Pas de procès pour l'assassinat des 3 militantes kurdes à Paris

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Pas de proces pour l'assassinat des 3 militantes kurdes a paris[reuters.com]
(Crédits : © Stephane Mahe / Reuters)

par Chine Labbé

PARIS (Reuters) - Le procès de l'assassinat de trois militantes kurdes en 2013 à Paris, sur lequel plane l'ombre des services secrets turcs malgré un démenti formel du MIT début 2014, n'aura pas lieu.

Le seul accusé, le Turc Omer Güney, est en effet décédé le 17 décembre des suites d'une tumeur cérébrale déclarée sept ans auparavant, et la justice devait constater lundi l'extinction de l'action publique à son encontre, au moment même où les débats étaient censés s'ouvrir, a-t-on appris de source judiciaire.

"Ce n'est satisfaisant pour personne, Omer Güney attendait cette tribune de la cour d'assises pour pouvoir s'exprimer", estime son avocate, Me Anne-Sophie Laguens. L'accusé a toujours clamé son innocence.

"Il y a un sentiment de gâchis aussi", ajoute Me Laguens. "Si on avait pu audiencer ce procès six mois plus tôt, on aurait pu avoir une réponse judiciaire" à ce drame, poursuit l'avocate, qui dit craindre "qu'on ait un peu compté sur le fait (qu'Omer Güney) souffrait d'une maladie d'évolution lente".

Surtout, avec sa mort, à 34 ans, s'envole la chance, pour les parties civiles, d'explorer, lors d'audiences publiques, un éventuel rôle du MIT turc dans ce triple assassinat.

Pour les juges d'instruction, "les accointances" -qu'il démentait- d'Omer Güney avec les services de renseignement turcs et notamment le MIT "sont de nature à considérer que des liens peuvent être effectués avec les assassinats".

DE NOMBREUSES ZONES D'OMBRE

Mais les investigations "n'ont pas permis d'établir si des agents du MIT avaient participé à ces faits de façon officielle ou avec l'aval de leur hiérarchie, ou encore si ils avaient été commis à l'insu de leur service afin de discréditer ou de nuire au processus de paix" entre Ankara et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), précise une autre source judiciaire.

"La grande déception, c'est de ne pas savoir qui il y a autour de Güney", dit Me Jean-Louis Malterre, l'un des avocats des familles des victimes.

Durant l'enquête, les parties civiles avaient demandé, en vain, l'audition de plusieurs membres du MIT.

Début janvier, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Paris pour réclamer justice et vérité dans cette affaire.

De nombreuses zones d'ombre persistent en effet sur le triple assassinat de Fidan Dogan, Sakine Cansiz et Leyla Saylemez, trois militantes proches du PKK, selon l'accusation. Elles ont été exécutées début janvier 2013 de plusieurs balles dans la tête au siège d'une association kurde de Paris.

Fidan Dogan, âgée de presque 29 ans au moment des faits, était la "permanente" du Centre d'Information du Kurdistan (CIK) où les trois femmes ont été tuées. Leila Saylemez, 25 ans, travaillait pour l'organisation de jeunesse du PKK, d'après les juges. Quant à Sakine Cansiz, réfugiée politique de 55 ans, elle était l'un des membres fondateurs du PKK.

Pour les juges d'instruction français, l'implication dans ce crime d'Omer Güney, membre actif d'une association kurde de Villiers-le-Bel (Val-d'Oise) qui servait occasionnellement d'interprète et de chauffeur pour des cadres du PKK, ne fait aucun doute. Il était "la dernière personne présente aux côtés des victimes dans le créneau horaire de leur mort", des traces de poudre ont été retrouvées dans sa sacoche et l'ADN d'une des victimes découvert sur sa parka, indique une source judiciaire.

"INERTIE" TURQUE

"Par ailleurs, il apparaît établi que l'adhésion d'Omer Güney à la cause kurde était parfaitement artificielle et n'avait d'autre but que d'intégrer les associations culturelles kurdes servant de paravent au PKK et partant, d'espionner l'organisation terroriste", écrivaient-ils dans leur ordonnance de mise en accusation, comme le rapporte cette source.

Güney, qui avait rapidement su se rendre "indispensable" au sein de l'association de Villiers-le-Bel, mais dont l'adhésion à la cause kurde n'était pas confirmée dans son entourage, avait notamment effectué des voyages en Turquie "marqués du sceau du secret", et utilisé, lors d'un rassemblement de la jeunesse kurde aux Pays-Bas en décembre 2012, une ligne de téléphone turque de "manière conspirative", notait l'accusation.

Au cours de l'enquête, plusieurs personnes ou éléments ont mis en avant les liens présumés entre l'accusé et les renseignements turcs, qui lui auraient donné des instructions.

L'élément le plus troublant fut, début 2014, la publication dans la presse turque d'une présumée note secrète signée par quatre responsables du MIT, et semblant constituer un "ordre de mission" pour Omer Güney visant Sakine Cansiz. C'est après cette parution que le MIT a publié un démenti formel.

"On n'aura jamais de réponse certaine sur une éventuelle implication du MIT, ou sur un éventuel règlement interne au PKK", une autre piste un temps évoqué, juge Me Anne-Sophie Laguens. En cause notamment, la "totale inertie" de la justice turque en réponse aux sollicitations de Paris, comme ont pu le déplorer les juges, souligne une source judiciaire.

"On est en France, et les éléments importants sont en Turquie", regrette Me Jean-Louis Malterre. Pourtant, Me Antoine Comte, autre conseil des familles des victimes, veut croire que "ce procès va reprendre sous une autre forme, ultérieurement". "Ce n'est pas parce que l'accusé principal est décédé que l'affaire s'arrête", dit-il.

(édité par Yves Clarisse)