Le parcours sinueux des candidats français à l'Alyah

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Le parcours sinueux des candidats francais a la “montee” vers israel[reuters.com]
(Crédits : © Ronen Zvulun / Reuters)

par Luke Baker

JÉRUSALEM (Reuters) - Élégamment vêtue, une femme fraîchement arrivée en Israël déambule dans les allées d'un supermarché de Jérusalem à la recherche de clients francophone capables de lui indiquer le rayon des fromages.

Pour les Juifs "montant" en Israël depuis les quatre coins de la diaspora, l'arrivée est un aboutissement mais également le point de départ d'une course d'obstacles, qu'il s'agisse de l'apprentissage d'une nouvelle langue et d'une culture différente, de l'intégration de codes sociaux, de la difficulté de trouver un emploi, sans compter celle de trouver un rayon de fromages bien achalandé.

Visés par des actes d'antisémitisme de plus en plus fréquents, et tout récemment par le meurtre de quatre d'entre eux dans une supérette casher de Vincennes, les Juifs de France sont de plus en plus nombreux à immigrer en Israël au point de constituer la plus forte communauté au sein des "Olim", ces immigrants qui rejoignent l'Etat juif.

Quelque 7.000 Juifs français y sont arrivés en 2014, le double du chiffre de 2013, et il pourrait être multiplié par plus de deux cette année.

Si l'on est très loin des vagues d'immigration qui ont suivi la création d'Israël ou celles qui ont suivi l'effondrement de l'Union soviétique, l'Alyah, la "montée" vers Israël reste un élément crucial de la politique du pays et de son peuplement.

Depuis sa création, Israël a attiré 3,6 millions d'immigrants en provenance de plus de 90 pays, alimentant son développement économique et sa démographie. Le pays compte aujourd'hui plus de huit millions d'habitants, dont 80% sont de confession juive.

220.000 FRANÇAIS

Certes, les institutions israéliennes sont habituées à absorber rapidement autant d'individus de cultures aussi différentes, qu'elles soient éthiopiennes, russes ou américaines, mais les immigrés ont de leur côté plus de difficultés à s'intégrer.

Chez les jeunes immigrés, nombreux sont ceux qui se dirigent immédiatement vers l'Oulpan Etzion, un institut où l'on se charge de leur enseigner l'hébreu et où ils pourront commencer à créer un embryon de tissu social.

"Très souvent, ils laissent tout derrière eux, carrière, amis, famille, climat, culture", explique Baruch Kostewa, directeur de l'institution financée en partie par l'Agence juive, une organisation qui appuie les candidats à l'Alyah.

"Ce n'est pas facile pour eux de faire la transition."

Dans la nouvelle promotion, 250 sont Français. Beaucoup d'entre eux expliquent leur choix par la montée de l'antisémitisme. Selon le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le nombre d'actes antisémites a doublé en 2014 en France, passant de 423 à 851.

Si environ 500.000 Juifs vivent en France, ils sont désormais 220.000 en Israël.

Avant la tuerie de Vincennes, d'autres événements ont convaincu un certain nombre d'entre eux de prendre la direction d'Israël, qu'il s'agisse de l'attaque de l'école juive Ozar Hatorah par Mohamed Merah en 2012 à Toulouse ou du meurtre, six ans plus tôt, d'Ilan Halimi, enlevé et torturé par ses geôliers.

S'ils se réjouissent de pouvoir porter une kippa ou d'arborer une étoile de David autour du cou sans crainte, ils ont également conscience du défi que leur projet représente.

"C'est une nouvelle mentalité, bien différente de celle de l'Europe", constate Avigaïl, 24 ans, arrivée de Paris avec un master de sciences politiques et un autre d'affaires internationales.

"Je sais que c'est difficile en Israël et que le salaires sont parfois inférieurs. Mais je sens que c'est mon pays et je suis venu pour en faire partie. Je suis moins regardante sur mes choix de carrière."

"BOEING-ALYAH"

Netanya, une ville côtière de 180.000 habitants située au nord de Tel Aviv, est devenue la capitale officieuse des Juifs arrivés de France. Selon des chiffres de l'Agence juive, 34% de sa population est francophone. On y trouve pâtisseries, cafés et de nombreuses agences immobilières qui leur sont dédiées.

Beaucoup d'entre eux sont des retraités venus profiter d'un climat agréable. Ils ne parlent pas un mot d'hébreu, n'hésitent pas à retourner régulièrement en France et sont parfois qualifiés de "Boeing-Alyah".

Cette approche est bien différente de celle qu'adoptent les jeunes Français, Britanniques ou Russes qui choisissent de s'installer en Israël et qui font le pari d'une nouvelle vie.

Jérôme Bonnenfant, 38 ans, est arrivé il y a deux ans. Il tient une pâtisserie dans le centre de la ville et avoue avoir dû franchir un parcours semé d'embûches pour ouvrir son affaire.

"Je pensais que ce serait plus facile que cela ne l'a été", dit il. "Ça a été très difficile, il faut vraiment s'accrocher."

A Jérusalem, Yonathan, un jeune juriste arrivé de Nice, explique comment il a minutieusement préparé son arrivée, trouvant à l'avance un logement et un emploi avec l'aide d'une soeur déjà installée sur place.

Malgré ce soutien, il pense qu'il lui faudra deux ans pour parvenir à effectuer la transition.

"Je suis Français, je suis attaché à la France", dit-il. "Mais je me sens chez moi ici. C'est ici que je veux vivre."

Baruch Kostewa qui dirige l'Oulpan Etzion et qui a vu passer des milliers de migrants ne nie pas la difficulté du projet: "C'est peut-être la terre promise, mais il n'y a pas de garantie de satisfaction."

(Nicolas Delame pour le service français, édité par Henri-Pierre André)