmentation pourrait bien sûr être accompagnée d'un système de bourses pour des étudiants étrangers choisis pour leur mérite. Et elle permettrait d'offrir des cours plus innovants, en plusieurs langues, en utilisant les technologies de l'information et de la communication, et de proposer aux étudiants des services étoffés, comme cela est tenté en Italie avec certains éléments du nouveau plan stratégique pour les universités (5).

 

Pas de priorités claire

Cela permettrait aussi d'attirer des étudiants, notamment asiatiques, ne maîtrisant pas assez le français pour étudier et cherchant des programmes en anglais. C'est d'ailleurs ce qui est fait depuis de nombreuses années dans les universités du nord de l'Europe et dans certaines grandes écoles françaises.

Ceci reste difficile dans les universités françaises en raison d'un manque de consensus sur ses missions : en plus de conserver et créer des nouveaux savoirs, cette dernière doit-elle former les futurs enseignants, simplement intégrer les bacheliers issus des vagues de massification depuis les années 1980 ou aussi former une partie des élites ? Ce manque de définition claire empêche de constituer des priorités pour l'université et donc un financement adéquat. De plus, l'université assume à elle-seule toutes les contraintes du système : elle ne peut choisir ses étudiants et ils ne contribuent pas financièrement à leurs études.

 

La "double dualité" de la France empêche les synergies

D'ailleurs, on assiste depuis plusieurs années à une prise de conscience des problèmes inhérents à l'émiettement du financement public de la recherche et de l'enseignement supérieur dans l'hexagone. En effet, la spécificité française de la "double dualité" de l'enseignement supérieur (la concurrence universités - grandes écoles au niveau de l'enseignement et universités - grands organismes au niveau de la recherche), dont l'université est le parent pauvre empêche synergies et concentrations des moyens seules à même de donner une taille critique aux établissements français.

Or cela est nécessaire afin de concurrencer des mastodontes comme Harvard ou Cambridge au niveau mondial. D'ailleurs les performances moyennes de la France dans les grands classements éducatifs internationaux reflètent cette "double dualité" qui trouble l'image de la France à l'étranger. Car malgré les limites méthodologiques de ces classements, ils restent bien pour de nombreux étudiants représentatifs de la qualité d'un système d'enseignement supérieur.

 

Utiliser la tendance de la globalisation de l'enseignement supérieur

En France, nos actions spécifiques et coordonnées de promotion et d'attraction des étudiants internationaux avec Campus France ou nos politiques nationales d'immigration spécifiques (procédures de visa plus facile, accès plus généreux au marché du travail ou des bourses pour les meilleurs étudiants) ne suffisent plus à rendre notre pays assez attractif. 

La France, confrontée à la crise de ses finances publiques pourrait donc utiliser cette tendance lourde de la globalisation de l'enseignement supérieur mais aussi son attractivité (bien que faiblissante) afin de faire participer les étudiants hors UE au financement de son système d'enseignement supérieur. Cela permettrait de réinjecter de l'argent dans notre système éducatif afin de réellement le moderniser et le rendre plus réactifs aux bouleversements mondiaux en cours. Mais ceci nécessitera du courage politique et une vision à long terme.


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(1) British Council, The future of the world's mobile students to 2024, British Council, Octobre 2013.

(2) Karen MacGregor, International students to reach 3.8 million by 2024, University World News, 11 octobre 2013, # 291.

(3) Francisco Marmolejo, "Trends in International Mobility of Students: a Wake-Up Call for the U.S.?", in The Chronicle of Higher Education, le 25 septembre 2012

(4) Mehdi Lazar, Ce que l'engouement pour les MOOC aux Etats-Unis nous dit pour l'université en France, La Tribune, 6 mai 2013.

(5) Brenda Dionisi, "Ministry presents three-year plan for universities", in University World News, 25 Octobre 2013, numéro 293.

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Commentaires 7
à écrit le 02/11/2013 à 9:44
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Si vous vous étiez renseigné messieurs les auteurs éclairés, vous sauriez qu'il est interdit de pratiquer dans l'UE des frais différents selon la nationalité !

le 02/11/2013 à 15:23
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Faux, c'est parfaitement possible à la condition que les citoyens et résidents de l'UE soient traités de manière identique. Rien n'interdit de faire payer plus cher les hors-UE... ce qui est d'ailleurs pratiqué par plein de pays !

à écrit le 02/11/2013 à 8:29
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Il faut tendre vers le système des écoles de commerce pour les universités comme pour les écoles d'ingénieur : 3/4 payés par l'étudiant, 1/4 par les entreprises partenaires. Par contre pour les étudiants français il faut sécuriser l'emprunt soit avec...

à écrit le 29/10/2013 à 14:37
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pourquoi s'arrêter aux étrangers? la hausse des frais serait tout à fait normal et envisager un montant de 2000? par an ne serait pas abérrant (cela représente 4x plus qu'aujourd'hui j'en conviens). Par ailleurs, la question de la sélectivité est c...

à écrit le 29/10/2013 à 14:26
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Elle doit le faire pour tout le monde, et ceux qui ne pourront pas payer devront par exemple deux à trois années au secteur public dans leur domaine d'activité avec un salaire correct mais inférieur aux catégorie a ayant été reçu à au concours. Envis...

à écrit le 29/10/2013 à 13:59
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A quand la fermeture des écoles françaises et des ambassades qui coûtent si chères au contribuable mais dont l'intérêt stratégique est très discutable?

le 02/11/2013 à 8:37
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Les écoles françaises je ne comprends pas très bien. Ce sont des établissements d'enseignement supérieur assez proches du modèle des universités étrangères. Par contre elles sont trop petites et forment surtout au master 2, donc il faut les regrouper...

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