La nationalisation de STX aggrave la crise entre Paris et Rome

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PARIS (Reuters) - Les tensions entre Paris et Rome, déjà vives sur les questions des réfugiés et du règlement de la crise en Libye, sont encore montées d'un cran jeudi avec l'annonce de la nationalisation temporaire par l'Etat français des chantiers navals STX de Saint-Nazaire aux dépens de l'italien Fincantieri.

Ces trois dossiers ont donné lieu ces derniers jours à des échanges sans détours entre responsables français et italiens par médias interposés, dans les limites du traditionnel langage diplomatique d'usage entre deux pays alliés.

La décision de l'Etat français de recourir à son droit de préemption pour STX est "grave et incompréhensible", ont réagi les ministres italiens de l'Economie et de l'Industrie, Pier Carlo Padoan et Carlo Calenda, dans un communiqué.

"Le nationalisme et le protectionnisme ne constituent pas une base acceptable pour établir des relations entre deux grands pays européens", ont-ils ajouté.

Dès mercredi, plusieurs voix s'étaient élevées contre l'ultimatum lancé par Paris qui souhaitait revoir l'accord de partage du capital de STX.

Au coeur des critiques transalpines, la série d'acquisitions visant plusieurs fleurons italiens à l'initiative de groupes français, parfois de manière amicale (fusion Luxottica-Essilor), parfois hostiles comme la montée au capital de Mediaset du groupe Vivendi, premier actionnaire de Telecom Italia.

"Ces dernières années, nos cousins transalpins ont acheté la moitié de l'Italie sans avoir soulevé la moindre objection de notre gouvernement", a souligné l'ancien président du Conseil italien Romano Prodi dans une tribune publiée dans les colonnes d'Il Messaggero.

La presse italienne ne mâche pas non plus ses mots à l'égard d'Emmanuel Macron dont l'arrivée au pouvoir en mai, après une campagne tournée vers l'Europe, a suscité une vague d'espoir.

"Macron ne relance pas mais divise l'Europe", estime Il Sole 24 Ore, bible des milieux d'affaires italiens.

"Plus les semaines passent et plus Macron montre un visage vieilli, celui d'une France, de la France de toujours avec ses instincts dirigistes, étatiques, protectionnistes et souverainistes", ajoute le quotidien.

LES MIGRANTS, UNE POMME DE DISCORDE

Lors de sa conférence de presse jeudi, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire s'est défendu de tout protectionnisme et a justifié la nationalisation temporaire de STX au nom "des intérêts stratégiques français".

"Je pense que nos amis italiens portent la construction européenne et (dans le même temps-NDLR) restent attachés à la nation italienne et la défense des intérêts italiens", a-t-il souligné, assurant que les Italiens étaient "les bienvenus pour investir en France".

Le dossier STX s'ajoute à une série de petites crispations diplomatiques qui ont rythmé ces dernières années les relations franco-italiennes, au premier rang desquelles la question de l'accueil des migrants.

Confronté à un afflux de migrants sur ses côtes, en provenance de Libye, Rome se plaint de devoir gérer seul le "fardeau" migratoire et appelle régulièrement - en vain - ses partenaires européens à une plus grande solidarité.

Fin mai, Emmanuel Macron avait reconnu lors d'une rencontre à Paris avec le président du conseil Paolo Gentiloni que l'Europe n'avait pas "suffisamment tôt entendu les cris d'alerte qui étaient lancés par l'Italie".

Deux mois plus tard, le ton est à l'amertume en Italie face à une France qui continue de bloquer l'accès à son territoire aux milliers de migrants massés à la frontière franco-italienne. Des responsables italiens, qui avaient salué la déclaration d'Emmanuel Macron, déplorent désormais l'absence d'aide concrète de la part de la France.

TENSIONS SUR LA LIBYE

A ces tensions est venue se greffer cette semaine la question épineuse de la Libye, avec l'initiative diplomatique lancée par Emmanuel Macron visant à rétablir la sécurité dans l'ancienne colonie italienne.

La réunion de mardi à la Celle-Saint-Cloud (Yvelines), qui a réuni les deux chefs rivaux libyens, a suscité l'ire de Rome qui a dénoncé une tentative de la France de faire "cavalier seul".

"Il y a trop de formats ouverts en Libye, trop de médiateurs, trop d'initiatives", a fustigé le chef de la diplomatie italienne Angelino Alfano dans les colonnes de La Stampa. Des critiques balayées par le chef de l'Etat français qui a assuré avoir eu tous ses partenaires au téléphone avant l'organisation de cette réunion.

"Il y a sur ce sujet véritablement aucun écart de la position française et de la position italienne, c'est un travail commun", a souligné Emmanuel Macron.

Jeudi en fin d'après-midi, le bureau de Paolo Gentiloni a fait savoir que le président du Conseil italien avait reçu un coup de téléphone "amical" du président français, pour discuter des trois sujets de crispation du moment.

Le dialogue entre Paris et Rome va se poursuivre ces prochaines semaines, souligne-t-on dans l'entourage du chef de l'Etat, signe que les liens entre les deux pays alliés "ne sont pas distendus".

(Marine Pennetier, édité par Yves Clarisse)