Comment transformer l'entreprise sans "casser" les salariés ?

Le quotidien de beaucoup d'entreprises va être marqué par de nouvelles étapes de réorganisations internes, prédit la note annuelle de conjoncture sociale d'Entreprise&Personnel. Par conséquent, le climat social sera étroitement lié à la conduite de ces chantiers: plus que jamais la capacité à conduire les changements d'organisation est un enjeu majeur pour le management. Ce qui fera la différence, c'est la manière dont ce changement sera vécu sur le plan humain, dès la définition même de ce qui doit changer et comment, estime Bruno Lefebvre, psychologue clinicien et fondateur d'AlterAlliance. Rencontre avec ce spécialiste de la prévention des risques psychosociaux et de la qualité de vie au travail.
Bruno Lefebvre, fondateur d'AlterAlliance et psychologue clinicien

La Tribune - Tous les manuels de management et de conduite de changement s'accordent sur un point: grâce à l'implication forte de la DRH et de la Direction Générale, la conduite humaine du changement doit être envisagée en amont du changement, et non uniquement en aval pour limiter les risques ou la casse. Mais il y a souvent loin de la théorie aux actes...
Bruno Lefebvre - Certes, dans un rapport du 19 avril 2011 dressant un bilan des accords conclus sur la prévention du stress et les risques psychosociaux dans les entreprises de plus de 1000 salariés, la Direction Générale du Travail a pointé l'implication relative des dirigeants sur ce sujet. Nous sommes donc face à un paradoxe: d'un côté des dirigeants de plus en plus tenus sur le plan médiatique ou juridique de se saisir du sujet des répercussions humaines des décisions d'entreprise, et de l'autre, une réticence à s'aventurer au-delà de mesures cosmétiques ou individualisantes. Plus les dirigeants seront impliqués dans l'accompagnement du changement, plus les collaborateurs auront le sentiment que leurs contraintes sont prises en compte et qu'ils sont reconnus. Plus les collaborateurs seront impliqués dans la définition même des changements et dans leurs modalités de mise en ?uvre, moins l'entreprise aura à gérer d'effets délétères en aval.

Mais pour être convaincus de s'impliquer dans l'accompagnement du changement et d'impliquer leurs collaborateurs le plus possible, encore faut-il que les dirigeants puissent chiffrer ce que coûte une conduite du changement laissant à désirer?
Les outils d'objectivation ne manquent pas. Une étude de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé (EU-OSHA) publiée en 2010, estime le retour sur investissement pour les entreprises d'un investissement pour la prévention des risques professionnels: un euro investi peut rapporter de 1,01 euros à 4,81 euros. L'Agence européenne pour la sécurité et la santé (EU-OSHA), dans son rapport annuel de 2011, continue de plaider en faveur d'investissements dans la santé et la sécurité au travail, non seulement pour des raisons éthiques mais également en termes de compétitivité économique. Les décideurs doivent aussi être convaincus que les changements décidés et considérés comme souhaitables par eux-mêmes seront parfois exactement perçus à l'inverse par des collaborateurs qui les subissent. Plus l'humain est pris en compte en amont, moins les réactions de résistance, voire d'hostilité se feront sentir.

On parle parfois de "courage managérial". Vous semblez introduire ici la notion de "courage des dirigeants" ?
Le courage des dirigeants est nécessaire et essentiel. Non seulement pour s'impliquer dans la conduite du changement, mais aussi pour éviter de rester dans une position plus distanciée, plus intellectuelle vis-à-vis des collaborateurs. Je trouve dangereux que les dirigeants ou actionnaires décident seuls de ce qui doit changer pour ensuite le "cascader" sur les équipes, alors qu'il est plus efficace au contraire que les décisions soient co-construites: plus une décision de changement est prise collectivement, plus l'accompagnement de sa mise en ?uvre sera aisé. Trop souvent, les changements sont décidés, puis l'on en régule tant bien que mal les effets négatifs sur l'humain.

