Vingt ans plus tard, l'armée fait son retour en Haïti

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Vingt ans plus tard, l'armee fait son retour en haiti[reuters.com]
(Crédits : Andres Martinez Casares)

par Andres Martinez Casares et Joseph Guyler Delva

CAP-HAÏTIEN/PORT-AU-PRINCE (Reuters) - Vingt-deux ans après sa suppression, l'armée va être rétablie en Haïti, conformément au souhait exprimé par son président, Jovenel Moïse, au risque de provoquer un intense débat dans un pays marqué par les coups d'Etat et par une instabilité politique chronique.

Depuis 1995, année de sa dissolution par le président Jean-Bertrand Aristide, la police nationale est seule responsable de la sécurité de l'ancienne colonie française.

Alors que le pays a encore été frappé ces dernières années par les catastrophes naturelles, le rétablissement de l'armée est une question qui divise Haïti.

Ses opposants redoutent qu'elle interfère dans la vie politique et que son financement se fasse au détriment de l'Éducation et de la Santé.

Jeudi, Jodel Lesage a été nommé par le président Jovenel Moïse à la tête des forces armées qui devraient redevenir tout à fait opérationnelles sous peu.

Cette nomination doit désormais être validée par le Sénat.

Dans l'attente de cette confirmation, des dizaines de soldats en uniforme ont défilé samedi à Cap-Haïtien, une ville du Nord, en présence de Jovenel Moïse qui a invité ses concitoyens à se souvenir de la Deuxième Guerre d'indépendance qui a abouti à la défaite des colons français lors de la Bataille de Vertières, en 1803.

"L'armée est notre mère", a déclaré le président haïtien. "Quand notre mère est malade et qu'elle porte des habits sales, on ne la tue pas. On l'amène à l'hôpital. Alors unissons nos forces pour fournir les soins nécessaires à notre mère."

UNE ARMEE "DIFFERENTE"

Depuis l'indépendance de l'île, l'armée a fomenté des dizaines de coups d'Etat et a été accusée de violations répétées aux droits de l'homme.

Jovenel Moïse a admis ce passé tout en promettant que la nouvelle armée serait différente.

Les Nations unies avaient demandé que la police nationale haïtienne (PNH) bénéficie d'un soutien accru d'environ 15.000 membres.

Une mission appuyée par l'Onu est arrivée en octobre sur l'île afin d'aider au maintien de l'ordre, succédant à une mission bien plus vaste de rétablissement de la paix qui travaillait à la stabilité du régime depuis 2004.

Le ministre de la Défense, Hervé Denis, a confié à Reuters que l'armée serait dans un premier temps composée de 500 soldats spécialisés dans l'ingénierie, la médecine et l'aviation, mais qu'elle travaillait toujours pour garnir ses rangs.

De nombreux jeunes hommes se sont présentés au début de l'été au recrutement de l'armée, un des pays le plus pauvre du continent américain.

Selon Hervé Denis, le gouvernement souhaite porter à 5.000 le nombre de soldats chargés de protéger la frontière, de lutter contre le terrorisme, d'endiguer la contrebande et de venir en aide aux Haïtiens touchés par les catastrophes naturelles.

Malgré les promesses du président Moïse, qui s'est engagé à que l'armée demeure en dehors de la politique, les opposants au régime craignent que le gouvernement se serve de l'armée pour faire taire l'opposition du pays.

"Je ne crois pas que le régime de Moïse veuille vraiment réhabiliter l'armée mais plutôt mettre en place une milice politique pour persécuter les opposants au régime", affirme André Michel, le porte-parole de la coalition opposée au président Moïse et qui a appelé à la démission de ce dernier.

(Jean Terzian pour le service français, édité par Nicolas Delame)