Téhéran intensifie son soutien aux milices houthistes au Yémen

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Teheran intensifie son soutien aux milices houthistes au yemen[reuters.com]
(Crédits : © Mohamed Al-Sayaghi / Reuters)

par Jonathan Saul, Parisa Hafezi et Michael Georgy

LONDRES/ANKARA/DUBAI (Reuters) - Téhéran envoie des armements sophistiqués et des conseillers militaires au mouvement houthiste, intensifiant son soutien à son allié chiite dans une guerre civile yéménite dont l'issue pourrait bousculer l'équilibre des forces au Moyen-Orient.

Adversaire de l'Iran, l'Arabie saoudite conduit de son côté une coalition arabe sunnite qui combat les Houthis pour réinstaller l'ancien président Abd-Rabbou Mansour Hadi, parti en exil en 2014 après la chute de Sanaa, la capitale du Yémen.

Des sources ayant connaissance des mouvements militaires ont déclaré ces derniers mois que les Iraniens endossaient un rôle de plus en plus important dans le conflit yéménite, comme ils l'ont fait en Syrie où ils apportent un appui non négligeable au Hezbollah, le mouvement chiite libanais allié du gouvernement de Bachar al Assad.

Un responsable iranien a récemment fait état d'une réunion organisée à Téhéran par le général Qassem Soleimani, commandant de la force d'élite Al Qods, pour réfléchir aux moyens d'intensifier le soutien aux milices houthistes.

"Lors de cette réunion, ils ont décidé d'augmenter leur soutien, avec des programmes d'aguerrissement, des armes et un appui financier", a dit ce responsable.

"Le Yémen, c'est là où se joue la véritable guerre par procuration et gagner la bataille du Yémen aidera à définir l'équilibre du pouvoir au Moyen-Orient", a-t-il souligné.

LES FAUCONS IRANIENS À LA MANOEUVRE

Téhéran réfute les accusations de l'Arabie saoudite, qui affirme que la république islamique apporte un soutien financier et militaire aux Houthis, et met l'aggravation de la crise sur le compte de Ryad.

Les activités de l'Iran au Yémen témoignent cependant de la place de plus importante que prennent à Téhéran les tenants de la ligne la plus dure, au risque de provoquer un nouveau raidissement des Etats-Unis vis-à-vis du régime des mollahs.

"Nous ne manquons pas d'informations ou de preuves de l'introduction par l'Iran d'armes dans la région", a déclaré à Reuters le général Ahmed Asseri, porte-parole de la coalition arabe.

"Nous voyons bien qu'il y a sur le terrain des missiles antichars Kornet alors qu'ils ne figuraient pas dans l'arsenal de l'armée yéménite ou dans celui des Houthis. Ils sont arrivés après."

Pour les Houthis, les accusations de la coalition lui servent camoufler son incapacité à s'imposer dans un conflit inextricable qui a déjà fait au moins 10.000 morts et placé le pays au bord de la famine.

"Les Saoudiens ne veulent tout simplement pas admettre leur échec et ils inventent des justifications (...) deux années après le début d'une guerre d'agression dans laquelle les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont impliqués", a réagi un dirigeant houthi qui s'exprimait sous le sceau de l'anonymat.

L'activité iranienne a alarmé de nombreux pays sunnites dans une région où l'on redoute l'influence que tente d'y prendre la république islamique. "Nous voulons que l'Iran cesse d'exporter le chiisme dans la région, que ce soit au Yémen ou ailleurs", a ainsi expliqué un haut responsable d'un pays voisin.

CRÉER UN NOUVEL HEZBOLLAH

Un ancien responsable iranien de la sécurité reconnaît qu'à Téhéran, les partisans de la ligne dure ambitionnent de se servir des milices houthistes pour "affermir leur position dans la région".

"Ils veulent créer au Yémen une milice semblable au Hezbollah. Pour résister aux politiques hostiles de Ryad, l'Iran doit utiliser toutes ses cartes", a-t-il dit à Reuters.

Un diplomate en poste au Moyen-Orient ne dit pas autre chose: "l'Iran s'est efforcé d'exploiter certaines franges des milices houthistes pour qu'elles jouent un rôle perturbateur au Yémen."

