De futurs ingénieurs plus humains que transhumanistes

À l’ESIEA, école d’ingénieurs du numérique, en plus des mathématiques, de la physique, de l’informatique, de l’électronique et des systèmes, on enseigne la relation à l’autre.
« Leur métier n'est pas du côté du scientisme mais du côté de l'humain. »

Les projets de formation humaine s'inscrivent dans la lignée des valeurs humanistes de Maurice Lafargue, fondateur de l'ESIEA. Qu'ils soient liés au sport, à la culture, à l'humanitaire ou autre, ils consistent pour les étudiants« à aller à la rencontre des personnes qui ne leur ressemblent pas »,explique Bruno Bisaro qui en est responsable au sein de l'école. Et pour « aller à la rencontre », il faut bouger, notamment les idées reçues que chacun trimballe dans son bagage personnel.

Quand on vient étudier l'informatique, plongé dans la culture geek comme peut l'être en 2016 tout passionné de numérique, quand on arrive avec des préjugés sur la façon de penser la science et la société, qui véhiculent l'idée qu'on vit dans un monde révolutionnaire parce que révolutionné par les « nouvelles » technologies, on ne s'attend pas forcément en effet à ce qu'un enseignant (lui-même issu d'une école de commerce et d'une formation de comédien), affirme tranquillement :

« L'Oculus Rift (ndlr : périphérique informatique de réalité virtuelle), sur le plan de la modernité, ce n'est pas un apport. »

Et de développer en s'appuyant sur l'histoire de la peinture, en un voyage dans le passé, du début XIVe siècle à la fin du XVIe, plutôt que dans le futur :

« La perspective existe depuis les peintres de la Renaissance, les technologies d'aujourd'hui ne sont pas des révolutions mais des choses qui s'ajoutent. »

« Leur métier n'est pas du côté du scientisme mais du côté de l'humain »

Il s'agit pour Bruno Bisaro de casser le culte du scientisme, d'expliquer ce qui sous-tend un discours auquel ces étudiants sont très sensibles, celui du transhumanisme :

« C'est un fascisme, les écoles d'ingénieurs ont tout à gagner à être très vigilantes pour ne pas laisser entrer ces foutaises dans leur enseignement. Je rappelle aux étudiants que leur métier n'est pas du côté du scientisme et du transhumanisme mais du côté de l'humain, je les incite à observer comment les hommes et les femmes vivent, leur quotidien. »

Puisque l'ingénieur.e est un homme ou une femme d'expérience, l'expérience doit être aussi humaine. Cette formation consiste donc à découvrir sur le terrain la réalité de la fracture numérique, ou celle de la grande précarité des femmes seules, leur fragilité face au chômage plus grande que celle des hommes, à s'interroger sur la façon d'intégrer les sujets du handicap dans l'élaboration de leur projet, à réfléchir aux façons dont l'innovation peut réduire les inégalités, rendre la culture plus accessible, etc.

« Des étudiants peuvent penser que le but des technologies est de se passer de l'humain, j'en entends parfois certains dire qu'ils vont proposer telle machine à l'entreprise, comme ça elle n'aura plus besoin de l'humain, alors je les pousse à réfléchir aux conséquences d'une innovation sur l'emploi. S'ils occultent la question de l'humain dans leur projet, celui-ci n'est pas valable », explique-t-il.

Au cas où ces étudiants l'oublieraient, le métier d'ingénieur est de faire en sorte que les hommes et les femmes vivent mieux grâce aux innovations, pas de s'enfermer dans la technique. L'éthique est un moyen de le leur rappeler. Au programme de cette formation, ni enfermement dans la technologie ni fascination pour elle donc mais des mises en perspective et quelques tirades iconoclastes que le professeur-comédien réserve à son public geek :

« Quand vous regardez un tableau, vous pouvez être dedans et dehors alors qu'avec des lunettes 3D vous êtes enfermés dans l'image. La révolution numérique n'a rien changé dans la perception du réel.»

Perplexité dans la salle. Bruno Bisaro explique :

« Les ingénieurs du numérique sont trop actuels et pas assez virtuels au sens de la scolastique du Moyen-Âge, il ne faut pas oublier que quelque chose existe virtuellement, c'est-à-dire en puissance, avant d'exister actuellement, c'est-à-dire de façon tangible. »

Silence de l'auditoire puis stupeur et tremblements. « Vous vous êtes vus, tous en tee-shirt ? On dirait des moines... »

Ses saillies visent à interpeller les étudiants tentés par la "religion" du tout numérique, à provoquer leur questionnement.

De futurs managers, responsables et citoyens

« On ne choisit pas n'importe comment ce métier qui bouleverse la vie des gens, il s'agit d'être responsable et citoyen, et c'est par l'expérience du terrain plus que par la théorie que cet apprentissage est possible », poursuit notre interlocuteur. Ces futurs ingénieurs sont de potentiels futurs managers qui seront confrontés à la question du pouvoir, ne serait-ce que celui qui permet de faire aboutir un projet en entreprise. La communication, c'est de la relation à l'autre, c'est aussi du pouvoir, une façon de l'exercer et il s'agit également de donner des outils aux ingénieurs pour mieux communiquer. Possible aussi que cette formation puisse « aider cette génération très courageuse, confrontée à des choses très rudes, à voir les choses autrement, à croire à nouveau en l'humain ».

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Commentaires 3
à écrit le 30/10/2016 à 13:17
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Stop arrêté de faire des études trop longues. Impôts, taxes diverses, perte d'aides à cause de plafond, etc....... vous attendent au tournant. Attendez calmement que le salaire unique se mette en place. Où alors quitter la France.

à écrit le 04/08/2016 à 9:39
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Amusant de constater que les préjugés, les idées pré-conçues ne sont valables uniquement que lorsque celles-ci se trouvent chez des personnes en dehors de la pensée unique. Amusant également le point godwin direct "fascisme", ce M. étant incapable ...

le 05/08/2016 à 20:33
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Je suis tout à fait d'accord avec ce commentaire et notamment le passage concernant la conséquence ultime du capitalisme... La formation humaine ne peut se définir pour moi ni comme discipline universitaire (les sciences humaines ayant évincé l'homme...

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