Les incivilités font partie de la vie, leur danger, c’est la répétition

Le 5 novembre 2015, Éléas organisait un colloque à l’Assemblée Nationale sur les incivilités au travail, après avoir mené des enquêtes sur ce thème, en 2014 et 2015. La dernière révèle que plus de quatre salariés sur dix se disent concernés par ces incivilités. Elles affectent les personnes et ont un impact sur les organisations : détérioration du climat relationnel, démotivation, désengagement des salariés et donc perte de productivité. Retour sur quelques temps forts de l’événement.
"La notion est vaste mais, qu'il s'agisse d'un « rien » ou de quelque chose de manifeste, l'incivilité fait sortir des rails la relation entre les gens."

Le colloque sur les incivilités au travail organisé par Éléas le 5 novembre 2015 a permis de cerner ce que sont les incivilités, leurs causes,  leurs impacts sur les personnes et les organisations, et de partager des retours d'expérience de solutions mises en œuvre par les entreprises, qui relèvent du cas par cas. Les résultats de l'Enquête ELEAS 2015 - Les salariés français face aux incivilités au travail et le dossier de présentation du colloque sont accessibles en cliquant sur chaque lien.

L'incivilité fait sortir des rails la relation

La notion est vaste mais, qu'il s'agisse d'un « rien » ou de quelque chose de manifeste, l'incivilité fait sortir des rails la relation entre les gens. On observe des incivilités externes, aux guichets, caisses, etc., et des incivilités internes, plus taboues. Elles se manifestent de façons très variées mais ont en commun, comme l'explique Xavier Alas Luquetas, président fondateur d'Éléas, le fait que « l'autre n'est pas pris en compte, comme s'il n'existait pas ; il y a quelque chose de contenu dans les incivilités internes qu'il n'y a pas dans les incivilités externes où l'on est à un niveau qui peut induire le passage à l'acte ». Les plus nuisibles et difficiles à contrer sont les plus insidieuses, les moins apparentes ; les plus répétitives, aussi, car lorsqu'on les multiplie « on finit par faire tomber les gens ».

« Tout ce qui est générateur d'anxiété est générateur d'incivilité, générateur de la vie tout court »

On aurait tort cependant de penser que le phénomène date de notre époque moderne, individualiste, soumise à la pression ultra concurrentielle, qu'il est uniquement le fait des individus, mal intentionnés ou non, ou d'une tranche d'âge en particulier - non, les jeunes ne sont pas plus incivils, plus égoïstes que leurs aînés, « c'est sociologiquement faux », insiste le sociologue Alain Mergier. Il faut aussi pointer la culture des entreprises, leur organisation, leur mode de management.

« Socrate tonnait déjà contre les enfants qui coupaient la parole à leur parents et mettaient les pieds sur les chaises », rappelle Monique Sassier, médiatrice de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur de 2009 à 2015. Les incivilités font partie de la vie, leur danger, c'est la répétition. « La société est nécessairement complexe, le travail est nécessairement complexe. Tout ce qui est générateur d'anxiété est générateur d'incivilité, générateur de la vie tout court », souligne-t-elle.

« Les gens ont des capacités d'ajustement mais elles demandent d'être « en forme » pour les mobiliser »

Alain Mergier pointe la grande vulnérabilité des relations interpersonnelles, qui a toujours été, et les ressources que chacun peut puiser en lui pour éviter qu'une situation bascule : « Les gens ont des capacités d'ajustement, toutefois, elles demandent une disponibilité personnelle, d'être « en forme » et ne sont pas facilement mobilisables aujourd'hui ». Sachant que, du fait de l'organisation du travail, des services, les personnes exposées aux incivilités le sont longtemps, leurs capacités de résistance s'érodent, il leur est donc difficile de mobiliser ce qui leur permet d'éviter le basculement d'une situation.

Par ailleurs, dans une société individualiste, chacun est de plus en plus responsable, et la responsabilité représente un poids. Alain Mergier pointe le fait qu'il y a une contrepartie au développement de la démocratie, à savoir « une forme de susceptibilité qui grandit et peut plus facilement basculer ».

Il faut aussi noter la montée de l'intensification du travail, qui malmène la disponibilité de chacun. « J'ai pas le temps » comme réponse de plus en plus courante. Pas le temps de prendre sur soi, de faire attention à l'autre, de se demander où se trouvent les priorités, de s'occuper de... « De plus, on ne sait pas à qui s'adresser dans les organisations », déplore Sylvie Brunet, professeure associée en management des ressources humaines chez Kedge Business School, membre du Conseil économique social et environnemental (CESE) et du bureau national de l'ANDRH. Le bouleversement des échelons dans les organisations est un autre facteur. « Les niveaux hiérarchiques étaient très sécures, on en a supprimé sans les remplacer par autre chose. On peut édicter de nouvelles normes mais il faut aussi s'appuyer sur la culture de l'entreprise »,  note Marc Deluzet, délégué général de l'Observatoire social international.

« On produit de la culture professionnelle qui se traduit ensuite dans la démocratie »

Ainsi faut-il, selon lui, interroger le travail et son contenu : « C'est de la culture. On produit de la culture professionnelle qui se traduit ensuite dans la démocratie et des cultures professionnelles génèrent de l'anxiété, de la souffrance - cela existait avant aussi ». Sachant que les personnes qui sont bien au travail sont plus performantes, sachant que les gens les plus performants sont plus heureux au travail, l'enjeu est de créer les conditions d'un cercle vertueux. « Dans beaucoup d'environnements, il faut passer d'un contrôle a priori, c'est-à-dire par les procédures, à un contrôle a posteriori, par l'autonomie, mais dans des contextes où la ligne donne encore la priorité au leadership et aux procédures, c'est très dur d'y parvenir pour les managers de proximité », constate-t-il.

« Faire en sorte qu'il y ait de l'équité relationnelle »

Pour les aider, il faut apprendre aux managers à gérer les émotions, à savoir reposer le cadre d'une normalité de relation, à fédérer. « En préventif, il s'agit de faire en sorte qu'il y ait de l'équité relationnelle, de préserver un cadre, préconise Éric Goata, consultant et directeur associé d'Éléas, c'est le rôle du management de créer de l'appartenance, de la coopération, de préparer au changement d'organisation ».

Multiplicités de causes, de perceptions, de situations. Nombreux « responsables » - surtout les autres, c'est bien connu et confirmé par les résultats de l'enquête - et pourtant, grands absents des débats : les actionnaires. Jusqu'à ce qu'un auditeur intervienne pour s'étonner « que n'ait pas été évoquée la première des incivilités, celle des actionnaires, qui se produit en toute impunité ». Sans doute parce qu'en matière de comportement, on sort là de l'incivilité pour aller sur le terrain de la violence et même, n'ayons pas peur du mot, de la barbarie, celle qui jette dehors.

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Commentaires 2
à écrit le 28/11/2015 à 8:21
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quelle est la réaction de la hiérarchie par rapport ces incivilités ?

le 29/11/2015 à 11:56
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RAB, le chiffre

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