Le droit à la différence

Chaque semaine, découvrez les chroniques sur la vie au bureau réalisée par Sophie Péters. Anecdotes, conseils, expériences : pour sourire mais aussi mieux se sentir dans son job.

 

Après les quotas de femmes dans les comités de direction des grandes entreprises, voici venu ceux des handicapés. Bientôt, ce sera au tour des seniors. Drôle de société qui impose par la loi et la punition de faire une place à la différence. C'est dire à quel point nous sommes loin de savoir accueillir naturellement les uns et les autres pour ce qu'ils nous apportent. En pleine semaine pour l'emploi des handicapés, la réponse devrait être d'aider réellement ces personnes à trouver leur place au sein des organisations. À la fois par des mesures rationnelles et des prises de conscience. Ainsi 83 % des handicapés ont un niveau de qualification inférieur au BEP. S'atteler à résoudre la question de leur formation déboucherait naturellement sur des perspectives d'emploi. C'est aussi sur l'environnement qu'il faudrait porter nos efforts. Faire place à la différence, c'est savoir la gérer comme allant de soi. Sylvain, polytechnicien en chaise roulante depuis un accident de moto, cadre supérieur dans une grosse entreprise, voyage beaucoup. Il n'en revient pas de pouvoir prendre le métro tout seul à New York, de se balader à Londres avec aisance et d'être obligé à Paris de rentrer dans un établissement public par la porte de derrière, « souvent à côté du local des poubelles ». En France, les infrastructures sont cruellement inadaptées aux handicapés.

Il y a enfin le regard, notre regard sur le handicap qu'il s'agit d'interpeller. Là, les artistes font fort cette semaine. Demain, le Palais des congrès fera salle comble en accueillant un spectacle qui termine une tournée triomphale en province : « Un nouveau cap ! ». Spectacle de théâtre musical joué par la troupe Fredonia-Cadres (14 acteurs dont 3 en situation de handicap), il montre comment faire d'un accident une force et surmonter les crises en prenant soin les uns des autres. Sorte de métaphore autour de l'aventure de l'entreprise Titani.com, qui ne sombrera pas, mais sortira vainqueur de ses épreuves avec à son bord Andy, un aveugle tout à fait visionnaire.

Éviter les clichés

Sophie Marceau, opportunément sur les écrans aujourd'hui, nous sert, elle aussi, un beau portrait de femme tétraplégique dans le film d'Alain Monne, « l'Homme de chevet ». Cette jolie histoire d'amour arrive à éviter les clichés, mais on regrette cependant que l'homme qui la pousse soit un alcoolique. Comme si, seul un accidenté de la vie pouvait comprendre et tomber amoureux d'une autre blessée comme lui, en colère contre le destin.

Le chemin est donc encore long pour nommer ce qui doit l'être comme s'il s'agissait, non pas d'une banalité, mais juste d'un fait, réel, avec toute sa charge émotionnelle. « Lorsque je me retrouve dans un ascenseur en France en compagnie d'une maman et de son enfant, raconte Sylvain, celui-ci pose immanquablement la question : ?Dis maman, qu'est-ce qu'il a le monsieur ?? Et la mère de répondre dans 90 % des cas : ?Rien du tout mon chéri.? À force de vouloir gommer les différences, on finit par dire des inepties. » Et Sylvain de souligner que les yeux des Milanais ne le considèrent pas comme ceux des Londoniens. Voilà où notre société de l'apparence et de la performance nous conduit. À être mal à l'aise face à ce qui ne nous ressemble pas. Ou plutôt face à ce que nous ne voulons pas voir en nous. Car devant un handicapé, c'est une part de notre image qui nous est renvoyée. Nous nous sentons coupables d'être en bonne santé, de prendre la fuite? Et surtout de ne pas savoir comment réagir : faire comme si de rien n'était, au risque de passer pour un égoïste ? En rajouter dans la prévenance ? Toxique, la culpabilité nous empêche d'être présent à l'autre. « Parler de normalité revient à exclure celui qui n'est pas comme moi », témoigne Alexandre Jollien dans « le Métier d'homme » (Le Seuil, 2002). Handicapé de naissance, il se bat pour « être un homme avec des droits et des devoirs égaux, partager la même condition, ses souffrances, ses joies, ses exigences ».

Alors, plutôt que des quotas dans les entreprises, apprenons à regarder autrement pour apprécier la richesse de nos différences.

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