Les classements des grandes écoles sont-ils fiables ?

Les classements des grandes écoles répondent à une demande forte des étudiants et de leurs parents. Pourtant, leur fiabilité est souvent contestée. En cause : leurs objectifs, variables d'un système à l'autre sans que cela soit précisé, les critères retenus, qui ne correspondent pas toujours à la réalité des écoles sondées, et la nature de l'information, peu contrôlée...
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Tous les ans, les institutions d'enseignement supérieur sont classées. Qu'il s'agisse- de palmarès internationaux (The Financial Times, Forbes, Shanghai Jiao Tong University Institute of Higher Education, etc.) ou nationaux (L'Étudiant, Le Point, L'Usine Nouvelle, Challenge, Capital, etc.), ces classements sont attendus et appréhendés par tous. Mais sait-on toujours comment sont établies ces hiérarchies d'établissements et connaît-on leurs réels objectifs ?
L'ambition de ces classifications consiste à réduire une information complexe sur un ensemble de mesures correspondant à une mission, à une performance et à une position relative d'une école dans la population de ses pairs. Dès lors, des critères d'évaluation sont définis par chaque classement et c'est à ce moment-là que les choses se complexifient... Un classement se construit toujours par rapport à un objectif de départ qui en détermine fortement le résultat et, de cette volonté de classer des écoles, qui par nature ne se ressemblent pas, naît une hétérogénéité des critères valorisés. Pour révéler le potentiel de chaque structure, les classements s'efforcent notamment d'apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : quelle est la pédagogie ? Quelles sont les accréditations ? Quelle est la sélectivité ? Quelle est la valeur ajoutée ? Quel est le nombre de contrats de recherche ? Quel est le nombre de doctorants et de post-doctorants ? Quelle est la dimension internationale ? Quelle est l'insertion dans le monde du travail ? Quelle est la satisfaction des anciens diplômés ? Comme l'analyse Stéphane Grégoir, directeur de la recherche- à l'Edhec, «s'il est difficile de construire- une mesure unique susceptible de satisfaire tous les besoins, les dimensions analysées doivent être clairement énoncées pour chaque hiérarchie à partir des données mobilisées et des pondérations attribuées aux différents critères retenus. Les utilisateurs potentiels, qui ont souvent une méconnaissance totale du sujet, doivent être en mesure d'apprécier la pertinence de ceux-ci pour se faire une idée précise de la nature de l'information apportée par les classements.» Pour Marc Drillech, directeur général du groupe Ionis, «dans les classements, tout est affaire de critères. Une école peut être très forte dans un aspect qui fait sa spécificité. Mais, malheureusement, si celui-ci n'est pas intégré ou peu valorisé dans la classification, elle sera mal notée. C'est dangereux, car cela ne reflète pas la qualité de l'enseignement et la personnalité de chaque structure.» Seule certitude, le succès des rankings entraîne deux conséquences : ils montrent des évidences à ceux qui maîtrisent le secteur, et génèrent une appropriation immédiate par ceux qui ne le connaissent pas. Pourtant, au-delà des dix premiers établissements, les écarts entre les écoles deviennent extrêmement ténus et ne signifient pas grand-chose. Or, la formulation en classement ne fait qu'exacerber des différences mineures. Cette vision est également partagée par Erwan Poiraud, directeur de l'Institut international du commerce et du développement (ICD), appartenant au groupe IGS. «Les classements réduisent une information pédagogique avec des critères quantitatifs. En raison de l'établissement de critères rigides, nous sommes contraints de faire apparaître l'ICD sous sa propre marque. Or, cette situation ne correspond pas à la réalité, puisque nos étudiants bénéficient au quotidien de la puissance de notre groupe. Cette réduction quantitative peut s'illustrer par deux exemples criants. Tout d'abord, nous disposons d'un grand campus parisien dédié à l'ensemble du groupe auquel tous nos étudiants, quelle- que soit leur structure d'accueil, peuvent accéder. Or, dans les questionnaires-, nous devons limiter notre campus au seul espace ICD, ce qui est dénué de sens. Nous faisons le même constat avec nos professeurs permanents ou chercheurs. Ceux qui sont mutualisés avec le groupe IGS ne sont pas comptabilisés dans les palmarès, ce qui réduit considérablement la puissance de notre corps professoral. Mais là encore, cela ne correspond pas à la réalité de notre enseignement pédagogique.»
Pour de nombreux directeurs d'école, la qualité de l'enseignement n'est jamais abordée de manière tangible par ces classements. Elle est perçue à travers des faisceaux, comme la pédagogie, trop souvent associée au ratio étudiants/enseignants-chercheurs permanents et au nombre d'enseignants invités.

