"Paris doit redevenir un point de ralliement pour jeunes inventeurs"

Entretien avec Mario Polèse et Richard Shearmur, auteurs, avec Laurent Terral, de La France avantagée, un essai qui porte (enfin) un regard antidécliniste sur la France.
Reuters

Richard Shearmur et Mario Polèse, deux Canadiens, et Laurent Terral, un Français, dévoilent dans leur dernier essai un territoire beaucoup moins déséquilibré économiquement qu'on ne le pense et avec un fort potentiel. À condition de ne pas prendre le Grand Paris pour la locomotive qui va tout entraîner.

LA TRIBUNE - En lançant le Grand Paris puis Paris Métropole, Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont-ils pris le risque de déséquilibrer un territoire national qui, selon vous, semble enfin avoir trouvé son équilibre économique ?

MARIO POLÈSE - C'est peu probable. Pour une raison qui ne plaira pas forcément aux promoteurs du Grand Paris : les défis économiques de la région parisienne ne se résument pas à des questions de métro régional ou de transports urbains. À lui seul, le Grand Paris, en l'absence d'autres réformes économiques, ne suffira pas pour modifier sensiblement la trajectoire de l'économie parisienne.

Le Grand Paris doit déclencher une réflexion plus large sur l'économie parisienne, être le début d'un processus, pas la fin. Des économistes, des géographes, des politiques plaident pour que l'investissement se fasse dans la métropole parisienne, dans une « ville-monde » capable de jouer dans la mondialisation et créant plus sûrement de la richesse que les autres métropoles ou villes moyennes.

Êtes-vous réticent à l'idée de considérer Paris comme « locomotive » de la France ?

Fortement réticent. La France est un espace économique intégré, beaucoup plus équilibré que ce que pensent les Français. Ôtez les régions et Paris rétrécira comme une peau de chagrin ! Prétendre que Paris tire la croissance des régions, ou l'inverse, est un débat inutile. Les investissements de l'État doivent aller là où ils sont utiles, et rien ne dit qu'ils le sont systématiquement plus à Paris.

Pour aider l'exportation, des investissements dans le port du Havre ou dans des liaisons transalpines peuvent être plus prioritaires. La prétention de la grande ville à être la « locomotive » de l'économie nationale est une rengaine partagée. Montréal a la même prétention, au Québec. Mais l'idée ne tient pas la route. L'Angleterre fournit un joli contre-exemple, car si le dynamisme de la région londonienne ne se dément pas, il n'est d'aucun secours pour le nord de l'Angleterre, qui continue à sombrer dans le chômage.

À l'inverse, où est la ville « locomotive » de l'Allemagne ? La vieille notion de pôle de croissance est tout aussi désuète que celle de « Paris et le désert français ».

Vous estimez que l'innovation comme facteur de croissance locale est une fausse idée. Ce qui importe, c'est le développement de ces innovations. Là, la métropole a un avantage possible, mais vous n'en êtes pas sûr ?

RICHARD SHEARMUR - Non, c'est très complexe. Le lien entre innovation (dans une localité ou une région) et croissance (de cette localité ou de cette région) présuppose que les retombées de l'innovation sont nécessairement locales. Or rien - hormis le désir des collectivités locales - ne nous permet de stipuler qu'elles le seront. Parfois, les raisons sont évidentes : au Canada, il existe une multitude de villes spécialisées dans l'aluminium, le papier, la forêt, qui perdent des emplois au fur et à mesure que les entreprises locales innovent et deviennent plus productives.

La perte d'emploi y est attribuable au fait que les villes ne sont pas capables d'internaliser les processus de destruction créative : certains emplois y sont détruits, mais les nouvelles activités économiques sont créées ailleurs, car ces villes n'ont pas la capacité interne pour générer des alternatives.

De manière générale, les entreprises innovent dans tous les types de territoires. Ce n'est pas un phénomène urbain. En revanche, le marketing et la croissance de l'entreprise si elle a besoin de main-d'oeuvre, par exemple, passent souvent par la grande ville : on y ouvre des succursales, on est racheté par une plus grosse entreprise qui nous déménage, ou alors on collabore avec des prestataires de services qui sont en ville, et on contribue donc à la croissance urbaine, même si on demeure en région.

En fait, tout le monde se focalise sur « l'introduction » de l'innovation. Or la croissance économique ne provient pas de l'introduction d'une innovation, mais du développement de l'entreprise qui intervient à la suite de l'innovation. La vraie question de développement régional n'est donc pas « de quelle région proviennent les innovations ? », mais plutôt « dans quelles régions ont lieu les processus de croissance qui interviennent à la suite de l'innovation ». La réponse à la première question est complexe, et il n'est pas certain que « la grande ville » soit une réponse convenable. En revanche, la réponse à la seconde question, pour des raisons liées à la centralité des villes, aux économies d'agglomération, à l'accessibilité des marchés globaux, etc., est très probablement urbaine.

Vous montrez dans votre livre que les territoires gagnent en se spécialisant et que les villes-mondes comme New York ou Los Angeles ne sont pas les plus innovantes. Quelle « spécialisation » pensez-vous possible pour Paris, une « ville-agora » potentielle ?

