L'humanité, une valeur en hausse chez les patrons ?

De colloques en conférences, la prise de conscience grandit doucement mais sûrement : la résolution de la crise actuelle passe par la bonne gestion d'une communauté d'intérêts. Non qu'ils soient devenus des philanthropes, mais les chefs d'entreprise comprennent désormais que les performances ne proviennent pas seulement du compte de résultat mais aussi et surtout du bien-être au travail de leurs salariés.
Bertrand Collomb, fondateur du prix Olivier Lecerf et ancien patron de Lafarge

L'humanité une valeur en hausse dans le monde de l'entreprise ? Celle-ci a tellement disparu du monde du travail qu'elle nourrit aujourd'hui colloques, conférences, et remises de médailles. Témoin de cette nouvelle lucidité, le réseau Germe qui vient de se voir décerner le prix Olivier Lecerf pour un engagement humaniste. Olivier Lecerf, président de Lafarge de 1974 à 1989, défendait à son époque une conception humaniste du management d'entreprise. Son successeur Bertrand Collomb a crée en sa mémoire en 2008, à l'Académie des Sciences Morales et Politiques, une fondation qui porte son nom et qui récompense des travaux s'inscrivant dans la tradition de l'humanisme entrepreneurial.

Cette année, ce n'est pas un auteur-expert qui obtient la palme sous la coupole de l'Institut, mais un réseau de 1200 managers répartis dans 80 groupes en France qui se forment et échangent dans le but d'enrichir leurs pratiques managériales au profit de leur entreprise. Une première, dont Xavier Darcos, secrétaire perpétuel de l'Académie, a souligné l'importance. Tout comme Xavier Huillard président de Vinci et président de L'Institut de l'Entreprise acquis au fait que le « discours centré sur l'enrichissement des actionnaires a appauvri le collectif ».

Réconcilier Capital et Travail

Le temps serait-il donc venu pour les patrons, après ces années d'égarement et alors que la souffrance au travail atteint des sommets, de réconcilier le monde du capital et du travail ? De conjuguer performance économique et sociale ? Si les patrons du CAC 40 effleurent encore la question dans les dîners en ville, les réponses viennent pour l'heure des patrons de PME, quadra pour la plupart, comme ceux réunis dans ce fameux réseau Germe. « On peut difficilement réussir si on n'a pas un certain désintéressement par rapport à l'argent et au profit. Car cela permet d'investir pour l'avenir et de développer une politique de redistribution » estime Thierry Gillardeau, patron de l'entreprise éponyme spécialiste des huîtres et adhérent Germe depuis 4 ans. Pas de DRH chez Speciales Gillardeau (200 salariés, 50 millions d'euros de CA) mais une gestion au cas par cas des problèmes. Son patron admet que s'il donne beaucoup à ses salariés, « il leur en demande beaucoup aussi », une « générosité qui favorise selon lui une réciprocité de l'engagement ».

Chez Terreal, fabricant de matériaux de construction en terre cuite, (2700 salariés, 400 millions d'euros de CA), chaque « terrealien » contribue à l'?uvre de l'entreprise. Pour preuve, des ouvriers ont eu l'idée d'une nouvelle présentation des tuiles en terre cuite sous forme de chocolats à offrir aux clients, idée tout de suite acceptée par la direction et dont les salariés ont été les premiers bénéficiaires. L'honneur du travail est mis constamment en valeur, ne serait-ce qu'au travers d'un ouvrage « D'argile et d'hommes » réalisé par un dessinateur venu « croquer » les opérateurs dans les usines. Des anecdotes qui parsèment une politique valorisante de la contribution de chacun. Chez VKR, filiale de Velux, trois opérateurs « bricoleurs » dans l'âme ont réalisé les bureaux pour moitié moins cher qu'un entrepreneur extérieur, favorisant la fierté d'appartenance. Il ne s'agit pas juste de récompenser des idées mais de réaliser deux innovations par opérateur et par an.

