En quête du 10 Downing Street, "Ed le Rouge" soigne son image

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Ed miliband soigne son image[reuters.com]
(Crédits : Stefan Wermuth)

par William James et Guy Faulconbridge

LONDRES (Reuters) - Ed Miliband, qui passait encore il y a peu pour un 'geek' dépourvu du moindre charisme, a entrepris de convaincre des millions d'électeurs britanniques qu'il est digne de confiance pour piloter la cinquième économie mondiale.

A l'occasion de la campagne pour les législatives du 7 mai, "Ed le Rouge", 45 ans, s'est débarrassé d'une certaine maladresse en société, présentant un visage plus humain, riant parfois lui-même de ses propres imperfections.

La métamorphose a pris de court jusqu'à son principal rival, le Premier ministre conservateur David Cameron.

Catalogué par ses adversaires comme un dangereux marxiste londonien déconnecté du monde réel, le chef du Parti travailliste parie sur l'atomisation du paysage politique britannique et l'émergence de candidats plus ordinaires.

Ce qui ne l'empêche pas de continuer à polir son image.

"Il a un plus beau costume, une plus belle chemise, il est mieux coiffé. Il s'intéresse davantage à la manière dont il apparaît aux yeux du public", relève l'homme d'affaires millionnaire David Abrahams, un ancien donateur du Labour.

Cette métamorphose, le maire conservateur de Londres Boris Johnson, l'un des hommes politiques les plus hauts en couleur du pays, l'a découverte à ses dépens lors d'une interview croisée des deux hommes moins de deux semaines avant l'élection.

"Ne soyez pas ébranlé", a lancé Ed Miliband à Boris Johnson, visiblement décontenancé par le mélange de détermination et de décontraction de son interlocuteur.

Les conservateurs, qui avaient fait du manque de stature d'Ed Miliband l'axe principal de leur campagne, ont été désarçonnés par sa capacité à parer leurs attaques.

"On ne m'a rien épargné pendant quatre ans et demi mais je suis un type assez résistant qu'on a sous-estimé à chaque occasion", a prévenu le chef du Labour en entamant sa campagne.

FORREST GUMP OU MR BEAN ?

Pour prendre la direction du Labour aux dépens de son frère aîné David en septembre 2010, Ed Miliband a rejeté une partie de l'héritage du blairisme, s'affichant plus à gauche que son frère, ce qui lui a valu le soutien des syndicats.

On raconte que George Osborne, ministre des Finances et stratège électoral de David Cameron, est tombé à genoux en apprenant la nouvelle, en s'écriant: "Oui, oui, oui!"

Déjà au sein du Parti travailliste, la personnalité d'"Ed le Rouge" était tournée en ridicule. On le comparait à Forrest Gump, le simple d'esprit incarné par Tom Hanks dans le film de Robert Zemeckis, qui apparaît sans le vouloir aux moments clés de l'histoire américaine.

On lui voit ensuite des airs de Mister Bean, célèbre comique outre-Manche. Un caricaturiste du Times le croque en Wallace, l'inventeur étourdi des films d'animation des studios Aardman. Les railleries sur son compte atteignent leur paroxysme quand il est photographié grimaçant pour avaler un sandwich au bacon.

Ed Miliband répond en faisant de son manque d'éclat une vertu. "David Cameron est très sophistiqué et un exemple réussi d'une politique guidée par l'image. Je suis incapable de lui faire concurrence. Et je n'en ai pas l'intention. Je veux proposer autre chose", a-t-il dit l'an dernier dans un discours.

"Je ne fais pas partie du casting habituel. Vous trouverez des gens à la mâchoire plus carrée. Plus ciselée. Qui ressemblent moins à Wallace. Vous trouverez probablement même des gens qui ont meilleure allure quand ils mangent un sandwich au bacon."

"TROP IRRESPONSABLE"

Le principal message asséné par le chef du Parti travailliste est que la plupart des Britanniques se portent moins bien qu'il y a cinq ans, pendant que les super-riches s'enrichissent.

Il promet de relever le taux d'imposition des hauts revenus et de supprimer les niches fiscales pour les riches, tout en plafonnant le prix des services collectifs ou des loyers immobiliers.

En décembre dernier, Tony Blair avait laissé entendre que Miliband réduisait ses chances de remporter les élections en tirant ainsi le Labour vers la gauche. Car l'affrontement droite-gauche traditionnel aboutirait toujours au "résultat traditionnel": la victoire des conservateurs. Mais l'ancien Premier ministre a déclaré par la suite que ses propos avaient été sortis de leur contexte.

Les conseillers de Miliband répondent que parler de duel entre gauche et droite n'est plus d'actualité, l'électorat ayant été transformé par la crise économique. Selon eux, beaucoup d'électeurs, quelles que soient leurs opinions sur d'autres questions, se plaignent de la stagnation des salaires, des inégalités et de l'évasion fiscale.

Pourtant, même si cette analyse est juste et même si "Ed le Rouge" parvient à modifier son image, le chef du Labour n'a toujours pas réussi à convaincre une majorité des électeurs de sa capacité à gérer les affaires économiques du pays.

Le programme électoral du Labour a beau débuter solennellement par un "engagement de responsabilité budgétaire", Jamie Bowden, un ancien soldat qui a voté travailliste jusqu'à ce que la crise financière de 2008 lui coûte son emploi, n'est toujours pas convaincu: "Cette récession a été pour moi un gros coup dur. Pour cela, le Labour est trop irresponsable, c'est le problème avec lui. Que puis-je dire sans paraître condescendant ? Je ne pense pas que Miliband soit à la hauteur du boulot."

(Jean-Stéphane Brosse pour le service français)