Justement on parle beaucoup de management de proximité. Là encore le mot a été largement galvaudé ces dernières années, la proximité étant plus souvent synonyme de "flicage" que de responsabilisation. Comment y remédier?
En mettant en place des groupes de travail paritaires dont l'objectif est que le maximum de décisions soit co-construites. D'expérience, je dirais que les collaborateurs et les managers de proximité apprécient deux types de proximité. D'une part, "une proximité de personne", ce qui a été appelé le "teddy bear factor" qui caractérise ces dirigeants chaleureux, empathiques, avec lesquels la relation de confiance s'installe facilement. D'autre part, "une proximité de métier": elle s'observe à la connaissance qu'ont les dirigeants du métier de leurs collaborateurs et de ses conditions d'exercice. Cette connaissance du métier, me semble être une condition essentielle du sentiment de reconnaissance vécu par les collaborateurs. Sans cette proximité, toute demande de changement, même douée d'un sens intellectuellement compréhensible, risquera d'apparaître aux collaborateurs déconnectée des problématiques terrain qu'ils rencontrent.

En période de changement, la tentation est forte de museler les contradictions, comme si un désaccord non exprimé serait moins dangereux qu'un désaccord exprimé?
Cette attitude repose souvent autant sur la crainte d'une contagion que sur le malaise du manager devant faire face de manière empathique ou convaincante à un désaccord. Il serait plus profitable que l'expression de ces désaccords puissent être encouragée afin d'être traitée au mieux. Or, exprimer un désaccord et l'exprimer de manière constructive ne peut se décréter, mais plutôt se susciter. Ainsi les comités de direction ou le comité exécutif feront preuve d'exemplarité en se montrant sur les lieux de décisions collectives, portées par chacun, mais après un débat d'idées éventuellement contradictoires. Le DRH a souvent à jouer un rôle important à ce stade: il peut être l'initiateur et l'animateur de ce débat d'idées, étant souvent rompu à la gestion constructive de désaccord. Cette attention particulière aux désaccords et à leur traitement pourraient ainsi être reproduite dans l'ensemble de l'organisation: un désaccord exprimé et traité aura bien plus d'impact dans la conduite du changement qu'une recherche artificielle d'adhésion sans contradiction.

Tout dirigeant voulant transformer l'entreprise ne devrait-il pas d'abord s'attacher à d'abord se changer lui-même?
On observe trop souvent des dirigeants décrétant ce que les autres doivent changer, alors qu'eux-mêmes sont perçus comme agissant toujours à l'identique. Comment un dirigeant pourrait demander à ses managers de passer davantage de temps à écouter les éventuels désaccords dans les équipes, si lui-même n'est pas perçu comme consacrant davantage de temps à l'échange avec ses n-1? Ce qui revient à dire que la communication tient une place toute particulière: la communication sur les changements doit être peu déléguée, DRH et directions générales devant s'y impliquer directement.

Pourquoi?
En période de changement «Qui parle» est aussi important que le message exprimé. Les propos des dirigeants prennent une résonance particulière pour les collaborateurs, dans laquelle rien n'est pire qu'un silence, propice à toutes les interprétations. Il vaut d'ailleurs mieux communiquer sur de l'incertitude que ne pas communiquer du tout. Sans compter que le management intermédiaire ne peut expliquer que s'il a lui-même compris, convaincre que s'il est lui-même convaincu. Il doit donc avoir lui-même reçu des messages clairs et eu le temps de se les approprier. Plus que décrire ce qui doit changer et comment, le pourquoi des changements doit faire l'objet d'une communication appuyée. Nietzsche disait déjà, "Si l'on possède son pourquoi? de la vie, on s'accommode de presque tous les comment?" Accompagner les managers, c'est d'abord les associer le plus en amont possible au processus de prise de décision, sur la nature même des changements à mettre en place et non pas seulement sur leur mise en ?uvre opérationnelle.