Ce qui fait dire à Paul Rampini, DGA Industrie et Production dans le groupe Bénéteau, et également adhérent Germe : « l'intelligence du manager, c'est de voir les valeurs locales dans chaque individu. Il n'existe pas de personnes heureuses dans une entreprise qui ne réussit pas...et une entreprise qui réussit et où il n'y a pas de « bien être » ce n'est pas tolérable ». Il veille à favoriser ce qu'il nomme « un management visuel, la créativité des opérateurs et les équipes autonomes ».

"Occupez-vous de vos équipes, le chiffre d'affaires viendra après"

Façon pour ces dirigeants de réapprendre à cultiver le « je » et le « nous », de partager le pouvoir, de passer de la notion de chef à celle d'animateur. « Il faut revenir à un patron qui dit bonjour et merci, qui se montre. L'ambiance dans les entreprises où le patron sert les mains n'est pas la même », constate Hubert Landier, vice-président de l'Institut International de l'audit social, qui reprend à son compte la citation de Pascal Gayrard, le pdg de Metro France : « Occupez-vous de vos équipes, le chiffre d'affaires viendra après ». Où l'on redécouvre l'importance des individus qui travaillent dans l'entreprise. Et dans le même temps les grandes figures des patrons d'antan comme François Michelin qui avait pour habitude de dire qu'une entreprise est « un tabouret à trois pieds : client, salarié et actionnaire ». Il faut dire qu'on les avait plutôt oubliés ces dernières années, les salariés. Les causes sont entendues : financiarisation à tous crins, libéralisme sauvage, stratégies marketing tous azimuts, faiblesse du dialogue social, tyrannie des indicateurs, etc.

"Seul un chef d'entreprise convaincu peut faire évoluer le système"

Pour l'heure, les grands patrons ont encore du pain sur la planche, ne serait-ce que d'apprendre à « voir leurs salariés comme des gens qui leur ressemblent, ayant les mêmes traits que leur entourage » souligne Benoît Arnaud, directeur de l'Edhec Management Institute, dont le cycle Advanced Management Program vise à désorienter les dirigeants et bousculer leurs certitudes. « Il y a trois théories du management, celle menée par les projets, par les indicateurs et par les personnes. Seuls les (rares) bons patrons appliquent les trois, mais la plupart du temps le troisième leur fait cruellement défaut » constate Benoît Arnaud.

Gageons que les difficultés traversées amènent la plupart d'entre eux à s'intéresser de plus près à ceux qui concourent à la bonne marche de l'entreprise. Et qu'ils se laissent gagner par un débat d'idées qui ne cesse de s'enrichir autour de ces questions, comme au Zermatt Summit, crée par Christopher Wasserman, un entrepreneur Suisse à la tête de TLS, une Pme de 200 personnes. 150 personnalités internationales venues échanger sur l'état de la mondialisation se sont quittées le 23 juin dernier, en signant une déclaration en faveur du « bien commun » : douze articles qui visent à inviter les leaders politiques et les personnalités de la société civile et économique à s'engager activement dans la création d'un nouveau schéma mondial destiné à « remettre l'individu au c?ur de l'économie, de l'entreprise, de la vie et installer un nouveau leadership ».

« Le but d'une entreprise est plus large que d'assurer la rentabilité. Elle doit servir à apporter un progrès social, environnemental et sociétal. Et seul un chef d'entreprise convaincu peut faire évoluer le système », plaide Christopher Wasserman. Après les mouvements « green » en faveur du sauvetage de la planète, s'élève aujourd'hui les voix de ceux qui cherchent à « sauver le soldat humain »...Preuve que ce dernier est bel et bien en danger, pollué et gangrené à l'image de dame Nature.
 

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Commentaires 2
à écrit le 30/06/2012 à 7:59
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Enfin cette crise aura t elle permis que L'Homme reprenne sa place? J'en suis ravie.notre monde change, les modèles aussi ?

à écrit le 29/06/2012 à 20:40
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Oué, un peu comme le "service à la clientèle", tout le monde en parle, mais en bref c'est "file ton fric et fais plus chier" !!!

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