L'Etat islamique étend ses structures étatiques

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Le groupe etat islamique etend ses structures etatiques[reuters.com]
(Crédits : © Reuters Tv / Reuters)

par Samia Nakhoul

BEYROUTH (Reuters) - Près d'un an après son offensive éclair contre Mossoul, la deuxième ville d'Irak, le drapeau noir de l'organisation Etat islamique flotte désormais sur Ramadi, à une centaine de kilomètres à peine à l'ouest de Bagdad, siège d'un gouvernement irakien dont le pouvoir semble de plus en plus théorique.

En Syrie, la ville de Palmyre de même que le dernier poste-frontière avec l'Irak que tenaient les forces régulières du régime de Bachar al Assad sont tombés.

Malgré les bombardements aériens de la coalition mise en place par les Etats-Unis en Irak et en Syrie, l'organisation sunnite d'Abou Bakr al Baghdadi, qui proclamait en juin dernier un califat à cheval sur les frontières de l'Irak et de la Syrie, poursuit son implantation et certains, notamment parmi la minorité sunnite d'Irak, estime qu'elle constitue davantage un Etat que le gouvernement irakien qu'elle combat.

CHANGER DE STRATÉGIE

"En simplifiant les choses, l'Etat islamique est déjà ou est sur le point de devenir ce qu'il prétend être: un Etat", écrit l'analyste australien David Kilcullen, qui fut l'un des conseillers du général David Petraeus lors du "surge" (ou "sursaut"), l'intensification de l'effort militaire américain en Irak dans les années 2007-2008.

A moins que Washington et ses alliés ne changent de stratégie, estime-t-il, la menace ne va faire qu'empirer.

"L'Etat islamique se bat comme un Etat. Il présente plus de 25.000 combattants, dont un noyau dur d'ex-Baassistes (ndlr, le parti de Saddam Hussein) et de vétérans d'Al Qaïda. Il dispose d'une organisation unique et de structures hiérarchiques occupées par d'anciens officiers des forces régulières de Saddam Hussein", ajoute-t-il dans l'Australian Quarterly Essay.

"Les pays occidentaux ont un intérêt évident à détruire l'EI, mais il n'est pas question ici de contre-insurrection: il s'agit d'une lutte conventionnelle contre une entité étatique et l'objectif doit être d'annihiler l'EI en tant qu'Etat."

Contrôle territorial; forces militaires et de sécurité; administration chargée de la vie quotidienne (écoles, hôpitaux, impôts, justice, services à la collectivité): l'organisation djihadiste présente les bases d'un Etat véritable. Ses ressources sont vastes, allant des gisements de pétrole et des raffineries jusqu'à des terres arables.

Elle peut aussi compter sur une machine de propagande efficace qui diffuse sur les réseaux sociaux des vidéos au montage sophistiqué présentant des djihadistes à la formation et à l'équipement de pointe, offrant une image bien différente de celle des forces régulières irakiennes.

COUP D'ARRÊT BRUTAL

Comme à Mossoul il y a un an où elle s'était comme évaporée devant l'avancée de l'Etat islamique, l'armée irakienne s'est effondrée à Ramadi.

Les forces de sécurité irakienne n'ont pas été évincées de Ramadi, elles se sont "volatilisées", a déploré cette semaine à Bruxelles le général Martin Dempsey, président de l'état-major interarmes des forces armées américaines.

La chute de Ramadi, un revers sans précédent depuis un an, annihile aussi les espoirs nés début avril à Bagdad et Washington avec la reconquête de Tikrit. En reprenant la ville qui fut le fief de Saddam Hussein, les forces irakiennes et leurs alliés des milices chiites laissaient entrevoir une possible contre-offensive jusqu'à Mossoul.

"Un long combat reste à mener, je ne veux pas peindre une image trop rose de la situation, mais l'aura d'invincibilité de l'EI a été perforée", déclarait alors le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden, ajoutant que "l'EI, celui-là même qui entendait faire éclater l'Irak et établir un califat, a en fait uni les Irakiens".

C'était le 9 avril devant la National Defense University, quelques jours avant la venue à Washington du Premier ministre irakien, le chiite Haïdar al Abadi.

Trois jours plus tôt, ce dernier se rendait à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, pour coordonner un "plan commun destiné à libérer la population de Ninive", la province dont Mossoul est la capitale.

La perte de Ramadi, chef lieu de la vaste province d'Anbar qui court de Bagdad jusqu'à la Syrie et à la Jordanie, n'en est que plus spectaculaire et pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour le gouvernement irakien.

SUNNITES CONTRE CHIITES

Coeur du "pays sunnite", c'est là que l'insurrection sunnite contre l'occupation américaine a été lancée après l'intervention de 2003. En s'y installant, l'Etat islamique menace désormais les abords ouest de Bagdad et même, au sud, le "pays chiite".

"La libération d'Anbar est le départ de la libération de Bagdad et de Kerbala", affirme Abou Bakr al Baghdadi dans une des vidéos de propagande de son organisation.

Longtemps réticent, mais contraint par la débandade de l'armée irakienne, Haïdar al Abadi, qui a remplacé l'an dernier Nouri al Maliki, jugé coupable d'avoir favorisé l'émergence de l'Etat islamique en s'aliénant sunnites et Kurdes par ses politiques jugées discriminantes et trop favorables à la majorité chiite, a dû se résoudre à appeler en renfort les milices chiites Hachid Chaabi, ou Comités de mobilisation populaire.

Or, ces groupes paramilitaires, formés par l'Iran et sous influence de la république islamique, sont précisément l'une des causes premières de l'échec des autorités irakiennes à mettre en place une politique inclusive réservant une place à toutes les communautés qui composent le pays.

"RÉSISTER À L'EI ? LES SUNNITES Y RÉFLÉCHIRONT À DEUX FOIS"

Dans le même temps, le gouvernement irakien s'est montré incapable de fournir les armes qu'il avait promises aux milices sunnites tribales, celles-là même qui avaient contribué à mettre en échec une précédente insurrection sunnite en Anbar en s'alliant aux forces américaines via le "conseil de l'éveil" (Majlis Sahwat al Anbar) dans les années 2006-2007.

Pour Hassan Hassan, spécialiste du Moyen-Orient et auteur avec Michael Weiss d'un essai sur l'EI, "ISIS: Inside The Army Of Terror" (A l'intérieur de l'armée de la terreur, 2015), l'importance véritable de la chute de Ramadi tient à ce que les tribus sunnites y résistaient depuis très longtemps aux djihadistes, avant même la prise de Mossoul.

"Le débat au sein de la communauté sunnite d'Irak porte désormais sur ces sunnites de Ramadi qui coopéraient avec le gouvernement contre Daech mais qui ont perdu. Les autres villes sunnites résistant à Daech vont à présent y réfléchir à deux fois", poursuit-il, ajoutant que "les sunnites sont en train d'accepter que Daech est leur armée sunnite". De ce fait, poursuit-il, la chute de Ramadi est un "moment charnière pour l'Irak".

D'autant que les violentes représailles infligées par les milices chiites aux civils sunnites après la reconquête de Tikrit n'inciteront guère les tribus sunnites à se convaincre que Bagdad peut les protéger.

(Henri-Pierre André pour le service français)