Altice en Bourse : les raisons d’un désamour

Depuis début septembre, le titre de la maison-mère de Numericable-SFR a perdu près de 41% de sa valeur. Après ses multiples acquisitions, dont les droits de la Premier League ce jeudi, bien accueillie par le marché (+7,5%), Altice, qui cumule désormais 45 milliards d'euros de dettes, n’a plus autant la cote auprès des investisseurs.
Pierre Manière
Patrick Drahi, le patron d'Altice, maison-mère de Numericable-SFR.

La confiance des investisseurs est comme un soufflé : elle peut vite retomber. C'est ce qui s'est passé avec Patrick Drahi, le magnat franco-israélien des télécoms et des médias. En trois petits mois, depuis début septembre, l'action de sa holding Altice (la maison-mère de Numericable-SFR en France) a dégringolé de 41%, à 14 euros. Pourtant, en cette fin d'été, les voyants semblent au vert. Patrick Drahi fait la Une des journaux. Ceux-ci multiplient les portraits de cet homme d'affaires, présenté comme le « champion du LBO », rachetant à tour de bras des opérateurs télécoms dans le monde entier.

En France, après avoir consolidé un secteur du câble moribond dans les années 2000, il s'est offert coup sur coup de très gros opérateurs télécoms. Il y a SFR bien sûr, mais aussi Portugal Telecom ou encore le cablô-opérateur américain Suddenlink. Seul bémol dans la stratégie d'acquisitions du groupe : son échec à mettre la main sur Bouygues Telecom en juin dernier.

En parallèle, Patrick Drahi se construit un empire dans les médias. Il avale Libération, les titres français du groupe belge Roularta (L'Express, L'Expansion...), avant de mettre la main sur NextRadioTV (BFMTV, RMC...), en juillet dernier. Et ce jeudi, sur les droits de la Premier League, le très coté championnat de football anglais, pour 300 millions d'euros selon Les Echos.

L'acquisition de Cablevision : un tournant

A la rentrée, Patrick Drahi marche l'eau. Si beaucoup s'inquiètent déjà de la dette colossale d'Altice, qui s'élève alors à 33 milliards d'euros, ce nouveau « capitaine d'industrie » argue qu'il est tout à fait capable de la rembourser - notamment en taillant dans les coûts de ses acquisitions, un exercice où il est passé maître. Surtout, il assure que ses emplettes relèvent bien d'une « logique industrielle », plaidant notamment en faveur d'une convergence entre les médias et les télécoms.

Lire aussi : Télécoms, médias : qui remportera la mise ?

A ce moment-là, tout va pour le mieux chez Altice. Les résultats du second trimestre de Numericable-SFR, publiés le 29 juillet, l'illustrent. Malgré une véritable hémorragie de clients (plus de 700.000 dans l'Internet mobile et fixe), la Bourse ne moufte pas. Mieux, le titre progresse de plus de 3%, et celui d'Altice, de 4,1%, les investisseurs saluant les performances financières de l'opérateur, tirées par une forte cure d'austérité.

Mais il y a eu le jeudi 17 septembre. Ce jour-là, Altice annonce une énième grosse acquisition. Il s'agit de Cablevision, un des leaders du câble outre-Atlantique, pour 17,7 milliards de dollars. Après Patrick Drahi « le magnat des télécoms », Patrick Drahi « le champion des médias », voici Patrick Drahi « l'Américain », qui veut participer à la consolidation du câble au pays de l'Oncle Sam. Au lendemain de l'annonce, une grande réunion sur les médias et les télécoms est organisée à New York par la banque Goldman Sachs. L'événement se déroule au Conrad, un grand hôtel de luxe. Invité de prestige, Patrick Drahi y reçoit « un accueil de rock star », rapporte une dépêche AFP. Tous les grands médias sont là, « prêts à boire les mots du milliardaire français », poursuit l'agence. Laquelle renchérit : « Depuis Jean-Marie Messier, aucun patron français n'avait suscité autant d'intérêt au sein de la communauté financière américaine. »

Un emprunt obligataire qui déçoit

Mais la fête est de courte durée. En coulisse, Altice a une priorité : boucler le financement de son nouveau bébé américain. Et une semaine plus tard, le 25 septembre, le groupe essuie un premier revers. Ce jour-là, Altice a dû réduire le montant d'une émission obligataire à haut rendement pour financer une partie du rachat de Cablevision à 4,8 milliards de dollars, alors qu'il en espérait 6,3 milliards. En cinq séances, le titre de la holding fond de 12,5%, à 18,72 euros.

