La communication "anti-couacs" de la présidence Macron

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French president emmanuel macron arrives at the eu summit in brussels[reuters.com]
(Crédits : Gonzalo Fuentes)

par Marine Pennetier et Elizabeth Pineau

PARIS (Reuters) - La scène se déroule jeudi 22 juin à la mi-journée à l'Elysée, à la sortie du conseil des ministres. Sur les 30 membres du gouvernement d'Edouard Philippe, seuls Gérard Collomb et Jean-Michel Blanquer s'arrêtent pour répondre brièvement aux journalistes regroupés à l'extérieur du palais.

Contrairement aux habitudes des quinquennats précédents, pas question de recueillir à la volée un commentaire de la réunion qui vient de se dérouler autour du président de la République.

Emmanuel Macron a vécu de l'intérieur, en tant que secrétaire général adjoint de l'Elysée avec François Hollande puis à Bercy, l'effet ravageur de la multiplication des "couacs" provoqués par des prises de parole intempestives.

"Emmanuel Macron veut un contrôle très étroit de la communication, d'une manière très caractéristique les ministres ne s'expriment pas à la sortie, les voitures se mettent devant l'escalier de l'Elysée", relève Christian Delporte, spécialiste de la communication politique.

"C'est dans la logique de la nécessaire distance entre le gouvernement et la presse  : moins les ministres parlent, moins il y a de risque de dérapage", ajoute-t-il.

Depuis son élection le 7 mai dernier, Emmanuel Macron a opté pour une communication verrouillée : parole raréfiée par rapport aux ères Nicolas Sarkozy et François Hollande, déclarations la plupart du temps sans questions, distance avec les journalistes et priorité à l'image.

Dans le collimateur du chef de l'Etat : "les mauvaises habitudes prises ces dix dernières années, avec la multiplication des 'off' et des prises de parole sans doute intempestives", expliquait fin mai sur Radio J Benjamin Griveaux, alors porte-parole d'En Marche!

"Il est certain qu'Emmanuel Macron va mettre une distance avec cela", ajoutait ce proche du chef de l'Etat, nommé mercredi secrétaire d'Etat dans le gouvernement Philippe.

Il annonçait alors l'avènement d'"un président du temps long parce que le rôle du président, c'est de fixer un horizon et de ne pas être dans la réaction à la petite phrase et le commentaire de l'actualité".

CONFIDENTIALITÉ

Une volonté exprimée dès le premier conseil des ministres, le 17 mai, où les règles de bon fonctionnement du gouvernement ont été fixées, avec trois mots d'ordre : "solidarité", "collégialité" et "confidentialité".

"Au vu des quinquennats précédents, Emmanuel Macron a estimé qu'il fallait contrôler la parole gouvernementale, des ministres, qu'il ne devait pas y avoir d'excès de confidences, ni étalage de divergences par médias interposés", note Arnaud Mercier, spécialiste en communication politique (Paris II Panthéon-Assas).

Et pour "éviter l'effet cocotte-minute, il a proposé une méthode, il a programmé une séquence de libre discussion à la fin du conseil, où les ministres ont le droit de faire des remarques, c'est une façon de colmater la brèche et de le faire en interne".

Officiellement, les ministres et les secrétaires d'Etat conservent toute leur liberté de parole et n'ont reçu aucune consigne spécifique vis-à-vis de la presse.

"Est-ce qu'il y a des consignes de ne pas prendre la parole à la fin du conseil des ministres ? Non. Et je vous promets qu'aucun ministre n'a reçu une consigne sur le sujet", affirmait jeudi le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner.

"Mais les ministres savent (...) que l'Elysée veut une parole maîtrisée", a-t-il ajouté.

ÉLÉMENTS D'INFORMATION

Même ligne au Parlement. Les 308 députés La République en Marche, qui se retrouvent en séminaire ce week-end à Paris, n'ont, eux non plus, reçu aucune consigne, assure une source au sein du parti présidentiel.

"On leur donne des éléments d'information quand il y a par exemple des interviews du Premier ministre, ou sur la conférence de presse de Bayrou", précise-t-elle.

Du point de vue de cette volonté de maîtrise, le départ du gouvernement de François Bayrou constitue une bonne nouvelle pour Emmanuel Macron, estiment les analystes.

Le président du Modem était "quelqu'un qui pouvait devenir gênant à l'intérieur du gouvernement parce qu'il n'était pas disposé à respecter scrupuleusement la consigne de silence", note Arnaud Mercier.

Son départ "va probablement renforcer ce contrôle de la communication étant donné que François Bayrou était le seul ministre à avoir une parole autonome du fait de son alliance particulière entre son mouvement et celui du chef de l'Etat", abonde Philippe J. Maarek, professeur de communication politique à l'Université Paris Est-UPEC.

Cette communication de "la distance" et de "la rareté" est-elle tenable sur la durée ? Rien n'est moins sûr.

"On a une contradiction très claire entre cette communication de la distance et la re-présidentialisation de la présidence avec cet interventionnisme, qui est très fort, beaucoup plus fort qu'il ne l'a jamais été".

Pour Christian Delporte, cette forme de communication, qui a suscité la semaine dernière l'inquiétude d'une vingtaine de médias s'alarmant de "signaux extrêmement préoccupants", va à un moment ou à un autre montrer ses limites.

    "Pour l'instant la machine tourne un peu à vide, dès le moment où il y aura des projets et de l'action, on ne pourra pas se contenter des éléments de langage", estime-t-il. "Il y avait les échéances des élections, il s'agissait de faire le moins de bêtises possibles jusqu'aux urnes. Après, Emmanuel Macron sera bien obligé de lâcher quelques petites choses".

(Edité par Yves Clarisse)