Comment les TIC bouleversent nos conditions de travail

Une étude du Centre d'Analyse Stratégique pointe les effets de l'usage des TIC sur les conditions de travail. Le constat est sans appel : le système d'information doit être considéré comme un outil d'aide au travail des salariés au risque sinon de les fragiliser.
Les individus sont devenus les OS des logiciels. Combien d'entre eux formés à de nouveaux logiciels censés leur faire gagner du temps tombent en plein désarroi face à la machine, dévoreuse de temps et d'énergie ? Copyright Reuters

On le sait et on le vit au quotidien : les technologies de l'information ne cessent de bouleverser nos conditions de travail. Un constat qui a conduit la Direction générale du travail (DGT) et le centre d'analyse stratégique (CAS) à dresser un premier état des lieux des relations entre TIC et conditions de travail et mettre en évidence cinq principaux risques liés aux TIC : l'augmentation du rythme et de l'intensité de travail, le renforcement du contrôle de l'activité pouvant réduire l'autonomie des salariés, l'affaiblissement des relations interpersonnelles et/ou des collectifs de travail, le brouillage des frontières spatiales et temporelles entre travail et hors travail, et enfin une surcharge informationnelle.

Manque de considération pour le facteur humain

De fait, le constat est propre à alimenter le débat autour de la souffrance au travail, tant l'on sait désormais que les interactions entre TIC et management sont fortes dès lors que l'on observe d'un peu près les relations au bureau. Le CAS note ainsi dans son étude que "la prise en compte des relations entre TIC et conditions de travail par les acteurs du système d'information des entreprises est encore imparfaite. Ce manque de considération pour le facteur humain n'a pas seulement des conséquences sociales, il est aussi à l'origine de nombreux échecs de projets informatiques et son impact économique pour les entreprises est lourd". Chaque salarié en a conscience pour l'avoir vécu : l'usage exponentiel des TIC fragilise un bon nombre d'entre nous, la technique mettant parfois nos nerfs à rudes épreuves. Les individus sont devenus les OS des logiciels. Combien d'entre eux formés à de nouveaux logiciels censés leur faire gagner du temps tombent en plein désarroi face à la machine, dévoreuse de temps et d'énergie ? "Or, en imposant une manière de travailler sans prendre en compte l'activité réelle des utilisateurs, l'entreprise prend de gros risques. Elle se prive de la possibilité de détecter le dysfonctionnement comme de capitaliser sur la solution existante, estime Rémy Wilders, président fondateur KMB Partners. La contribution de l'utilisateur n'est pas reconnue et son attitude jugée négative. Il peut se démotiver". Et de noter que si dans l'artisanat la "prise en main" de l'outil est reconnue et célébrée, dans le domaine des TIC, il constitue un "travail caché" dont la difficulté d'assimilation reste mal vue. "Dans le cas des solutions logicielle, il est demandé à l'utilisateur de se contraindre au processus de l'outil qui n'est pas adapté à sa spécialité mais aussi d'être performant", ajoute Jean-Alain Gourret, directeur général de KMB Services.

Propagation des usages privés

Pour autant, les usages des TIC issus de la société civile s'imposent de plus en plus à l'entreprise, relève l'étude du CAS. Les usages privés se propagent également dans le monde professionnel, ce qui crée du côté de l'entreprise des problèmes nouveaux et des risques de tensions internes grandissantes. Au point que ce phénomène porte désormais un nom "Bring your own device". 45 % des salariés, sur les 4.000 interrogés par Accenture dans 16 pays, reconnaissent que leurs équipements et logiciels personnels leur sont plus utiles et efficaces que le matériel fourni par leur employeur. Et 23 % disent utiliser régulièrement leurs propres appareils. Les salariés font non seulement leur propre choix technologique mais de surcroît ils sont pour beaucoup d'entre eux prêts à payer pour utiliser au travail leurs technologies favorites. Ce sont les pays émergents qui sont les plus perméables aux équipements personnels dans les sociétés : dans des pays comme l'Inde ou la Chine, le taux d'utilisation courante atteint 40 %.

Elaborer une culture commune aux TIC et aux RH

Autant d'éléments qui contribuent à la diversité et à la multiplicité des usages et qui selon l'étude du CAS crée non seulement une difficulté à les maîtriser mais accroît aussi les inégalités entre les utilisateurs. Le rapport préconise donc l'élaboration d'une culture commune entre les techniciens et experts des TIC et ceux des RH jusqu'aux représentants du personnel afin d'aboutir à une approche commune des problématiques associant technologies et conditions de travail. De même que sur le sujet du stress et de la souffrance au travail, les psychologues pointent du doigt la part grandissante de l'organisation du travail, là encore la résolution passe par une meilleure connaissance de la réalité du travail, au-delà des modèles théoriques sur lesquels la conception des systèmes s'appuie trop souvent. Le système d'information des entreprises doit donc avant tout être un outil d'aide au travail des salariés. Et ne pas les mettre en abîme. Car dès lors qu'ils touchent leurs limites, ils se fragilisent. Isolement, honte, colère accompagnent un sentiment d'impuissance devant un système pour lequel on a été formé et que l'on se doit normalement de maîtriser. Certains malins zappent en ayant recours au système D ou au voisin de bureau hyper au point qui sauvera la mise une fois sur deux. La plupart d'entre nous plongent dans la boucle du stress, car nous perdons l'essentiel : la maîtrise de notre temps de travail. Faire face, c'est reprendre la main, développer sa capacité à mettre de la distance et à faire l'état de ses forces et faiblesses pour pouvoir donner le maximum. S'il le faut, demander à nouveau une formation. Mais, dans tous les cas, tenter de ne pas laisser la peur prendre le dessus. C'est elle qui nous pousse à exagérément vouloir maîtriser et contrôler. Se pose donc in fine la question de la maîtrise des usages pas seulement au niveau de l'individu mais aussi de l'entreprise elle-même. Elle dépendra de sa capacité à mobiliser ses ressources propres en vue de cet objectif et à servir ses salariés plutôt que de les asservir.

 

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