La magie est morte... pas la crise !

L'autre jour, quelques centaines de journalistes s'étaient entassés dans un hall étriqué pour «couvrir» l'entrée du très médiatique nouveau ministre des Finances grec, Yannis Varoufakis, dans le cénacle de l'Eurogroupe. Le Juste Lipse avait été bouclé pour cause de Conseil européen.
Florence Autret
De gauche à droite, Yannis Varoufakis dans le cénacle de l'Eurogroupe.

Tout le monde était réfugié au Lex, à 200 m de là. Les places manquaient. On reparlait d'un «Grexit». Depuis Francfort, Mario Draghi avait averti qu'il se donnait la liberté de couper le robinet aux banques grecques à la fin du mois. La tension remontait.

Sous la lumière blafarde des néons, on parlait beaucoup

Vers 22 heures, on murmurait que Varoufakis avait longuement tenu le crachoir... mais qu'il était venu sans «papier», autrement dit sans demandes précises à partir desquelles négocier. Le distributeur automatique, qui fait office de bar, ne crachait plus que des sodas depuis longtemps. La promiscuité, ajoutée au nouvel épisode du drame grec, allait faire renaître l'atmosphère fiévreuse des grandes heures de 2010-2011, quand l'Europe était au bord du gouffre et que, tous les trois jours, les ministres «sauvaient le monde». Mais le coeur n'y était pas. Le sentiment que l'heure était historique, que l'aventure européenne risquait de s'arrêter ne faisait pas vibrer l'air.

Peut-être parce que la Grèce avait encore quelques jours pour choisir entre négocier sérieusement et palabrer. Peut-être aussi parce que la petite communauté des chroniqueurs bruxellois, réunie une fois de plus dans les coulisses de la politique européenne, était frappée par le syndrome de l'habitude. On avait tant de fois frôlé le précipice, on s'en était toujours sorti. Il y aurait toujours, en fin de compte, un communiqué pour donner aux marchés de quoi calmer leur anxiété.

Cette nuit-là, pas d'anxiété

Vers minuit, un Jeroen Dijselbloem visiblement las se présenta devant la presse pour dire... qu'il n'avait rien à dire. Les trois paragraphes du communiqué pourtant sibyllin que le président de l'Eurogroupe était censé commenter, sur lequel les ministres avaient planché pendant quatre heures, venaient d'être jetés aux orties depuis Athènes par Alexis Tsirpas. Le Premier ministre grec venait d'interdire à Varoufakis de signer ces quelques lignes... alors même que le ministre allemand Wolfgang Schäuble, plus las encore qu'excédé, avait déjà quitté la salle.

C'était la fin non pas d'une nuit mais d'une réunion blanche, sabotée par la violation des codes non écrits de la politique européenne, qui veut qu'en dépit des différends, la voix de la zone euro se fasse entendre. Cette nuit-là, l'euro était aphone. Chacun reprit, fatigué, le chemin de la maison, tablant sur la réunion convoquée cinq jours plus tard... laquelle échoua de nouveau, en attendant la suivante. Le coeur n'y était plus. Pourtant, on venait d'assister aux premiers feux d'une révolution qui présente pour l'aventure européenne un risque supérieur encore à l'anxiété des marchés, qui avait causé le stress immense de 2010. Le changement de génération politique en train d'intervenir fait plus que compliquer les combinaisons parlementaires à Strasbourg.

Il modifie la donne de façon imprévisible, parce qu'il pourrait vider de sa force la mécanique bruxelloise, laquelle réside dans l'impératif du compromis et l'efficacité, quoi qu'on en dise, de ses procédures de négociation.

Même si l'on peut faire le pari - pas totalement sans risque - que l'on finira par trouver une solution de moyen terme au cas grec, le fait est là : en Espagne, avec Podemos, en France, avec le Front national, en Italie, avec Cinq Étoiles, au Royaume-Uni, avec Ukip, en Finlande, avec les Nouveaux Finlandais, partout de nouveaux pouvoirs exécutifs menacent de s'installer, qui ne joueront plus le jeu comme les partis traditionnels.

La magie de la crise qui nous a tenus en haleine jusqu'au bout de la nuit n'y est plus. Mais la menace, elle, est plus grande que jamais.

Florence Autret

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Commentaire 1
à écrit le 04/03/2015 à 19:36
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Il faut se méfier de la Magie... C'est comme ça que commencent toutes les Crises.

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