Harcèlement sexuel au travail, le défi de la transparence

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Harcelement sexuel au travail, le defi de la transparence[reuters.com]
(Crédits : Charles Platiau)

par Arthur Connan

PARIS (Reuters) - Les accusations de harcèlement et d'agressions sexuelles portées contre le magnat d'Hollywood Harvey Weinstein ont créé une onde de choc en France, permettant une "libération massive de la parole des femmes" y compris dans le monde du travail, où le défi de la transparence n'est toutefois pas sans risque.

Les révélations en cascade sur le producteur américain ont incité de nombreuses femmes à dénoncer les violences sexistes subies dans leur vie privée ou dans un cadre professionnel.

A ce jour, plus de 335.000 témoignages ont été publiés sous le "hashtag" #balancetonporc, un mouvement spontané sans précédent en France.

"On est vraiment à un tournant avec comme déclencheur l'affaire Weinstein. Il y a une libération massive de la parole des femmes", a déclaré vendredi Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, lors d'un entretien à Reuters.

Le gouvernement doit présenter début 2018 un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles. La pénalisation du harcèlement de rue est une des mesures emblématiques esquissées par la secrétaire d'Etat, mais le monde du travail n'échappe pas au phénomène.

Selon un rapport de l'Ifop pour le Défenseur des droits rendu public en 2015, une femme active sur cinq en France affirmait avoir été confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle.

Une enquête Odoxa pour franceinfo et Le Figaro publiée jeudi montre que plus d'une femme sur deux (53%) a déjà été victime d'agression sexuelle ou de harcèlement.

Marlène Schiappa juge possible de changer les mentalités.

"FRENCH LOVER"

"Des gens m'ont dit qu'on allait tuer la culture du 'French lover' si on pénalisait le harcèlement de rue, comme si on s'attaquait à leur patrimoine", explique-t-elle.

"Mais c'est tout l'inverse. Nous voulons préserver la séduction, la galanterie", ajoute-t-elle, soulignant la nécessité d'un consentement mutuel.

L'avocat Christophe Noël partage l'analyse de la secrétaire d'Etat. Selon lui, beaucoup d'hommes ne distinguent pas le harcèlement sexuel d'un comportement normal, particulièrement dans un contexte professionnel.

"Trop souvent, les femmes sont considérées comme des objets sexuels et non comme des collègues. C'est presque normal de faire des blagues grivoises à ses collaboratrices", dit à Reuters ce spécialiste du droit du travail.

Dans 70% des cas de harcèlement en entreprise, la situation n'a pas été portée à la connaissance de l'employeur ou de la direction, selon l'Ifop. Christophe Noël explique ce mutisme par le manque de protection des victimes.

"Quand une femme est en poste, c'est quasiment mission impossible pour elle de se défendre, elle n'est absolument pas protégée", regrette-t-il.

La loi prévoit qu'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir dénoncé ou refusé de subir un harcèlement sexuel. Dans les faits, la situation devient néfaste pour les victimes, qui sont contraintes de quitter leur poste.

"ÉLÉMENTS FACTUELS"

"En général, quand une victime dénonce un harcèlement, elle finit par démissionner ou alors par tomber malade. Dans ce cas, elle est ensuite déclarée inapte et finit par être licenciée", explique Christophe Noël.

En entreprise, les salariés victimes de harcèlement peuvent l'exprimer à leur manager, aux syndicats, au comité d'entreprise ou aux ressources humaines. Mais sans preuve, il est difficile de sanctionner.

"La difficulté aujourd'hui, c'est qu'il faut des éléments factuels pour prendre des sanctions", explique à Reuters Bénédicte Ravache, secrétaire générale de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH).

Selon elle, les victimes n'en parlent pas car elles craignent de ne pas être crues ou de manquer de soutien dans des procédures souvent longues.

Devant le conseil des prud'hommes, l'employé n'a toutefois pas l'obligation d'établir le harcèlement mais simplement des éléments qui permettent de supposer son existence.

Cette présomption de harcèlement ne figure pas dans les axes de réflexion du projet de loi, précise Marlène Schiappa, qui considère qu'on ne condamne pas quelqu'un sans preuve.

Mais la secrétaire d'Etat rappelle que les victimes peuvent saisir le Défenseur des droits, autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des droits et des libertés, un recours gratuit qui peut déboucher sur de lourdes condamnations.

(avec Ingrid Melander, édité par Sophie Louet)