"Le recul des devises émergentes a amélioré la compétitivité avec des risques maîtrisés"

Frédéric Rollin, conseiller en Stratégie d'investissement chez Pictet AM dresse un bilan de la situation des pays émergents face à la perspective de hausse des taux d'intérêt de la Réserve fédérale américaine. Pour lui, les pays émergents ne sont pas dans la situation de 1994 et ont réussi à circonscrire les principaux risques.
La baisse des devises émergentes a permis de restaurer une compétitivité mise à mal par la crise économique.

La baisse des devises des pays émergents a renforcé la compétitivité de ces pays pour quelles raisons d'après vous ?

La baisse des devises émergentes est en grande partie la conséquence de la dynamique haussière du dollar US, soutenu par la perspective d'une hausse des taux de la Réserve fédérale américaine. Le manque de réformes structurelles dans les pays émergents a certes pesé sur leurs devises, mais ceci n'est pas la raison principale de la dépréciation de leur monnaie. On voit  d'ailleurs que le dollar US monte contre la plupart des monnaies, y compris l'Euro et le Yen. Le recul des devises émergentes va améliorer significativement la compétitivité de ces pays. On peut donc parler de dévaluation compétitive, plus que de crise de confiance. En 2015, les pays émergents vont bénéficier à la fois de l'amélioration de leur compétitivité et de la reprise très probable de la consommation américaine. On devrait donc assister à un rebond de la croissance économique et des marges des entreprises dans ces pays.

Vous attendez-vous à ce que la baisse des devises s'accentuent lorsque la Fed aura procédé à la hausse de ses taux ?

Notre sentiment c'est que la Fed va agir très prudemment. Les salaires et l'inflation n'augmentent que très progressivement. La Fed n'est pas en retard dans sa politique et ne devrait pas accélérer son mouvement comme elle avait pu le faire en 1994. De plus, les marchés sont largement préparés aux hausses de taux américaines. Nous sommes probablement donc proches des plus bas des devises émergentes. Il pourrait y avoir encore un peu de baisse, mais n'oublions pas l'adage « on achète au son du canon ». Quand la date des hausses de taux de la Fed se précisera, peut-être à leur prochaine réunion, il faudra songer à revenir avec force sur ces marchés.

Les risques sont-ils pour autant maitrisés ?

Ces devises sont très largement sous-évaluées et les taux de rendements sont très élevés. C'est un confort important pour tout investisseur. Par ailleurs, nous ne sommes pas du tout dans le schéma de 1998. A l'époque, les pays étaient fortement emprunteurs en dollar et liaient leurs monnaies au dollar US sur des parités fixées. Sous la pression des marchés, les pays avaient dû abandonner les parités fixes et les monnaies avaient coulé. Le coût de la dette, en dollar US, avait explosé par rapport à la richesse des pays, en monnaies locales dépréciées. Ceci avait alors précipité ces pays dans l'insolvabilité. Aujourd'hui, la plupart des pays sont emprunteurs sur leurs propres devises et n'ont en général pas de parité fixe à défendre. Le risque de crise profonde est donc pour l'essentiel écarté. Au contraire, les autorités ont maintenu des taux monétaires élevés de façon à se défendre contre le retour de l'inflation. Ceci a eu pour effet de maintenir la confiance des investisseurs dans ces pays. Le ralentissement économique modéré qui en a toutefois résulté se  résorbera au redémarrage de l'économie mondiale. Nous en voyons aujourd'hui les prémices.

La compétitivité de ces pays semble toutefois favorisée par cet effet devise. Qu'en est-il de sa réalité structurelle ?

La détérioration de la compétitivité des pays émergents de ces dernières années est en grande partie la conséquence d'une économie mondiale faible. Plus proches des pouvoirs publics et plus soucieuses de paix sociale, les grandes entreprises émergentes n'ajustent que lentement leurs effectifs au ralentissement économique. La crise de 2008 a en conséquence largement grevé leurs marges ou leur compétitivité. Aujourd'hui le retour de la croissance s'accompagne naturellement d'un regain de productivité. De plus, les pays émergents ont engagé de grandes réformes afin de moderniser leurs économies encore trop dépendantes de l'Etat. Exemple concret, le gouvernement indien de monsieur Modi a embauché 1000 fonctionnaires afin de débloquer l'enregistrement de brevets, qui peut encore aujourd'hui prendre plusieurs années.

Est-ce que la baisse des matières premières n'est pas à double tranchant pour les pays émergents ?

La baisse des matières premières et l'environnement macroéconomique global -hausse des taux de la Fed et retour du consommateur américain - nous conduisent à favoriser l'Asie dans le monde émergent. Cette région est importatrice de matières premières et exportatrices de biens de consommation aux US. De plus, elle est largement créditrice et souffrira donc moins d'une hausse prolongée du dollar US. La Russie se trouve dans une situation opposée en raison de la baisse massive des prix du pétrole et des tensions en Ukraine. La baisse du rouble est toutefois déjà très prononcée. L'Amérique Latine, largement endettée et exportatrice de matières première est dans une situation macroéconomique délicate. Ceci devrait être temporaire, grâce au retour en force de leurs voisins étatsuniens.

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Commentaires 2
à écrit le 05/03/2015 à 10:44
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En 2009, 100 euros = 1000 yuans aujourd'hui 100 euros = 699 yuans ! De quelle baisse parlez vous ?

à écrit le 05/03/2015 à 10:00
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Résident en Asie du Sud-Est; contrairement à ce que dit l'article, je ne vois pas que les monnaies locales baissent par rapport au dollar, bien au contraire comme elles y sont liés pour la majorité d'entre elles, elles bondissent aussi vite notamment...

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