Chine : la reprise en main des réseaux de pouvoir économique

A la faveur d'une campagne anti-corruption, a eu lieu un véritable démantèlement de réseaux internes au parti communiste chinois, appuyés sur des filières industrielles. D'autres se mettent en place. par Jean-François Dufour,

La campagne anti-corruption menée en Chine depuis un an et demi a été motivée par une réelle volonté de combattre un fléau qui constitue la principale menace pour le pouvoir en place. Mais en filigrane, on peut également y lire le démantèlement de puissants réseaux de pouvoir internes au Parti communiste chinois (PCC), appuyés sur des filières industrielles aux importantes implications locales ; et la mise en place de nouveaux réseaux, indispensables à l'exercice du pouvoir dans un gigantesque Etat - Parti contrôlé par la plus grande organisation politique au monde.

L'expulsion du PCC du général Xu Caihou, ancien vice-président de la Commission militaire centrale, est venue marquer fin juin une étape symbolique de la campagne de lutte anti-corruption engagée depuis 2013 par la nouvelle équipe dirigeante chinoise, en indiquant que même l'Armée populaire de libération n'était pas à l'abri. Mais ce sont les milieux dirigeants des grandes entreprises d'Etat, et de certaines filières plus particulièrement, qui ont concentré l'essentiel de la campagne.


Le démantèlement du réseau de la filière pétrolière

La plus visible de ces filières est celle de l'industrie pétrolière. En même temps que le général Xu, le PCC a confirmé en juin les expulsions de Jiang Jiemin et Wang Yongchun, les deux victimes les plus éminentes du démantèlement du puissant réseau de pouvoir qui avait été mis en place autour de CNPC (China National Petroleum Corp., maison - mère de la filiale cotée PetroChina), premier extracteur de pétrole du pays.
Jiang Jiemin avait en effet été président de CNPC avant un passage - éclair à la tête de la SASAC (State Assets Supervision and Administration Commission), l'organe de supervision des principales entreprises d'Etat chinoises, interrompu par sa mise sous enquête à l'été 2013. Wang Yongchun était quant à lui vice-président de PetroChina, et ancien responsable du champ pétrolier de Daqing, principal gisement du pays, avant de connaître le même sort quelques semaines plus tard.
Tous deux étaient des membres importants du réseau d'influence économique mis en place par Zhou Yongkang, lui-même ancien directeur général de CNPC avant de devenir Ministre de la Sécurité publique, puis membre du Comité permanent du Bureau politique du Comité central du PCC, l'organe politique suprême du pays (qui comptait neuf membres à l'époque où Zhou y a siégé), entre 2007 et 2012.Considéré par Xi Jinping comme le plus puissant des opposants potentiels à son action, Zhou a vu son réseau systématiquement miné depuis l'accession au pouvoir de la nouvelle équipe dirigeante.


Le reprise en main de la filière métallurgique


Une autre manifestation spectaculaire de ce démantèlement a concerné le secteur métallurgique. En mars 2013 en effet, l'envol d'un membre du réseau de Zhou Yongkang a été brusquement interrompu lorsque Liu Han, président du conglomérat diversifié (privé) Hanlong, a disparu. L'homme qui s'apprêtait à finaliser l'acquisition du groupe minier australien Sundance, qui aurait donné une tout autre dimension à ses affaires, n'est réapparu qu'un an plus tard, accusé d'association de malfaiteurs et condamné à mort.
Si le groupe Hanlong était un acteur marginal à l'échelle de l'économie chinoise, d'autres opérateurs nettement plus importants du secteur métallurgique ont également été touchés au cours des mois suivants par la campagne anti-corruption.
Wang Yifang, président du groupe HBIS (Hebei Steel), a ainsi été contraint à la démission fin 2013. De manière plus dramatique, Wei Jianghong, président de Tongling Nonferrous, s'est suicidé en juin 2014.
Peu connus au niveau international, les deux groupes n'en sont pas moins des géants de l'économie chinoise : le premier est le numéro un chinois de l'acier, contrôlant une part déterminante de la production du Hebei, première région sidérurgique au monde ; le second est le numéro deux national du cuivre, et opère, entre autres, le plus grand complexe mondial de raffinage du métal jaune.

La construction de nouveaux réseaux

Si le démantèlement de réseaux d'influence hostiles est une chose, la construction de nouveaux réseaux est tout aussi nécessaire pour contrôler un système politique articulé autour d'un PCC fort de 80 millions de membres.
Or la composition de la nouvelle équipe dirigeante chinoise permet d'identifier des hommes autour desquels vont se constituer les nouveaux réseaux de contrôle de ces filières industrielles porteuses de fortes influences locales.
Zhang Gaoli, numéro sept du Comité permanent du Bureau politique du Comité central du PCC, a ainsi fait carrière chez Sinopec, numéro un chinois du raffinage pétrolier, avant de suivre une carrière politique qui, comme secrétaire du Parti pour le Shandong puis Tianjin notamment, l'a laissé en relation avec des régions déterminantes pour l'autre grand groupe pétrolier chinois.
Quant à Guo Shengkun, l'actuel Ministre de la Sécurité publique (le poste qui avait assis le pouvoir de Zhou Yongkang avant son accession au Comité permanent), il a passé vingt-cinq ans dans ... l'industrie métallurgique, terminant sa carrière au poste de directeur général de Chinalco, le numéro un chinois de l'aluminium.

Un phénomène inévitable

La lutte contre la corruption n'a pas été qu'un prétexte, et une volonté réelle de mettre fin à des abus flagrants qui minaient la légitimité de l'Etat - Parti a dicté la campagne engagée il y a un an et demi.
Mais la nature a horreur du vide, et la nature même de l'Etat - Parti chinois, et le contrôle d'un pays de 1,350 milliard d'habitants par le biais d'une organisation politique immense, rendent inévitable la construction de nouveaux réseaux.


Jean-François Dufour, DCA Chine-Analyse

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Commentaire 1
à écrit le 09/07/2014 à 13:07
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Les chiffres à retenir ce sont c'est 1,350 milliards de Chinois dirigés par les 8O millions du PCC. Ca veut dire que les 1, 270 milliards restant peuvent un jour n'être plus d'accord avec cette minorité et vouloir mettre fin à cet état de chose. Le M...

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