Créer des avantages concurrentiels dans une offre obscure et pléthorique

Même si les classements sont souvent décriés, leurs enjeux sont indéniables. Ils jouent un rôle considérable dans l'information des candidats et de leurs parents. En attirant de manière régulière le regard sur les écoles, ils leur apportent de la notoriété et se positionnent par conséquent comme des outils de réassurance pour les parents qui souhaitent pouvoir juger rapidement si l'investissement réalisé ne sera pas perdu. Comme l'explique Olivier Oger, directeur de l'Edhec, « les rankings constituent un indicateur de la performance d'une école?; indicateur facilement accessible et le plus utilisé par les candidats. Ils ne connaissent pas le monde de l'enseignement supérieur et vont recourir aux classements pour légitimer leur choix. C'est terrifiant, car il arrive que des élèves choisissent une école sans même connaître son projet pédagogique... » Sentiment partagé par Erwan Poiraud qui va plus loin dans le constat : « Les candidats et leurs parents ne prennent pas en considération les critères retenus par les classements, ils regardent simplement la place de l'école convoitée... »
Si les classements permettent également de se positionner vis-à-vis de la concurrence, ils jouent peu de rôle dans les partenariats noués par les écoles avec le monde- de l'entreprise. Comme le souligne Marianne Laigneau, DRH du groupe EDF, « Nous regardons les palmarès comme toutes les entreprises qui ont des liens avec le monde de l'enseignement, mais cela n'influence pas notre politique de recrutement. Notre ambition est de nouer des relations privilégiées avec des établissements qui répondent à nos besoins de compétence et à nos enjeux de développement. Nous sommes ainsi présents dans la gouvernance (au conseil d'administration ou au conseil scientifique) de plusieurs écoles d'ingénieurs ou d'universités avec lesquelles nous identifions des formations susceptibles de correspondre à nos enjeux. Nous avons par exemple financé la création du master international Nuclear Energy à Paris XI-Sceaux, en partenariat notamment avec Supélec et Centrale en 2009. Cette formation accueille aujourd'hui une centaine d'étudiants. »

Une fiabilité des données très relative

Les classements fonctionnent sur le principe déclaratif. Si tout le monde s'accorde à dire que les risques encourus sont trop importants en cas de mensonge avéré, il reste que la véracité des informations données par les écoles est difficilement contrôlable. Dès lors, deux problèmes majeurs émergent. D'une part, il existe plusieurs façons de comprendre une question, et donc d'y répondre. Par exemple, la notion de salaire ne recouvre pas la même acception dans le secteur privé que dans l'enseignement public où les rémunérations ne sont pas indexées au budget puisqu'elles sont versées par le ministère de l'Éducation nationale. D'autre part, il n'y a pas de vérification suffisante de la part des organismes enquêteurs qui ne sont pas outillés pour sonder les écoles et contrôler les données transmises. Pour Bernard Ramanantsoa, directeur d'HEC Paris, « si les classements permettent de se repérer par rapport à la concurrence, il est nécessaire de les analyser en toute prudence. Un ranking ne doit jamais être accepté tel quel. Il faut bien comprendre que les critères varient énormément d'un classement à un autre ; c'est la raison pour laquelle le périmètre et les chiffres doivent être étudiés dans le détail. Au final, les rankings donnent l'état d'esprit d'un marché. Les directeurs d'école se comportent un peu comme des chefs d'entreprise avec le cours de la Bourse : ils étudient les classements même si ceux-ci ne traduisent pas le reflet immédiat de leur performance. »

Un système conservateur
Les sondages menés auprès des anciens diplômés peuvent informer sur le regard que portent ces derniers, à l'aune de leur expérience professionnelle, sur le contenu des programmes et les conditions d'enseignement. Ils permettent également aux anciens d'évaluer eux-mêmes leurs compétences et qualifications acquises grâce à ces programmes par rapport aux exigences réelles de la vie professionnelle. Cet aspect positif et utile aux futurs étudiants est pourtant contrebalancé par une forte tendance au conservatisme. Comme le sou-ligne Stéphane Grégoir, « l'un des grands travers des classements est leur dimension conservatrice. En interrogeant les anciens diplômés, les palmarès sont tournés vers le passé. À aucun moment, ces grilles de classification ne vont mesurer l'état ou la pertinence des programmes et de l'orientation des activités de la recherche de l'école au moment où l'élève va l'intégrer. »

