Colère et chagrin à Mossoul après la destruction d'Al Nouri

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(Crédits : Handout)

par Kawa Omar

MOSSOUL, Irak (Reuters) - Près de 850 ans après son édification, le minaret Al Habda qui surplombait Mossoul n'était plus jeudi qu'un amoncellement de ruines au lendemain de sa démolition par des combattants du groupe Etat islamique acculés dans la vieille ville.

Selon le Premier ministre irakien, Haïdar al Abadi, cette destruction est synonyme de défaite pour l'Etat islamique (EI) dans la deuxième plus grande ville du pays.

"Tôt ce matin, je suis monté sur le toit de ma maison et j'ai été stupéfait de voir que le minaret Al Habda avait disparu", raconte Nashwan, un travailleur journalier qui vit dans le quartier de Khazraj, non loin de la mosquée Al Nouri.

"J'ai eu l'impression d'avoir perdu un fils."

Des propos qui témoignent du choc et de la colère ressentis par beaucoup après la destruction de la mosquée Al Nouri et de son célèbre minaret, parfois affectueusement surnommé "le bossu" par les Irakiens.

La mosquée a été dynamitée mercredi soir alors que les forces irakiennes s'approchaient du lieu de culte qui revêt une importance symbolique aux yeux des djihadistes. C'est de là qu'au plus fort de la domination territoriale de l'EI Abou Bakr al Baghdadi à proclamé en juin 2014 l'avènement du califat.

Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montre l'effondrement du minaret et l'implosion de bâtiments attenants projetant un épais nuage de sable et de poussière.

CAPITULATION

La Russie a affirmé jeudi pouvoir affirmer "avec un haut degré de certitude" qu'Abou Bakr al Baghdadi est mort, même si le chef de l'EI a été donné pour mort ou blessé à maintes reprises.

Ce qui semble certain, en revanche, c'est qu'Abou Bakr al Baghdadi a fui depuis longtemps Mossoul et qu'il y a confié le commandement militaire à des lieutenants. Il se cacherait dans de vastes zones désertiques à la frontière irako-syrienne.

Selon certains spécialistes, la destruction de la mosquée Al Nouri pourrait accélérer l'élimination des combattants de Daech dans ce qui fut leur plus grand bastion urbain en Irak.

Haïdar al Abadi va plus loin en assimilant la démolition de l'édifice pluricentenaire à une capitulation et en annonçant la défaite imminente de l'EI.

"C'est une question de quelques jours avant que nous annonçions la libération totale de Mossoul", a-t-il déclaré jeudi à des journalistes, selon la chaîne de télévision Sumaria.

Les insurgés auraient en effet préféré détruire la mosquée que voir leur drapeau noir abaissé par les forces irakiennes soutenues par la coalition conduite par les Etats-Unis qui progressent lentement dans le dédale de rues étroites de la vieille ville de Mossoul.

"Ils ont dit qu'ils se battraient jusqu'à leur dernier souffle pour défendre la mosquée", rappelle Safaa al A'sam, un spécialiste de la sécurité basé à Bagdad.

"De fait, ils ne sont plus en mesure de faire face aux forces gouvernementales irakiennes", poursuit-il, tout en indiquant que cette destruction donnera davantage de liberté de mouvement aux insurgés qui n'ont désormais plus à se soucier de l'intégrité de la mosquée.

"SYMBOLE D'IDENTITÉ"

Constitué de sept bandes de briques décoratives dessinant des formes géométriques complexes, le minaret présentait des similitudes avec des édifices construits en Perse et en Asie centrale, mais son inclinaison et un entretien défaillant l'avaient rendu particulièrement vulnérable.

Porte-parole de la coalition emmenée par les Etats-Unis, le colonel Ryan Dillon a déclaré à Reuters que les forces irakiennes poursuivaient leur assaut, neuf mois après le début de l'offensive.

"Il ne reste plus que deux km2 dans la partie ouest de Mossoul avant la libération totale de la ville."

La directrice générale de l'Unesco, Irina Bokova, a déploré la destruction de la mosquée et de son minaret, rappelant qu'ils "figuraient parmi les sites emblématiques de la ville et étaient un symbole d'identité, de résilience et d'appartenance".

"Cette nouvelle destruction approfondit encore les blessures d'une société déjà affectée par une tragédie humanitaire sans précédent, marquée par trois millions de personnes déplacées et 6,2 millions de personnes nécessitant une aide humanitaire d'urgence".

"BARBARES"

La mosquée tire son nom de Nourouddine al Zanki, un seigneur qui a combattu les Croisés sur un territoire qui couvrait la Turquie, la Syrie et l'Irak modernes. Le bâtiment avait été construit en 1172-1173 peu de temps après la mort d'Al Zanki et il a abrité un établissement d'enseignement islamique.

L'histoire militaire et religieuse de la mosquée épouse celle de Mossoul, une ville conservatrice majoritairement sunnite qui a longtemps envoyé d'importants contingents d'officiers à l'armée irakienne et ce jusqu'à la chute de Saddam Hussein dans la foulée de l'invasion américain de 2003.

Cette chute coïncide avec la montée en puissance de la majorité chiite irakienne, largement tenue à l'écart des affaires politiques par le régime baasiste.

Beaucoup de combattants originaires de la ville ont alors rejoint les groupes d'insurgés qui combattaient l'armée américaine, ses alliés et le nouveau pouvoir irakien. Certains d'entre eux sont ensuite allés grossir les rangs de l'EI.

Et lorsque les djihadistes se sont emparés de la ville, ils ont été favorablement accueillis par une population lasse de subir les humiliations et les mauvais traitements des nouveaux maîtres de l'Irak.

La destruction de la mosquée et de son minaret est intervenue dans les derniers jours du mois sacré du ramadan au cours duquel les musulmans sont invités à observer le jeûne et l'ascèse.

Cette démolition est également la dernière en date d'une longue série de destructions de sites religieux musulmans, chrétiens ou encore assyriens, en Irak et Syrie, et dont certains dataient de l'Antiquité.

"Beaucoup d'ennemis différents ont contrôlé la ville au cours de 900 dernières années, mais aucun d'entre eux n'a osé détruire Al Habda", rappelle Ziad, un étudiant en beaux-arts.

"En dynamitant le minaret, ils ont prouvé qu'ils étaient les pires de tous les barbares de l'Histoire."

(Avec Ahmed Rasheed à Bagdad, Nicolas Delame pour le service français, édité par Gilles Trequesser)