La "grande" et la "petite" Europe !

Le temps est venu de constater lucidement les maux de chacune des "deux" Europe : la grande, celle du "marché", et la petite, celle des 18 pays qui partagent une même monnaie.
Florence Autret, correspondante à Bruxelles / DR

Il s'exprime avec la voix posée d'un homme soucieux de penser son époque et le scepticisme de ceux qui ont été confrontés à la difficulté d'agir. Philippe Herzog, député européen au moment de la Convention et fondateur du cercle de réflexion Confrontations Europe, reconnaît dans un sourire que, oui, les Britanniques ont peut-être raison quand ils font le diagnostic des insuffisances de cette Union européenne dont ils menacent de se séparer, à commencer par le gouvernement de cette « eurozone » dont Angela Merkel a dit en décembre qu'elle risquait de disparaître « comme la République démocratique allemande ».

Venant de la chancelière allemande, la remarque, faite dans le huis clos d'un Conseil européen et révélée par le quotidien Le Monde, a de quoi faire réfléchir. Elle qui a vécu cet effondrement historique de l'intérieur, depuis son bureau gris d'Adlershof, année après année, parle d'expérience. Il est désormais évident qu'il n'y a plus une Union, mais deux, également mal en point, mais atteintes de maux différents.

La "grande" et la "petite" Europe

La grande, celle du « marché ». Et la petite, celle des 18 pays qui partagent une même monnaie. La première souffre d'institutions à bout de souffle et d'une hypertrophie réglementaire. Dans certains domaines, l'harmonisation a été poussée au-delà du raisonnable, plus loin encore que dans cette Amérique fédérale qui reste pour les européistes, un modèle indépassable. La critique des lubies « régulationnistes » de la Commission européenne n'est plus depuis longtemps le monopole des eurosceptiques.

Le second cercle manque à l'inverse d'instruments adéquats. Ses institutions n'ont pas vieilli. Elles n'ont pas encore été inventées. Il lui faut un vrai gouvernement... et un budget. L'élection européenne qui vient serait le moment ou jamais d'en parler. Hélas, la campagne sera non seulement courte, mais elle risque d'être silencieuse sur ce point.

« Quel est le mandat de consolidation de l'eurozone ? On va aux élections dans un épais brouillard », déplore Philippe Herzog.

Le sort de ces deux corps européens qui cohabitent dans une même enveloppe institutionnelle est lié. La question du retrait britannique, qui plongerait l'intégration européenne dans une crise gravissime, et celle de la zone euro, reflet de l'incapacité de Paris et Berlin à sceller un nouveau pacte, vont de pair.

Angela Merkel, désireuse de conserver le Royaume-Uni à bord du paquebot européen, l'a parfaitement compris. Son scepticisme, sa défiance même à l'égard de la Commission européenne, n'est pas une fuite mais un appel.

« Il faut accepter l'idée d'une différenciation et travailler sur les deux cercles », explique Philippe Herzog.

C'est le sens de l'« Appel aux Européens de bonne volonté pour un Contrat de reconstruction », que vient de lancer Confrontations. Henri de Castries, Francis Mer, Bertrand Collomb et quelques autres personnalités y ont déjà apposé leur signature.

Les racines du mal sont si profondes - elles puisent dans la genèse même de l'intégration - que cette transformation ne se fera pas en un jour. Philippe Herzog en appelle à un travail de construction intellectuelle et convoque l'exemple de ces hauts fonctionnaires qui, dans les années 1930 et 1940, ont jeté « les bases de la reconstruction ». La bonne nouvelle est que ce travail est en cours.

Dans un petit essai*, Antoine Vauchez, directeur de recherche au CNRS, explore le « potentiel démocratique de l'Europe », après avoir longuement analysé cette « démocratie Potemkine » que demeure l'Union en dépit des multiples réformes institutionnelles. Cessons de tenter de transposer le modèle de la démocratie parlementaire à Bruxelles, dit-il en substance, mais tentons de « faire entrer dans le jeu de la politique démocratique » ces autorités « indépendantes » qui, de la Commission à la Cour de justice en passant par la BCE, dominent plus que jamais la « fabrique de l'Europe ».

Ce n'est pas si difficile. Encore faut-il repartir d'un constat lucide.

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* Démocratiser l'Europe, Éditions du Seuil, paru le 6 février.

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Commentaires 8
à écrit le 18/02/2014 à 19:38
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L'Europe est brouillonne avec tous les ingrédients qui perturbent son économie et la cohésion qu'il manque durablement dans son identité !

à écrit le 18/02/2014 à 17:26
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C'est bien ça le PROBLEME ! nous, hélas on veut nous faire avancer de FORCE dans celle des "marchés", ne nous étonnons pas qu'on y laisse toutes nos plumes!!!! et c'est pas fini!

à écrit le 18/02/2014 à 16:57
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On reste un peu sur sa faim. Quid de l'évident déficit de représentativité de nos institutions? Quid de l'évident déni de démocratie depuis trop longtemps? Quid des contre-pouvoirs qui ne soient à l'image des blocages internes aux nations, dominés pa...

à écrit le 18/02/2014 à 13:27
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le slalom géant des gouvernants en Hollandie fait pitié !

à écrit le 18/02/2014 à 13:22
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L' Europe, du Fédéralisme et de la Royauté ... serait un model moderne pertinent ,pour en finir du technocratisme concentrationnaire de Bruxelles....

à écrit le 18/02/2014 à 13:08
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Le problème de fond est très simple : aucune vision. Tout est fait par des petits arrangements entre amis, au petit bonheur la chance, sans aucun grand cap partagé par tous les peuples. Bxl passe son temps a enquiller des textes abscons a des peuples...

le 18/02/2014 à 13:51
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Les caps ne peut pas être partagé par tous les peuples, car il est au profit des seules élites, les initiés. Les peuples européen ont été enlisés dans la "Crise" et se débattent pour survivre, ce qui laisse le temps aux élites d'atteindre leurs obje...

le 18/02/2014 à 18:41
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On ne peut mieux dire !! +++++

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