Robert Mugabe, de libérateur à oppresseur

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Robert mugabe, de liberateur a oppresseur[reuters.com]
(Crédits : Philimon Bulawayo)

par Chris Chinaka

HARARE (Reuters) - Adulé à son arrivée à la tête du Zimbabwe indépendant en 1980, Robert Mugabe était, avant d'être poussé à la démission mardi, vilipendé par ses détracteurs et considéré comme un autocrate qui a ruiné une économie jadis prospère.

A 93 ans, l'ancien maquisard marxiste célébré il y a trente-sept ans comme le porte-flambeau de la démocratie en marche en Afrique a longtemps refusé toute critique, affirmant que les puissances occidentales qui s'en prenaient à lui étaient seules responsables des épreuves de l'ancienne Rhodésie blanche.

Pour ses partisans et les anciens combattants de la lutte contre le pouvoir colonial, Robert Mugabe a toujours su rester "un dirigeant révolutionnaire" et une icône. S'il était fustigé par les Occidentaux, disent-ils, c'est parce qu'il refusait d'être à leur solde.

Emprisonné pendant dix ans au milieu des années 1960 parce qu'il combattait la colonisation britannique, Robert Mugabe a passé sept ans en brousse les armes à la main à la tête de la Zanu (Union nationale africaine du Zimbabwe).

En 1980, année de l'indépendance, il devient le premier dirigeant démocratiquement élu du pays, au poste de Premier ministre. Il prêche alors, plus de dix ans avant Nelson Mandela, dans l'Afrique du Sud voisine, la réconciliation entre Noirs et Blancs. Sept ans plus tard, à la faveur d'une modification de la Constitution, il s'installe comme président.

CHAOS ÉCONOMIQUE

Au milieu des années 1980, une rébellion dans la province du Matabeleland est réprimée dans le sang. Robert Mugabe en profite pour s'en prendre directement à son ancien allié de la lutte révolutionnaire Joshua Nkomo.

Selon les organisations de défense des droits de l'homme, la répression fait 20.000 morts, en majorité des membres de la tribu Ndebele de Joshua Nkomo. Lui-même s'enfuit à Londres. Il mourra d'un cancer en 1999 à Harare à l'âge de 82 ans.

Pour ses détracteurs, le seul président que le Zimbabwe ait connu a mis à genoux l'économie de son pays, jadis deuxième puissance d'Afrique australe, et se comportait en despote prêt à tout pour se maintenir au pouvoir.

Menacé pour la première fois de sa carrière par un vent de lassitude intérieure avant les élections générales de juin 2000, il se lance ainsi dans une offensive tous azimuts : soutien à l'occupation violente des fermes blanches, virulente campagne contre l'homosexualité, sermons féroces contre les complots de toutes sortes qui le menaceraient.

Le début des énormes problèmes économiques du pays remonte à la campagne d'occupation des terres détenues par les fermiers blancs par les vétérans de la guerre d'indépendance.

Une campagne qui suscite l'indignation d'une partie de la communauté internationale, la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale, en tête, et profite surtout aux affidés du régime, militaires ou ministres dotés ainsi de rentes juteuses.

L'économie sombre dans le chaos et subit l'inflation la plus élevée au monde. De 2000 à 2008, le PIB se contracte d'un tiers. Le chômage touche 80% de la population. Des millions d'habitants tentent de s'exiler pour échapper à la misère et au dénuement.

ADMIRATION POUR HITLER

L'élection présidentielle de mars 2008 se présente dans un contexte économique, politique et social extrêmement tendu.

Robert Mugabe obtient un nouveau mandat de cinq ans au terme d'un scrutin marqué par des violences et le retrait de son rival de longue date, Morgan Tsvangirai, qui jouissait de l'appui des puissances occidentales et l'avait devancé au premier tour.

Les dix dernières années l'auront vu se comporter de plus en plus en autocrate imperméable à la moindre critique. Nombreux sont ceux parmi ses adversaires qui se souviennent alors de propos tenus en mars 2003.

Parce que la Grande-Bretagne l'avait comparé à Hitler, il rétorque : "Hitler avait un seul objectif : la justice pour son peuple, la souveraineté pour son peuple, la reconnaissance de l'indépendance de son peuple et ses droits sur ses ressources. Si cela c'est Hitler, laissez-moi être le décuple de Hitler".

Sur un plan personnel, Robert Mugabe est un ascète élevé par les jésuites qui ne boit jamais d'alcool.

Il est marié depuis 1995 à son ex-secrétaire Grace Marufu, qu'il a épousée trois ans après la mort de sa première femme d'origine ghanéenne, Sally. Il est père de trois enfants.

Grace Mugabe, 52 ans, était considérée ces derniers temps comme la personnalité la mieux placée pour lui succéder.

Jusqu'à l'intervention de l'armée.

(Service français, édité par Gilles Trequesser)