Vous dites qu'en période de changement, l'une des choses les plus difficiles à gérer est souvent le fameux "pendant les travaux, la vente continue", les organisations devant assurer à la fois la continuité et la nouveauté. Comment faire pour ne pas mettre les équipes complètement sous pression?
Dans ces périodes d'intense charge de travail, rien n'invite à la prise de recul, à l'anticipation ou à l'observation. L'accent est plutôt mis sur la vitesse de réaction aux événements ou la capacité à absorber une surcharge de travail. Les dirigeants et plus généralement les managers gagneraient à intégrer des temps de prise de recul par rapport à ce quotidien, particulièrement dans ces moments où l'accent est mis sur l'action. Il s'agirait de prendre le temps de la rencontre avec les salariés afin de capter les "signaux faibles" de leur adhésion, réticence, difficultés dans la période actuelle. Mais aussi de prendre le temps d'une réflexion davantage solitaire et introspective sur le pilotage à moyen terme de l'entreprise, et sur son propre vécu par rapport au changement. La manière dont le dirigeant vit lui-même le changement doit être étudiée et régulée car, qu'elle soit positive ou plus mitigée, elle aura une influence, éventuellement à son insu, sur ses propos et actions. Ce temps "pris" suppose forcément un certain renoncement ailleurs : le dirigeant (ainsi que le manager) devra renoncer à certaines tâches pour se concentrer sur celles où sa valeur ajoutée sera maximale.

L'accompagnement du changement n'est pas que l'affaire des dirigeants : les managers y sont impliqués quotidiennement, tout en se trouvant dans cette position difficile propre au management intermédiaire: devoir relayer et accompagner des décisions qu'ils n'ont pas eux-mêmes prises, voire qu'ils désapprouvent...
Associer le plus possible le management intermédiaire aux décisions et non uniquement à leur application sera la meilleure manière d'éviter le risque classique d'un sentiment de "courroie de transmission" ou "d'être entre le marteau et l'enclume" qu'évoquent souvent ces managers. Lors de déménagements notamment, on voit des comités de direction prendre des décisions concernant des métiers qu'ils connaissent mal, au lieu de laisser la décision à ces métiers, quitte à arbitrer entre différentes propositions. Au centralisme décisionnel, je préfère l'application d'un principe de subsidiarité : les décisions dans l'organisation étant prises à l'échelon le plus proche du terrain, chacun travaille à son niveau de valeur ajoutée maximale et l'on évite la dérive habituelle consistant à prendre des décisions sans associer ou même déléguer à un niveau n-1 qui serait tout à fait capable de les assumer. Les risques psychosociaux ou la baisse de qualité de vie au travail sont trop souvent la conséquence de changements nécessaires au moins pour partie, mais trop peu accompagnés.

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Commentaires 4
à écrit le 13/12/2012 à 12:18
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Le changement est souvent difficile à vivre surtout au sein d?une entreprise. Il peut entrainer certaines complications et confusions pour les employés. Pour faciliter cette étape, faites appel à Humour Consulting Group. Un consultant comique vous r...

à écrit le 25/10/2012 à 16:37
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Précision : je suis dans le middle management et, effectivement, la direction nous a demandé de faire particulièrement aux salariés face au désespoir de celui-ci. Donc, acte... Et moi, je fais quoi..?? Je sens que j'aurais moins de mal à manager des ...

à écrit le 25/10/2012 à 16:35
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Et pourquoi ne faudrait-il pas casser les salariés...?? Ils viendront bientôt faire du bénévolat pour bosser. Que du bonheur, non..??

à écrit le 25/10/2012 à 13:13
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Le problème c'est que le management qui est mis en place comporte le plus souvent des gens complètement incompétents et qui coûtent plus qui ne rapportent. L'organisation qui est souvent en place consiste par des procédures à vérifier ou fliquer ce q...

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