Une dégringolade qui pousse Goldman Sachs à se fendre d'une note, baptisée « What's up with Altice » (« Que se passe-t-il avec Altice ? »). La banque d'affaires constate que cet emprunt tombe au mauvais moment. De fait, le groupe pâtit « des conditions plus difficiles sur le marché du crédit, qui reflètent en partie la hausse des risques de défaut des sociétés liées au secteur de l'énergie », écrivent ses analystes. Dans ce contexte tendu, Goldman Sachs juge qu'« Altice a peut-être atteint les limites du marché de la dette pour financer ses fusions et acquisitions ».

Lire aussi : Et si les marchés disaient « stop » à Patrick Drahi ?

Dexter Goei, le DG d'Altice, en est d'ailleurs bien conscient. De manière préventive, juste avant l'emprunt obligataire, il déclare à l'agence Bloomberg que le groupe va faire une « pause » dans ses grandes acquisitions, laquelle pourrait durer « deux ans »...

Un « excès de confiance » ?

Pas de quoi, malgré tout, réconforter les marchés. Le 1er octobre, Altice lance une augmentation de capital pour boucler son deal américain. Si l'opération était prévue, la holding ne lève toutefois que 1,61 milliards d'euros sur les 1,8 milliards espérés. Lors de cette séance, le titre dégringole de 9,32%. Certes, une baisse est logique puisqu'il y a maintenant plus de titres disponibles. Mais son importance témoigne d'une certaine méfiance. D'après un analyste, « Altice a trop attendu pour faire cette augmentation de capital. Ce n'était pas malin. Peut-être ont-ils pêché par excès de confiance... »

Reste que l'épisode a suffi à relancer les inquiétudes sur l'énorme dette du groupe, qui flirte désormais avec les 45 milliards d'euros. Malgré une brève remontée du cours jusqu'au 8 octobre, celui-ci s'est lentement effrité jusqu'à aujourd'hui. Surtout, le ton a changé. Fini le temps où les investisseurs se contentaient des bonnes performances financières de Numericable-SFR. Le 28 octobre, le cours de l'opérateur et celui d'Altice ont chuté respectivement de 3,92% et 9,74% dans la foulée des résultats du troisième trimestre de l'opérateur. Et ce, quand bien même Numericable-SFR a cette fois limité la fuite d'abonnés. Dorénavant, « la perte de clients », même si elle est moindre qu'avant, constitue une crainte pour les investisseurs, estime Xavier Villepion, un vendeur d'action de HPC à l'AFP.

« La priorité, maintenant, ce sont les réseaux »

La baisse du cours d'Altice n'est pas sans conséquence. Certaines sont immédiates : ce lundi, Patrick Drahi a annoncé la cession de 7,5% d'Altice via Next, sa holding personnelle avec laquelle il contrôle la maison-mère de Numericable-SFR. Et ce, pour rembourser de précédents emprunts, décrochés en apportant des titres Altice en garantie. En agissant de la sorte, Patrick Drahi s'est ainsi protégé contre des « appels de marges », qui permettent au créancier de demander de l'argent à l'emprunteur lorsque les garanties (les titres Altice donc) sont trop affaiblies. Une manœuvre qui a, une fois encore, provoqué une chute de 9,35% de l'action ce mardi.

Aujourd'hui, Patrick Drahi « le financier » fait davantage couler d'encre que Patrick Drahi « l'industriel ». Or « maintenant, la priorité, ce sont les réseaux », juge un analyste. Avant de renchérir : « C'est en tant qu'ingénieur que M. Drahi a selon moi le plus de chance de briller. »

Pierre Manière

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 27/11/2015 à 15:12
Signaler
Qu'il ait du talent, c'est indiscutable. Mais mérite-t-il le qualificatif de "capitaine d'industrie" alors que tout semble accréditer chez lui une stratégie à très court terme basée sur un endettement pharaonique ? Que dire de la manière dont sont ...

à écrit le 27/11/2015 à 7:44
Signaler
Serait-ce le début de la fin ? La présence médiatique du manager n'est pas forcément un bon signe. Plus l'on veut rassurer et plus l'on met le doute...il a été encensé par les médias et tout particulièrement par les journalistes économiques mais aujo...

à écrit le 26/11/2015 à 23:03
Signaler
Qu'il est glouton ce bonhomme !

à écrit le 26/11/2015 à 21:39
Signaler
Ce capitalisme de pacotille est tout le contraire de l'esprit d entreprise. Il ferait mieux de jouer au casino.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.