Paris et Berlin éludent la question de l'adhésion de la Turquie à l'UE

reuters.com  |   |  772  mots
Berlin contre la rupture du processus d'adhesion de la turquie a l'ue[reuters.com]
(Crédits : Hannibal Hanschke)

par Robin Emmott et Gabriela Baczynska

LA VALETTE (Reuters) - La France et l'Allemagne étaient à la recherche vendredi d'un nouvel accord avec la Turquie pour tenter de renouer les liens avec le président Recep Tayyip Erdogan, sans dire si les nouveaux pouvoirs du dirigeant turc et la répression de ses opposants sonnaient le glas des ambitions européennes d'Ankara.

Inquiets de ce qui est considéré au sein de l'UE comme l'autoritarisme croissant du président Erdogan, les parlementaires européens ont appelé cette semaine à la suspension des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, en expliquant que le pays ne remplissait pas les critères démocratiques.

A son arrivée à La Valette pour une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE en présence de leur homologue turc Mevlut Cavusoglu, le chef de la diplomatie allemande Sigmar Gabriel a exclu un tel gel des négociations dont il a estimé qu'il serait contre-productif.

"Le gouvernement allemand est fermement opposé à l'annulation des discussions (d'adhésion): ce serait la plus mauvaise des réactions", a-t-il déclaré à la presse.

Mais, après une journée de négociations, il a expliqué que le vrai problème était de faire en sorte que l'UE ait un nouvel accord, moins contraignant, à offrir à la Turquie avant de renoncer définitivement au processus d'adhésion.

Depuis son lancement en 2005, le processus a permis à la Turquie d'attirer des investissements étrangers et de devenir la 15e économie mondiale, font valoir des responsables européens.

Mais depuis, les négociations se sont enlisées en raison, notamment, des obstacles politiques constituée par la situation de Chypre - Ankara ne reconnaît pas la république de Chypre, membre de l'UE, mais la partie turcophone du nord - et la résistance exprimée par de nombreux pays européens à l'adhésion d'un pays majoritairement musulman de 80 millions d'habitants.

"Cela n'améliore pas les choses d'annuler quelque chose avant d'avoir quelque chose de nouveau à offrir", a expliqué Sigmar Gabriel à la presse.

"Nous pouvons essayer d'ouvrir de nouveaux canaux de négociations", a-t-il dit, allusion à l'idée d'élargir les liens commerciaux de l'UE avec la Turquie, et de donner aux sociétés turques davantage accès à une UE sans droits de douane.

Cela pourrait adoucir un éventuel choc politique né d'une suspension des négociations d'adhésion, dit-on à Bruxelles.

SANG-FROID

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a déclaré que le ton des discussions en privé avait été plus mesuré que les commentaires faits en public par les ministres.

Durant une partie de la réunion diffusée aux journalistes, c'est un Mevlut Cavusoglu confiant qui a donné l'accolade à un certain nombre de ses collègues et a semblé vouloir mettre de côté les insultes à l'encontre de l'UE qui ont fusé dans les semaines qui ont précédé le référendum constitutionnel du 16 avril. Recep Tayyip Erdogan avait notamment comparé les méthodes de certains gouvernements européens, dont celui de l'Allemagne, à celles des nazis.

"Comment pouvons-nous ignorer la Turquie ?", a déclaré le chef de la diplomatie française en rappelant que l'EU avait besoin d'Ankara dans la lutte contre le terrorisme et dans la maîtrise des flux migratoires.

"Personne ne veut une rupture avec la Turquie", a-t-il dit.

Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a estimé de son côté que les critiques de l'UE étaient malvenues.

"La Turquie est membre de l'Otan et, par conséquent, notre alliée (...) Nous devons respecter comme il se doit le peuple turc et son président", a dit vendredi Viktor Orban, qui a fait de la lutte contre l'immigration son fer de lance.

Le commissaire européen à l'Elargissement, Johannes Hahn, qui supervise le processus d'adhésion de la Turquie, est allé dans ce sens. "Gardons notre sang froid et discutons d'une solution qui nous permette de travailler avec la Turquie", a-t-il dit en allusion, par exemple, à une relation basée exclusivement sur une coopération en matière de commerce et de sécurité.

"Ce n'est pas à l'UE de fermer la porte", estime pour sa part estimé un haut diplomate européen. "C'est à la Turquie de faire ce choix."

Recep Tayyip Erdogan a déclaré à Reuters qu'il pourrait renoncer à adhérer à l'UE si Bruxelles n'accélère pas le processus, mais il s'est dit dans le même temps prêt à poursuivre les négociations.

Les Vingt-Huit demeurent le premier partenaire commercial de la Turquie et son principal investisseur étranger.

(Avec Tom Koerkemeier; Tangi Salaün et Danielle Rouquié pour le service français)