MiFID II relance la bataille des gestions

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(Crédits : Kai Pfaffenbach)

par Patrick Vignal

PARIS (Reuters) - En imposant un contrôle strict des frais que facturent les conseillers financiers à leurs clients, la directive européenne MiFID II, qui entre en vigueur en janvier, relance l'affrontement qui oppose depuis quelques années les deux versants du monde de la gestion.

La gestion active, qui repose sur la sélection de titres par un gérant et leur ajustement en fonction des conditions du marché, souffre d'une concurrence de plus en plus féroce de la part de la gestion passive, qui se réalise automatiquement, sans intervention humaine.

Certains produits en particulier, comme les fonds indiciels cotés (exchange-traded funds, ETF), attirent de plus en plus d'investisseurs en raison de leur moindre coût mais aussi de leur simplicité et de leur transparence.

"L'arrivée de MiFID II est en effet un point qui est considéré comme positif pour les ETF en particulier et les fonds indiciels en général", explique Antoine Lesné, responsable de la stratégie et de la recherche pour les ETF en Europe de State Street, l'un des leaders de ce marché. "Il y a un vent porteur qui devrait amener de nouveaux investisseurs vers les ETF."

Selon les chiffres d'une étude commandée par l'américain BlackRock, numéro un mondial des ETF, la gestion indicielle ne recouvre que 17,5% du marché actions mondial contre 25,6% pour la gestion active.

Un net mouvement de collecte sur les fonds indiciels et de décollecte sur les fonds actifs suggère toutefois que les premiers devraient bientôt rejoindre les seconds, voire les dépasser.

LES RÉTROCESSIONS DE COMMISSIONS MENACÉES

MiFID II, qui complète un texte destiné à harmoniser les marchés de capitaux entré en vigueur fin 2007 en prenant en compte les leçons de la crise financière et l'évolution technologique des services financiers, devrait accélérer encore le mouvement.

Tout un pan de la directive impose en effet de nouvelles règles destinées à protéger les investisseurs en leur offrant une plus grande transparence, notamment sur l'aspect des frais de gestion.

L'investisseur devra ainsi connaître précisément l'ensemble des coûts et des frais associés au service qui lui est proposé et disposer d'une simulation de l'impact de ces coûts sur le produit financier concerné.

La protection des investisseurs passe principalement par la réforme des rétrocessions de commissions, autrement dit des rémunérations que perçoivent les conseillers financiers de la part des fonds qu'ils choisissent pour les placements de leurs clients, également appelées frais de distribution.

Privés de cette précieuse source de revenus, les conseillers, qui servent souvent d'intermédiaires aux sociétés de gestion, pourraient être tentés de récupérer le manque à gagner en relevant leurs frais, augmentant ainsi l'attrait de produits plus accessibles comme les fonds indiciels.

Ces commissions, qui ne disparaîtront pas tout à fait mais seront très réglementées, ont déjà été supprimées au Royaume-Uni avec la RDR (Retail Distribution Review), ce qui s'est traduit aussitôt par une amplification du phénomène de collecte sur les fonds indiciels, à commencer par les ETF.

Accessibles à peu de frais, ces fonds cotés en Bourse et adossés à un indice comme le CAC 40 ou le S&P 500 dont ils ont pour objectif de répliquer la performance sont les nouvelles stars de la gestion indicielle.

LES GÉRANTS ACTIFS SOUS PRESSION

En face, les gérants actifs ont bien du mal à justifier les frais nettement plus élevés qu'ils réclament à leur clients pour sélectionner les valeurs les plus prometteuses sur la base d'une analyse méthodique des bilans comptables des entreprises ("stock-picking").

Un conflit bien réel oppose donc les apôtres de la gestion de conviction comme Goldman Sachs ou encore Fidelity et les maîtres de la gestion indicielle que sont les américains BlackRock, State Street et Vanguard mais aussi les européens Deutsche Bank Asset Management, Lyxor et Amundi.

Pour envenimer encore les choses, les premiers reprochent aux seconds de menacer la stabilité des marchés avec notamment un risque de décalage entre la performance des fonds indiciels et celles de leurs valeurs sous-jacentes avec un possible effet d'entraînement de proportion systémique, des craintes naturellement qualifiées de très exagérées par les fournisseurs d'ETF.

"Le temps sont durs pour les gérants actifs", explique David Lafferty, stratégiste de marché en chef chez Natixis Global Asset Management. "La régulation et la sensibilité sur les questions de transparence et de coûts ont uni leurs effets pour transférer des milliards de dollars des stratégies d'investissement actif vers la gestion indicielle."

Les investisseurs perdent patience vis-à-vis des gérants actifs, qui font payer davantage que les gérants passifs et peinent à surperformer les indices de référence, ajoute-t-il.

UNE CARTE À JOUER

"Il y a beaucoup de très bons fonds actifs sur le marché dont les performances sont impressionnantes depuis des années et il ne faut surtout pas les délaisser", corrige Sean Collins, directeur senior de l'analyse industrielle et financière de l'Investment Company Institute (ICI), une organisation professionnelle qui représente les fonds d'investissement.

"La gestion active est encore en vie et se porte bien mais elle déplace son centre de gravité de la sélection de titres vers l'allocation d'actifs", ajoute-t-il.

Si personne ne conteste la pression que subissent les gérants actifs, certains, comme David Lafferty, estiment qu'elle pourrait avoir des effets bénéfiques.

"Comme le démontre la théorie de Darwin, les espèces qui s'adaptent le mieux sont celles qui survivent. En l'occurrence, la gestion passive force la gestion active à des changements qu'elle aurait dû opérer depuis longtemps", écrit-il dans une note sur le sujet.

Il plaide ensuite pour un contrôle plus strict des coûts, un meilleur effort sur la performance et une plus grande diversification des portefeuilles.

La gestion active, ajoute-t-il, a une carte à jouer dans l'allocation du capital face à la gestion indicielle, qui se base souvent uniquement sur la valorisation boursière pour les actions et la taille des encours pour les obligations.

DEUX MONDES COMPLÉMENTAIRES ?

Conscients du problème, de plus en plus de gérants ont recours à des stratégies dites "smart beta", qui permettent de sélectionner les titres en fonction d'autres critères jugés plus fiables comme la taille du bilan, les bénéfices, le chiffre d'affaires ou les flux de trésorerie.

"Le sujet actif-passif est à multiples facettes", explique Vincent Cornet, directeur de la gestion de La Banque Postale Asset Management (LBPAM).

"Il y a le comportement de nos clients, qui, sur fond de pression réglementaire, réclament toujours plus de prestations en nous demandant de baisser les tarifs, ce qui pousse en effet vers des produits plus simples, mais ce n'est qu'un aspect du problème", indique-t-il.

"MiFID II impose une vraie cohérence entre le profil de risque et le niveau de frais, ce qui va forcer à plus de gestion de conviction d'un côté, mais aussi à un peu plus de produits industriels différents comme le smart beta", ajoute Vincent Cornet. "On aura deux mondes complémentaires qui ne s'opposeront pas mais se compléteront".

Dans un contexte de disparité des performances des actions, la gestion active peut tirer son épingle du jeu, font valoir pour leur part les stratèges de State Street dans leurs prévisions pour 2018.

"MiFID II peut accélérer le processus en faveur des ETF mais surtout redessiner un peu l'environnement de la gestion en règle générale avec d'un côté une gestion indicielle qui a tendance à grossir, et de l'autre une gestion plus active avec de vrais paris d'allocation", prédit Antoine Lesné chez State Street.

(édité par Blandine Hénault)