Une tendance forte à la normalisation

L'uniformisation des écoles est l'un des constats les plus frappants des classements. À l'heure où tous les gouvernements assurent qu'une diversité des établissements d'enseignement supérieur est une nécessité, un seul modèle est finalement valorisé par ces palmarès, celui des écoles qui investissent massivement dans la recherche. Celles qui mettent en avant leurs spécificités ou qui s'inscrivent fortement dans leur environnement local sont ignorées et, par voie de conséquence, déconsidérées aux yeux de l'opinion publique. De plus, de nombreux États engagent des politiques publiques centrées sur l'objectif de faire monter quelques institutions dans les palmarès internationaux. Or, cette posture fait peser une grave menace sur la diversité du paysage de l'enseignement supérieur. Afin de progresser dans ces classifications, certaines écoles sont tentées d'améliorer leurs performances dans les secteurs pris en compte par les classements au détriment de leur personnalité. Pour Pierre Tapie, directeur de la Conférence des grandes écoles et de l'Essec-, « les rankings tendent à transformer le paysage universitaire en un milieu homogène et commercial dans lequel le critère normatif constitue l'élément principal. Les écoles oublient leur première vocation : elles deviennent désormais un marché de commodité au lieu de se positionner comme un service public où les consommateurs peuvent trouver des systèmes pédagogiques variés. Cette tendance à la globalisation provoque des dégâts considérables sur la qualité intrinsèque de chaque école. Et ce pour une double raison : afin de figurer en bonne position dans les classements, de plus en plus d'écoles nient leurs spécificités pour s'intégrer dans un moule. Et celles qui résistent ne savent plus comment innover pour échapper à la normalisation. »

En quête d'amélioration

Les directeurs d'école ne sont pas opposés par principe aux classements. Ils existent et peuvent être utiles pour conforter la notoriété d'un établissement ou se repérer par rapport à la concurrence. Cependant le dispositif doit être amélioré dans ses ambitions et les procédures déployées. Comme l'explique Jean-Pierre Lahille, directeur du Groupe ESC Pau, « de plus en plus, l'objectif premier - qui est d'informer sur la qualité du parcours, les coûts de scolarité, le réseau avec les entreprises - est gommé au profit de la taille des établissements. Pour être vraiment objectif, un journaliste devrait juger sur place au lieu de définir en amont des critères objectifs et des pondérations qui ne peuvent coller à la réalité de toutes les écoles. »
L'une des améliorations possibles souvent évoquée par les directeurs d'école est la possibilité de ranger ces structures dans plusieurs classements. Chaque palmarès, en répondant à des objectifs précis, n'interrogerait que des écoles pouvant y prétendre. Autre hypothèse pour apporter une mesure comparative des performances : sonder les établissements selon des indicateurs précis sans apporter de pondération. Cette étape est laissée aux consommateurs qui pondèrent eux-mêmes les critères selon l'importance qu'ils y accordent. C'est dans cet objectif que le Centre for Higher Education Development (CHE) publie depuis 1998 un classement des établissements d'enseignement supérieur allemands. Ce classement combine des critères d'intérêt pour l'usager (logement, restauration, bibliothèque, etc.), basés sur des critères académiques ainsi qu'une enquête auprès de milliers d'étudiants et des professeurs. Pour la lecture des classements, un modèle de décision est créé pour chaque usager. Celui-ci sélectionne ses critères et obtient ainsi une infinité de classements partiels en fonction de ses attentes.
Par ailleurs, en 2008, Valérie Pécresse, alors ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, avait fait de l'élaboration d'un classement européen des universités une priorité de la présidence française de l'Union européenne. Ce classement dit « de Bruxelles » devrait mettre en avant les valeurs européennes et permettre de faire ressortir les meilleurs établissements d'enseignement supérieur par discipline. Il s'agirait, selon le principe d'organisation retenu, de faire remonter les informations depuis les établissements à l'aide de correspondants locaux. Un énorme travail en perspective. Promise depuis 2010, cette cartographie vient de finir sa phase de test. La première édition pourrait être rendue publique en 2013

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Commentaires 2
à écrit le 24/11/2011 à 18:44
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Ce classement du Figaro auquel vous faites allusion a été vraisemblablement réalisé par un Edhec. Juste pour info, comme ça en passant.

le 25/11/2011 à 10:47
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so what?

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