L'économie sociale et solidaire en promotion

Consacrer le mois de novembre à l'Economie Sociale et Solidaire, n'est-ce pas un peu trop réducteur ?
L'ESS souligne ainsi que l'économie n'est pas seulement une activité génératrice de revenus ou créatrice de richesse mais qu'elle "fait société" en pensant le lien social.

Novembre est désormais le mois de l'Economie Sociale et Solidaire. Comme dans les grandes surfaces, la promo va bon train : conférences, remise de prix, plan médias...Au risque de faire de l'ESS un monde à part et de l'empêcher de dialoguer au quotidien avec l'économie classique.

Durant un mois, 2000 manifestations en France - conférences, ciné débats, ateliers, colloques, manifestations de sensibilisation... - se dérouleront sur l'ensemble des territoires, sur les thèmes de l'ESS, comme l'achat responsable ou l'épargne solidaire. Initiative des Chambres régionales de l'économie sociale et solidaire (CRESS), cette 7ème édition du Mois de l'Economie sociale et solidaire vise à faire découvrir au plus grand nombre, pendant un mois, une autre manière d'entreprendre et de créer de l'activité dans les territoires. Certes l'intention des acteurs de l'ESS d'accroître la visibilité de l'ESS auprès des institutions et des décideurs est louable.

Une économie performante

Mais on peut regretter qu'elle prenne des allures de promotions concentrées sur l'espace d'un mois. Une économie au rabais ? A l'heure où il est urgent de concilier les impératifs d'efficacité et le souci des valeurs et des finalités, pour les acteurs publics comme privés, il n'est plus suffisant de mettre en avant pendant un mois entier quelques considérations morales et initiatives à des fins de communication auprès du public. Ces acteurs sont tenus d'irriguer quotidiennement leur vision stratégique et les actions par une réelle exigence éthique, stipulant en premier lieu que les hommes qui font l'économie d'un pays doivent être traités et considérés comme des fins et non comme des moyens.

Comme le souligne Xavier de Bayser dans son ouvrage sur "L'économie cordiale" (Editions de l'Archipel), notre monde en crise appelle une métamorphose : une nouvelle sociabilité doit émerger, tissée de valeurs différentes. Le président du Comité Médicis, instance de réflexion et de dialogue sur des questions touchant au développement durable, en particulier dans son rapport avec la finance écrit :

"Aussi pour continuer à créer de la richesse, le chef d'entreprise doit désormais s'approprier de nouvelles valeurs et prendre acte de cette nécessité de partage et d'échange en étayant sa vision stratégique par une réelle exigence éthique. De la conversion du regard et de l'écoute à 'économie cordiale, il 'y a qu'un pas"

Dans ce contexte, braquer les projecteurs sur l'ESS durant un mois pendant l'année, fait de cette économie un territoire un peu à part. Or elle n'est ni un modèle, ni même un secteur, mais des pratiques, une manière quotidienne de concevoir le rôle de l'économie dans la société en articulant l'économique et le social.

Toutes les études montrent que les entreprises qui savent créer le lien social et fonctionnent en petits groupes de base sont les plus performantes. Celles de l'ESS ont donc beaucoup à apprendre aux grands groupes dans leur manière de concevoir le service client ou la gestion des employés. Dans l'ambiance de travail aussi. Leur finalité et le sens donné à leur action sont propices à s'interroger sur des sujets comme la confiance, la créativité, la sincérité. Distinction de taille avec l'économie classique, elle n'est pas un groupement de capitaux mais de personnes, porteuses d'un projet d'intérêt collectif. L'objectif n'est donc en rien le profit financier. C'est celui de concilier intérêt collectif et activité économique. Une urgence aujourd'hui.

"Les entreprises qui ont des difficultés souffrent toute de misère morale. Elles écoutent peu les hommes et les femmes de terrain. Le chef d'entreprise n'a pu insuffler une culture de l'écoute. Le poisson meurt souvent par la tête. (...). Il devient impératif de revisiter la contribution du coeur au développement de l'entreprise? Le coeur doit être pris au sérieux. Il ne s'agit en aucun cas d'une vision sentimentale de l'entreprise", poursuit Xavier de Bayer.

Microsolutions pour macroproblèmes

Là où l'ESS a tout à apprendre aux acteurs de l'économie "classique" c'est dans son approche locale. Le monde étant un "globe de villages", il ne s'agit plus de partir du global pour aller au local, du macro à la micro, mais à l'inverse, il s'agit de reconstituer notre identité perdue dans un espace temps qui nous est propre, c'est à dire dans notre territoire.

Dans une perspective d'enrichissement mutuel, l'ESS pourrait donc être un cheval de Troie, durant tous les mois de l'année montrant comment dans la proximité, en puisant dans les territoires et les talents des hommes qui les habitent, au travers de microsolutions, elle arrive à résoudre les macroproblèmes dans lesquels nous sommes englués. Et Xavier de Bayser d'en référer dans son "Economie Cordiale" à la fable de La Fontaine "le lion et le rat" où le lion de la croissance est empêtré dans les mailles du filet et dont les solutions macroéconomiques qui coûtent des centaines de milliards ne font que resserrer inexorablement les mailles. La délivrance viendra des petites initiatives de terrain qui ouvriront les mailles du filet, libérant ainsi le lion de la croissance tout en résolvant les problèmes lancinants de l'endettement. "S'efforcer d'être attentif à l'infiniment petit, c'est là que se trouvent les trésors de la création", en conclut Xavier de Bayser.

L'économie doit se construire avec la société

L'ESS souligne ainsi que l'économie n'est pas seulement une activité génératrice de revenus ou créatrice de richesse mais qu'elle "fait société" en pensant le lien social. Elle rappelle ainsi que toute activité économique génère un impact sur la société. Il ne s'agit donc pas avec l'ESS de répondre à des dysfonctionnements mais de changer notre regard sur l'économie et d'inventer quelque chose de nouveau. Un mois ne peut y suffire. En faisant lien entre l'économie et la société, l'ESS offre aux projets qu'elle englobe une finalité sociale voire sociétale.

Son objectif n'est donc pas seulement de répondre à la pauvreté ou à l'exclusion mais de pointer du doigt à quel point l'économie doit se construire avec la société qui l'entoure et de quelle façon elle l'impacte. C'est une contribution au bien commun plus que la recherche d'un intérêt privé.  Reste à prouver sa capacité à dialoguer avec l'économie classique, à faire valoir son pragmatisme face au versant philantropique et surtout son efficience économique. Inutile donc de lui réserver un créneau de communication d'un mois en la reléguant dans l'ombre médiatique onze mois sur douze au risque de l'empêcher de faire valoir sa performance sociale et de laisser l'économie classique communiquer ses performances (et non performances) financières à longueur d'année.

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Commentaire 1
à écrit le 18/01/2015 à 9:02
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Bonjour, J'ai eu l'opportunité de consulter votre journal du 5 novembre 2014 consacré à l'économie solidaire et sociale, démarche pour laquelle j'ai toujours privilégié un engagement professionnel. Un encart est consacré à Mara Maudet, fondatrice de...

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