Le "tireur de Libération" condamné à 25 ans de prison

reuters.com  |   |  875  mots
25 ans de prison requis contre le tireur de liberation[reuters.com]
(Crédits : Charles Platiau)

par Emmanuel Jarry

PARIS (Reuters) - Abdelhakim Dekhar, auteur d'attaques au fusil à pompe contre BFMTV, Libération et la Société générale en novembre 2013, a été condamné vendredi à 25 ans de réclusion criminelle assortis d'une période de sûreté des deux tiers par la cour d'assises de Paris.

Il y a deux décennies, Abdelhakim Dekhar avait été condamné à quatre ans de prison dans le procès des amants "tueurs de flics", Florence Rey et Audry Maupin, dont il ne fut qu'un comparse.

Cette fois, il a notamment été jugé coupable de tentative d'assassinat sur le rédacteur en chef de BFMTV Philippe Antoine, qu'il a mis en joue le 15 novembre 2013 avant de lancer, selon des témoins : "La prochaine fois, je ne vous louperai pas".

Il a aussi été jugé coupable de tentative d'assassinat pour avoir, trois jours plus tard, grièvement blessé le photographe César Sébastien dans le hall de Libération en lui tirant dans le dos une cartouche pour sanglier. Il avait fait feu le même jour contre les locaux de la Société générale à la Défense, près de Paris.

Cet homme de 52 ans, lunettes rondes, cheveux gris et front dégarni, a déclaré avoir blessé le photographe accidentellement, agi par "désespoir" et cherché à se suicider en "scénarisant" sa mort et en tombant sous les balles de policiers.

Mais la cour a suivi les réquisitions de l'avocat général, pour qui "le principal mobile" de cet homme, dont la vie a été une suite d'échecs - scolaire, social, professionnel, familial, conjugal - était de "tuer les autres par dépit social".

"Je crains que M. Dekhar ne soit encore habité par l'affaire Rey-Maupin", a commenté Bernard Farret dans son réquisitoire.

L'ÉQUIPÉE SAUVAGE DE 1994

En 1994, Abdelhakim Dekhar côtoyait un couple d'étudiants marginaux, Audry Maupin et Florence Rey, avec qui il fréquentait les milieux d'extrême gauche, anarchistes et alternatifs.

Il avait acheté un des fusils à pompe utilisés par les deux jeunes gens un soir d'octobre 1994 quand ils ont attaqué la pré-fourrière de Pantin pour voler des armes.

L'équipée avait viré au massacre : dans leur fuite, Maupin et Rey avaient tué trois policiers et un chauffeur de taxi, et blessé trois policiers et deux passants. Maupin avait été abattu.

Florence Rey désignera Abdelhakim Dekhar comme étant le troisième homme de l'attaque de Pantin, chargé de faire le guet, ce qu'il niera avec constance. Il ne sera finalement condamné en septembre 1998 que pour association de malfaiteurs.

Il sort rapidement de prison, ayant accompli l'essentiel de sa peine en détention provisoire. Il vit alors au Royaume-Uni jusqu'à son retour en France trois mois et demi avant les faits pour lesquels il a été condamné vendredi.

Après les attaques de Libération et de la Société générale, il avait contraint sous la menace un automobiliste à le conduire sur les Champs-Elysées. Il n'avait été arrêté que le 20 novembre 2013, sur dénonciation d'un ami, sur un parking de Bois-Colombes (Hauts-de-Seine), dans un semi-coma médicamenteux.

Cet ami, Sébastien Simonian-Lemoine, aujourd'hui contrôleur de gestion de 36 ans, accusé d'avoir à l'époque fourni argent, transport et logement à Abdelhakim Dekhar, comparaissait avec lui. Mais l'avocat général a invoqué l'ascendant qu'avait alors sur lui Abdelhakim Dekhar, de 16 ans son aîné.

La cour a retenu les circonstances atténuantes à son endroit. Elle a condamné Sébastien Simonian-Lemoine à six mois de prison avec sursis, sans inscription au casier judiciaire.

"AFFABULATEUR"

Abdelhakim Dekhar garde pour un large part son mystère, comme l'a reconnu un de ses avocats.

"Après cinq jours d'audience, personne ne sait ici qui est l'accusé. Abdelhakim Dekhar ne le sait pas lui-même", a déclaré Me Hugo Levy, dans sa plaidoirie.

Né en Moselle, cet homme décrit comme "associal" par l'avocat général, "affabulateur" et "menteur pathologique" capable de violences par des enquêteurs, s'est présenté pour sa part comme un militant politique.

Il situe les origines de son "combat" dans son histoire familiale : une famille algérienne "spoliée" par la colonisation française, dont plusieurs membres ont été tués durant la guerre d'indépendance ; des parents "très marqués à gauche et engagés politiquement" dans la Lorraine de la crise sidérurgique.

Le procureur François Molins avait fait état au lendemain de son arrestation en 2013 d'une lettre dans laquelle il dénonçait "un complot fasciste", le sort des banlieues et le capitalisme.

Le tireur accusait aussi les médias de "participer à la manipulation des masses" et les journalistes d'être "payés pour faire avaler aux citoyens le mensonge à la petite cuiller".

En 1994, il disait travailler pour les services secrets algériens et français, qui l'auraient chargé d'infiltrer l'extrême gauche française. Ces assertions avaient été mises alors sur le compte de sa mythomanie présumée. Il les a réitérées en 2013 et 2017.

Il s'agissait, a-t-il expliqué à la barre, de débusquer une "collusion" entre extrême gauche et extrémisme islamiste. "J'ai effectivement donné un coup de main à certaines personnes."

(Edité par Danielle Rouquié)