Le risque français géré en douceur par les marchés, pour l'instant

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(Crédits : Philippe Wojazer)

par Marc Angrand

PARIS (Reuters) - "Jusqu'ici tout va bien". La formule semble apte à résumer l'humeur des investisseurs à deux jours de l'un des principaux rendez-vous politiques de l'année, le premier tour de l'élection présidentielle française.

Malgré le flou sur son issue, l'imminence de ce scrutin n'a pas remis en cause le sentiment général positif des marchés, nourri ces derniers jours par le chiffre meilleur qu'attendu de la croissance chinoise, le relèvement des prévisions du Fonds monétaire international et les résultats solides de plusieurs multinationales.

Même l'attaque de jeudi soir sur les Champs-Elysées à Paris, facteur supplémentaire de tension qui a bouleversé le dernier jour de campagne, n'a pas suffi à les perturber.

Les marchés abordent ainsi l'élection avec une sérénité qui peut sembler paradoxale alors que les plus récents sondages sur les intentions de vote placent les quatre premiers candidats dans une fourchette de moins de six points, ce qui rend plausibles tous les scénarios pour le second tour.

L'indice CAC 40 de la Bourse de Paris devrait ainsi perdre 0,4% seulement sur la semaine, l'euro a touché jeudi son plus haut niveau depuis un mois face au dollar et l'écart de rendement entre les emprunts d'Etat à dix ans français et allemand, qui mesure la prime de risque exigée par les investisseurs pour détenir de la dette française, est revenu à 60 points de base, son plus bas niveau depuis fin janvier.

L'adjudication d'OAT du Trésor français réalisée jeudi a quant à elle suscité une demande soutenue, près de 1,8 fois supérieure à l'offre.

Certains investisseurs ont quant même pris leurs précautions contre une possible "gueule de bois" lundi matin, comme le montre la forte hausse de la volatilité implicite sur l'euro-dollar à un mois, qui a touché lundi un pic de dix mois, et le niveau des cours de l'or, proches de leurs plus hauts depuis novembre, après l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis.

LE SPREAD FRANCO-ALLEMAND LOIN DE SES NIVEAUX DE 2011

L'intérêt pour les actions européennes ne se dément pas pour autant: Bank of America Merrill Lynch note que les flux d'investissement, soutenus par l'abondance de liquidités, ont profité à ce segment pour la quatrième semaine consécutive et la banque s'attend à une poursuite de ce mouvement à condition que soit évité le scénario de second tour jugé le plus risqué, un duel entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, qui raviverait les craintes d'une sortie de la France de la zone euro.

Ce scénario de Frexit "n'est pas le scénario le plus probable et n'est d'ailleurs pas du tout 'pricé' dans le marché", dit Philippe Ithurbide, directeur recherche, stratégie et analyse d'Amundi qui rappelle que la sous-performance des actions françaises par rapport aux allemandes depuis le début de l'année n'est que de 2% environ et que le creusement du "spread" franco-allemand reste limité.

De nombreuses banques et sociétés de gestion ont néanmoins prévu des dispositifs exceptionnels dimanche et lundi matin pour réagir aux résultats du scrutin français.

Pour Deutsche Bank, un second tour Macron-Fillon pourrait permettre une légère hausse des actions européennes alors qu'à l'opposé, un face-à-face Le Pen-Mélenchon impliquerait une baisse plus marquée, les effets des autres scénarios étant moins évidents à prédire.

UN SCRUTIN À QUATRE TOURS SYNONYME D'INCERTITUDE PROLONGÉE

Pour Eric Brard, responsable mondial de la gestion taux d'Amundi, un résultat jugé dangereux pour la pérennité de l'euro et de l'Union européenne se traduirait probablement par un accès de volatilité sur les marchés de taux d'intérêt, qui ne se limiterait pas aux taux français et allemands mais s'étendrait "à l'ensemble des marchés, y compris les marchés dits périphériques".

"Cela pourrait nous ramener sur les niveaux de la crise de 2011, pourquoi pas au-delà, en fonction des résultats", poursuit-il. A l'époque, en pleine crise de la dette souveraine de la zone euro, le spread franco-allemand avait dépassé 150 points, deux fois et demi son niveau actuel.

Un tel accès de tension compliquerait évidemment la tâche de la Banque centrale européenne (BCE), dont le Conseil des gouverneurs se réunit jeudi, alors qu'elle s'achemine très progressivement vers un désengagement de sa politique d'assouplissement quantitatif.

Sauf choc sur les marchés, la réunion du 27 avril devrait se conclure par un statu quo sur les taux comme sur les achats de dette sur les marchés. Pour Credit Suisse, la conférence de presse du président de la BCE, Mario Draghi, devrait lui donner l'occasion de réaffirmer que le discours actuel est approprié et de décourager les spéculations sur une possible hausse prochaine des taux d'intérêt.

Au-delà de la réaction immédiate au scrutin français, les marchés devront, quelle qu'en soit l'issue, gérer une période d'incertitude prolongée: à la différence du référendum britannique sur l'UE de juin dernier ou de la présidentielle américaine remportée par Donald Trump, le scrutin français est à deux tours, et l'issue des législatives de juin est au moins aussi incertaine que celle de la présidentielle.

LE PIB AMÉRICAIN EN LIGNE DE MIRE

Dans l'immédiat, une fois digérés les résultats de dimanche, les marchés ne devraient guère avoir le temps de souffler la semaine prochaine, notamment avec la multiplication des publications de résultats de part et d'autre de l'Atlantique.

La saison des trimestriels a bien débuté, au moins aux Etats-Unis: sur les 82 sociétés de l'indice Standard & Poor's 500 qui ont déjà publié leurs comptes, les trois quarts ont dépassé les attentes, un ratio supérieur à la moyenne historique selon les données Thomson Reuters.

Autre rendez-vous important, vendredi prochain: la toute première estimation du produit intérieur brut (PIB) américain au premier trimestre, qui pourrait marquer un net ralentissement de la croissance et donc alimenter les doutes sur l'efficacité de l'administration Trump et la remontée des taux de la Réserve fédérale.

(édité par Blandine Hénault)