Comment la Chine soutient ses armateurs

La Chine a intégré le transport maritime parmi les secteurs stratégiques de son économie. Et elle n'hésite pas à appuyer ses grands armateurs, comme le montrent deux affaires récentes. par Jean-François Dufour*

La Chine de l'« économie de marché socialiste » accorde de l'importance au transport maritime pour deux raisons.
La première est stratégique, et renvoie au fait que ce pays qui dépend beaucoup de son commerce extérieur - en termes d'approvisionnements, aussi bien que du fait du poids de ses exportations - ne veut pas se retrouver entièrement dépendant de transporteurs étrangers. La seconde, plus immédiate, consiste dans le fait que l'« usine du monde » estime légitime qu'elle obtienne une part du gâteau constitué par l'énorme activité logistique associée à son commerce extérieur. Dans ce contexte, pour maintenir ses grands armateurs à flot, dans un cadre extrêmement concurrentiel, Beijing n'hésite pas à faire pression sur leurs concurrents.

Alliance contrecarrée

Le premier exemple en a été fourni dans le transport conteneurisé, qui concerne avant tout les énormes exportations chinoises.
A l'été 2013, les trois premiers armateurs conteneurisés mondiaux, le danois Maersk, le suisse MSC et le français CMA CGM, annonçaient l'alliance P3, qui visait à coordonner leurs services, notamment sur les lignes Europe - Asie. Mais un an plus tard, le projet se heurtait à un obstacle infranchissable : à l'été 2014, le ministère du Commerce chinois s'y opposait, au motif d'une situation monopolistique.
Les trois associés potentiels cumulant 38% de la capacité mondiale de transport par conteneurs, et une part de marché cumulée qui dépasse 50% sur les liaisons Chine - Europe, l'argument paraissait recevable. Mais cette décision va aussi s'avérer extrêmement porteuse pour l'armement naval chinois.


Alternative bienvenue

En juillet 2014 en effet, Maersk et MSC, tirant les conclusions du refus chinois, annoncent une alliance réduite à deux, et baptisée M2. Ils laissent ainsi à quai le numéro trois CMA CGM, qui, pour trouver une alternative, va se tourner vers la United Arab Shipping Company (UASC) et ... vers le chinois CSCL (China Shipping Container Lines), pour créer l'alliance rivale Ocean Three.
CSCL, numéro deux chinois (et numéro sept mondial) du transport conteneurisé, passe ainsi du statut d'outsider, face à une alliance qui s'annonçait dominante, à celui de membre d'une des deux alliances qui vont se partager plus de la moitié du marché Chine - Europe.


Navires géants pour marché déterminant

Le deuxième exemple a trouvé son épilogue en ce mois de février 2015. Il porte cette fois sur le transport de vrac, et sur les importations chinoises.
Il trouve son origine dans les efforts du géant Vale pour rendre compétitive son offre de minerai de fer sur le marché chinois, qui absorbe 60% des exportations mondiales. En 2008, le groupe brésilien lance un programme d'acquisition de navires, qui prendront le nom de Valemax, qui sont les plus grands navires vraquiers jamais construits.
Longs de 360 mètres, d'une capacité de 400.000 tonnes de port en lourd, ces bateaux visent à optimiser les coûts d'acheminement du minerai de fer depuis le Brésil jusqu'en Chine. Ces coûts constituent en effet le principal handicap de Vale face à ses deux grands concurrents, BHP Billiton et Rio Tinto, dont l'essentiel des cargaisons de minerai vient d'Australie, (relativement) beaucoup plus proche de la Chine.


Bras de fer

Mais en janvier 2012, huit mois après leur entrée en opérations, les Valemax sont eux aussi confrontés à un obstacle infranchissable. Le ministère du Commerce chinois interdit les ports du pays aux navires de plus de 300.000 tonnes de port en lourd de capacité, au nom de la lutte contre les situations monopolistiques. Obligé de procéder à un transbordement de ses cargaisons à destination de la Chine dans des navires plus petits, Vale perd le bénéfice de coût associé à son énorme investissement.
Le bras de fer entre le groupe minier et les autorités chinoises va durer deux ans et demi. Sa solution va s'annoncer en septembre 2014, lorsque le brésilien ... passe un accord avec COSCO (China Ocean Shipping Corp.).


Epilogue annoncé

Le premier armateur chinois, particulièrement présent dans les vracs, se porte alors acquéreur de quatre Valemax, assortis d'un contrat d'affrètement de vingt-cinq ans par Vale. Et le groupe brésilien annonce un contrat comparable pour dix nouveaux vraquiers de même gabarit, à fabriquer par des chantiers chinois. En clair, COSCO est associé aux liaisons Brésil - Chine assurées pour le compte de Vale.
Le résultat escompté intervient en février 2015, lorsque le ministère des transports chinois relève de 300.000 à 400.000 tonnes de port en lourd la limite de gabarit autorisé dans les ports chinois. Ces derniers peuvent débloquer les chantiers de construction de quais adaptés qui avaient été engagées, et suspendues entre-temps.
La Chine est devenue un marché majeur pour les acteurs globaux du transport maritime, qu'il soit conteneurisé ou en vrac. Elle en a pleinement conscience, et se donne les moyens de récupérer une partie des bénéficies de l'énorme activité logistique que cette situation génère.


Jean-François Dufour, Directeur, DCA Chine-Analyse

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Commentaire 1
à écrit le 06/03/2015 à 20:55
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Les chinois ont vraiment l'intelligence d'utiliser la puissance de l'état, de tout état, pour favoriser l'apprentissage des entreprises chinoises en les couplant avec les meilleures multinationales.

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