Le bipartisme en péril aux élections locales en Espagne

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Elections regionales et municipales en espagne[reuters.com]
(Crédits : Gustau Nacarino)

par Julien Toyer et Sonya Dowsett

MADRID (Reuters) - Les élections régionales et municipales qui ont lieu ce dimanche en Espagne devraient faire chuter le bipartisme qui organise la vie politique espagnole depuis le rétablissement de la démocratie.

D'après les sondages, ni le Parti populaire (PP) du président du gouvernement Mariano Rajoy ni le Parti socialiste (PSOE), qui dirigent alternativement l'Espagne depuis quarante ans, ne devraient être en mesure de décrocher la majorité dans douze des treize régions appelées aux urnes. Dix sont actuellement gouvernées par le PP.

La situation devrait être identique dans la plupart des 8.000 villes où les conseils municipaux sont remis en jeu.

La transformation radicale du paysage politique espagnol, marqué par l'émergence de forces comme Podemos ou Ciudadanos, devrait imposer des coalitions à la tête des exécutifs régionaux et donnera un avant-goût de l'incertitude qui devrait prévaloir après les élections législatives attendues cet automne.

"C'est la première fois depuis des décennies que les électeurs auront véritablement la possibilité de changer les choses. Pas seulement changer de gouvernement, mais changer notre démocratie", souligne Carolina Punset, qui dirige la campagne de Ciudadanos dans la région de Valence.

Initialement basée en Catalogne, cette formation centriste a émergé sur le plan national. En multipliant par dix le nombre de ses adhérents, à 22.000, et comptant une centaine de milliers de sympathisants, le parti d'Albert Rivera ne ressemble plus guère à la petite formation qu'il était à sa création, il y a neuf ans.

Podemos, le parti de la gauche radicale issu du mouvement des Indignés de la Puerta del Sol, en 2011, s'est également installé dans la classe politique. Après avoir réuni 8% des voix lors des élections européennes d'il y a un an, deux mois seulement après sa création, le parti a progressé dans les sondages, même si, fragilisé par des dissensions internes, il est à présent talonné par Ciudadanos.

FRAGMENTATION

Ces deux partis aspirent une partie de l'électorat en exploitant le rejet des politiques menées par les deux grandes formations traditionnelles. Même si la croissance est repartie en Espagne, le chômage frappe encore 24% de la population active. Les scandales de corruption qui visent tant le PP que le PSOE favorisent également leur émergence.

"La fragmentation va être énorme", estime Narciso Michavila, directeur de l'institut de sondage GAD3. "Le PP pourrait affirmer qu'il a remporté les élections, mais ce qui viendra ensuite, les pactes ou la couleur des gouvernements (régionaux et locaux), sera crucial. Le PP va souffrir", ajoute-t-il.

Certains politologues estiment même qu'il faudra retourner devant les urnes dans certaines villes ou régions.

En Andalousie, où les élections avaient lieu en mars, le parlement régional est bloqué. Au pouvoir depuis 32 ans dans cette province du sud de l'Espagne, le PSOE reste la première force politique mais avec 47 sièges sur les 109 que compte l'assemblée régionale il ne peut gouverneur seul. Le PP, après de lourdes pertes, se retrouve avec 33 sièges. Podemos est troisième avec 15 sièges, suivi par Ciudadanos (9 élus).

Susana Diaz, chef de file régionale du PSOE, a indiqué lors d'une récente interview qu'elle pourrait opter pour l'organisation d'un nouveau scrutin et a souligné qu'en Andalousie comme à l'échelle nationale, le paysage politique espagnol tournait au "chaos".

A Madrid, Podemos a joint ses forces à plusieurs mouvements sociaux regroupés derrière la bannière "Ahora Madrid" (Maintenant Madrid) et font campagne derrière l'ex-juge Manuela Carmena, 71 ans.

A Barcelone, Podemos a opté pour une stratégie similaire, se rangeant derrière la candidature d'Ada Colau, fondatrice de la Plate-forme des victimes d'hypothèques qui milite contre les expropriations immobilières. "Les situations terribles que beaucoup ont vécu ont conduit les gens à réaliser que pour que les choses changes, ils devaient s'impliquer", explique cette dernière.

Signe de cette remobilisation, la proportion d'Espagnols se déclarant "très intéressés" par la politique a doublé entre 2006 et 2012, selon l'enquête European Social Survey.

Dans le même temps, le PP et le PSOE se sont effondrés dans l'électorat. Alors qu'ils représentaient, ensemble, 84% des voix aux élections législatives de 2008 et encore 73% en 2011, ils pèsent désormais moins de la moitié des voix dans les sondages.

(avec Inmaculada Sanz; Henri-Pierre André pour le service français)