MARIO POLÈSE - Le terme de « ville-agora » a été choisi pour exprimer l'idée de la grande ville comme point de rencontre et d'échange d'idées. Paris, s'il veut retrouver sa place sur l'échiquier économique mondial, doit redevenir un point de ralliement naturel pour de jeunes inventeurs, penseurs et entrepreneurs (pas seulement Français) à l'avant-garde de la nouvelle économie. Le fait est, comme nous le constatons dans l'ouvrage, que Paris joue un rôle, comme centre économique, bien en deçà de ce que commanderait sa taille. Comment donc entrevoir l'avenir de Paris dans un monde où, il faut bien l'admettre, il se trouve en marge de la culture dominante des grands acteurs économiques ?

Or, vu de l'extérieur, le grand atout de Paris est « Paris », en soi une image de marque qui n'a pas besoin de plus pour se démarquer. Paris continue à exercer une attraction toute spéciale. Pour un Canadien ou un Américain, dire qu'il a vu l'Europe sans avoir vu Paris est inconcevable. Le danger - nous ne sommes pas les premiers à le dire est que cette attractivité se limite au tourisme et aux activités de passage (colloques, conférences, expositions...) pour, à la longue, transformer Paris en vaste parc d'attractions.

La bonne nouvelle, d'où l'idée de « ville-agora », est que la nouvelle économie repose, plus encore que l'économie industrielle jadis, sur des rencontres, des échanges d'idées et la proximité physique des acteurs. Et où mieux se rencontrer que dans un café parisien ? Voilà la chance de Paris, à condition qu'il sache la saisir.

À New York, c'est dans les vieux quartiers de Manhattan que ça se passe, des quartiers entiers envahis et revitalisés par de jeunes startupers technos qui dirigent les futurs Google et Microsoft. Ces jeunes entreprises recherchent des milieux urbains que seule la grande ville peut offrir. Paris l'a déjà, il n'a pas besoin de l'inventer. Là où le bât blesse, c'est dans l'autre moitié de l'équation : un milieu économique et social propice aux jeunes entrepreneurs. Pourquoi des milliers de jeunes Français s'exilent-ils à New York, Londres ou Montréal pour se lancer en affaires ? Ce n'est pas, je pense, parce que Paris manque de monuments ou d'infrastructures.

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Mario Polèse est professeur en économie urbaine et régionale à l'Institut national de recherche scientifique de Montréal ; Richard Shearmur est professeur de géographie à la School of Urban Planning de l'université McGill de Montréal ; Laurent Terral est chercheur à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux. 

La France avantagée. Paris et la nouvelle économie des régions, de Mario Polèse, Richard Shearmur et Laurent Terral, 224 pages, éd. Odile Jacob, 23,90 €.

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Commentaires 12
à écrit le 29/04/2014 à 16:57
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D'après ce que je comprends, Paris n'est pas intéressé par les "Vieux inventeurs". C'est de la pure discrimination : selon quels critères scientifique l'inventivité des jeunes aurait-elle plus de valeur que celle des autres ?

à écrit le 29/04/2014 à 16:28
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Paris pour les jeunes avec des loyers à 1500 euros le 2 pieces mais bien sur. Paris c'est riche bourgeois rentier et fonctionnaires pauvres Pauvreté et précarité en couronne... Attirer des talents ? encore faut il pouvoir y vivre....

à écrit le 29/04/2014 à 14:49
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Les nouveaux Microsoft et Google? Aucun des deux n'est né dans une ville comme New-York ou Londres, plutôt le contraire. La créativité ca ne se fabrique pas à la chaine. On aurait plutot besoin d'universités au prestige mondial et d'un cadre encourag...

à écrit le 29/04/2014 à 12:59
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désolé, car c'est triste, mais il demeure en France une sacré vieillerie, elle est has been, à cause de ses conservateurs d'un autre âge...

à écrit le 29/04/2014 à 12:28
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Avec la bulle immobilière qui saigne les jeunes à blanc, on s'étonne que les jeunes aillent ailleurs...

à écrit le 29/04/2014 à 11:57
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Du blablas à la française ...la Suisse petit pays de 8 millions d'habitant dépose ,depuis longtemps plus de brevet que la France ...plus intéressant encore...le seuil de valorisation des brevets est d'environ 70/75 % avec une charge fiscale raisonna...

le 29/04/2014 à 17:55
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"donc les jeunes qui savent compter se barrent ailleurs ...! " : C'est sûr qu'ils commencent par calculer les taxes qu'ils payeront sur les revenus de l'entreprise avant de se rendre compte qu'ils ne survivront pas au lancement de leur boite dans une...

à écrit le 29/04/2014 à 10:36
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Ben, non! d'après une dernière enquête les jeunes têtes" se cassent ailleurs, et ils ont bien raison !

le 29/04/2014 à 12:37
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et oui dans les entreprises françaises "penser, créer, inventer c'est désobéir". C'est idiot mais c'est comme ça: "appliquez les procédures" est un refrain classique ! Alors welcome in the USA !

à écrit le 29/04/2014 à 9:29
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Le droit du travail rend impossible la création de grande entreprise innovante: 35 heures, 48 heures maximum de travail pour un salarié par semaine, travail interdit le dimanche (comme si un inventeur ou un chercheur avait des "heures???), absence de...

à écrit le 29/04/2014 à 8:30
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La véritable innovation serait d'analyser le role de l'énergie dans le développement économique. Mais existe-t-il un chercheur capable de comprendre ce qu'est l'énergie?

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