Les sources de Reuters proches de la coalition affirment que l'Iran utilise des bateaux pour introduire des armes au Yémen, soit directement, soit en passant par la Somalie, contournant ainsi le blocus que tente d'instaurer la coalition.

Des sources occidentales affirment de leur côté que les armes sont transbordées depuis des cargos vers des petits bateaux de pêche plus difficiles à repérer car très nombreux dans ces eaux.

Ces trafics sont les plus nombreux dans les zones de pêche qui entourent le port de Moukalla, malgré les lourdes contraintes techniques en hommes et en équipement.

LA COALITION IMPUISSANTE

Si la coalition a réussi l'année dernière à chasser Al Qaïda de la région, elle ne parvient toujours pas à empêcher la contrebande d'armes et de combattants, témoignent plusieurs sources.

Le général Asseri, de la coalition arabe, admet que la surveillance des 2.700 km de côtes yéménites n'est pas chose aisée.

"On ne peut pas surveiller cette longueur de côtes même en amenant dans la zone tous les navires du monde", explique-t-il. "Si nous bloquions tous les petits bateaux de pêche, les activités de la population seraient pénalisées."

De septembre 2015 à mars 2016, des navires des marines françaises et australiennes ont régulièrement saisi des armes vraisemblablement destinées aux milices houthistes. Selon un responsable du Pentagone, la contrebande d'armes iraniennes s'est poursuivie sans relâche depuis mars 2016, date à laquelle les saisies se sont interrompues.

Parmi les équipements livrés, figurent des missiles balistiques à longue portée, susceptibles d'atteindre des cibles situées bien à l'intérieur du territoire saoudien.

"Il n'y a pas d'explication crédible à l'apparition de ces armes autrement que par une aide extérieure. Pour nous, ces armes viennent très probablement d'Iran", dit il.

Nic Jenzen-Jones, un spécialiste des armes travaillant à l'Armament Research Services, souligne quant à lui que les volumes ont nettement augmenté.

"Nous avons enregistré de plus en plus de transferts au cours des derniers mois et j'imagine que la hausse de la fréquence des livraisons d'armes à laquelle nous assistons est notamment imputable au succès des livraisons par la mer", dit Nic Jenzen-Jones.

DRONE MARIN

Dans un rapport consacré aux transferts de technologies vers l'Iran, l'institut Conflict Armament Research (CAR) dit détenir des preuves montrant que le drone Qasef-1 UAV qu'utilisent les Houthis n'est pas de construction locale, contrairement à ce qu'avancent les miliciens chiites.

Ces drones ont été utilisés par les Houthis et par leurs alliés locaux pour viser les systèmes de défense de la coalition et la preuve de l'utilisation par les Houthis de tels équipements est apparue lors de récentes attaques.

Le 30 janvier, une frégate saoudienne a ainsi essuyé une attaque près du port d'Hodeïdah, contrôlé par les Houthis.

Selon l'US Navy, cette attaque commise à l'aide d'une embarcation chargée d'explosifs et télécommandée est le premier exemple d'une attaque par "drone marin" et elle doit sans doute son succès à l'utilisation de technologies iraniennes

Dans un autre incident, un bateau des garde-côtes gouvernementaux a été détruit par des mines larguées par les Houthis.

Nic Jenzen-Jones souligne en outre que les munitions livrées par l'Iran sont de plus en plus perfectionnées.

"Les derniers transferts d'armes et de munitions comportaient des drones Ababil, capables d'être équipés de têtes explosives et d'attaquer des cibles de haute valeur, radars et rampes de missiles Patriot notamment", dit-il. "Parmi les équipements fournis, figurent des missile antinavire et des missiles portatifs", ajoute-t-il.

En plus de ces armes, Téhéran fournit des spécialistes afghans et arabes pour entraîner les Houthis et leur servir de conseillers militaires. Parmi eux, figurent des afghans chiites qui ont combattu en Syrie sous la bannière d'Al Qods.

(Avec Mohammed Ghobari à Sanaa et William Maclean à Dubai, Nicolas Delame pour le service français)