Les constructeurs généralistes, victimes collatérales de VW

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Les constructeurs generalistes souffriront du scandale volkswagen[reuters.com]
(Crédits : © Stringer Mexico / Reuters)

par Gilles Guillaume, Barbara Lewis et Laurence Frost

PARIS/BRUXELLES (Reuters) - L'affaire Volkswagen, en braquant à nouveau les projecteurs sur la difficulté de dépolluer le diesel, alourdira la facture pour tous les constructeurs automobiles, notamment les généralistes PSA, Renault et Fiat Chrysler, qui ne sont pourtant pas à l'origine du scandale.

A court terme, VW devra évidemment régler l'addition. Selon une source proche du constructeur, le groupe pourrait procéder à une augmentation de capital si le coût des rappels, des amendes et des poursuites judiciaires dépassait largement les 6,5 milliards d'euros provisionnés.

Mais à un horizon plus lointain, la note risque d'être lourde aussi pour les spécialistes des petites et moyennes voitures, pour lesquels le coût d'un durcissement supplémentaire des normes deviendra prohibitif, avec l'arrivée de tests sur route plus exigeants que les essais en laboratoire.

"L'affaire Volkswagen a créé auprès de la Commission européenne un véritable tsunami qui va probablement accélérer le mouvement de baisse des émissions", observe un haut responsable d'un équipementier spécialisé dans les questions de dépollution.

"Mais vu que le cadre réglementaire est déjà très strict, les constructeurs ne sont pas pressés, et tous ne sont pas prêts."

En Europe, l'industrie compte en effet beaucoup sur les motorisations diesel, qui émettent moins de CO2, pour atteindre l'ambitieux objectif européen de 95 grammes de dioxyde de carbone (CO2) au kilomètre à l'horizon 2021. Les premiers modèles hybrides essence rechargeables, susceptibles de prendre le relais, ne seront pas prêts chez Renault ou PSA avant la fin de la décennie.

"L'impact pourrait être significatif sur les fabricants de petits modèles avec des moteurs diesel, notamment PSA et Renault, pour qui il sera difficile de répercuter une nouvelle augmentation des coûts sur le client final", commente l'agence de notation crédit Fitch.

Le dernier tour de vis réglementaire en date, antérieur au scandale VW, représente déjà un surcoût impossible à facturer intégralement au client. "Aucun consommateur n'est prêt à payer 500-600 euros (supplémentaires)", a déclaré la semaine dernière à Reuters le PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, à propos de la norme Euro 6 qui vient d'entrer en vigueur.

"Les constructeurs allemands BMW et Daimler, et des groupes comme Jaguar Land Rover ont eux aussi une exposition significative au diesel et seront également affectés", poursuit Fitch. "Mais leur marge de manoeuvre tarifaire bien plus grande devrait en atténuer l'impact."

Même constat pour le groupe Volkswagen qui, à côté de sa marque généraliste éponyme, compte des marques premium ou haut de gamme comme Audi et Porsche, pour lesquelles un surcoût de quelques centaines d'euros passe plus facilement inaperçu.

Si des changements abrupts devaient être opérés dans les programmes de moteurs, qui ne sont habituellement pas totalement amortis avant vingt années, les constructeurs pourraient être confrontés "à des dépréciations d'investissements significatives", ajoute l'agence de notation.

Dans un courrier daté du 29 septembre, les constructeurs automobiles européens ont demandé à la Commission européenne de ne pas réagir de façon précipitée.

SENTIMENT D'INJUSTICE

Volkswagen s'expose d'autant plus à la colère de ses concurrents que ceux-ci ont toléré plus ou moins docilement, des années durant, le lobbying allemand pour assouplir le calendrier sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, alors que les groupes français, par exemple, disposaient d'un solide avantage concurrentiel sur ce terrain.

Aujourd'hui encore, VW consacre au développement de ses nouveaux produits et technologies un budget supérieur de 65% à l'enveloppe cumulée de PSA, Renault et Fiat, selon Exane.

"Le sentiment d'injustice est réel, toute l'industrie se fait critiquer sur la réalité des émissions alors que certains, les Français en tête, se sont battus pour que ces nouveaux tests entrent en vigueur", souligne une source proche des groupes français. "Aujourd'hui, à Bruxelles, il y a unanimité au sein du groupe des généralistes - PSA, Renault, Fiat Chrysler, Ford Europe et Opel (General Motors) - mais pas avec les Allemands."

Les critères d'homologation font toujours débat, le trio germanique demandant notamment que les voitures soient testées au-delà des limitations de vitesse en vigueur dans le reste de l'Europe, des conditions de roulage pour lesquelles les grandes berlines allemandes sont mieux calibrées.

La question du niveau de tolérance qui sera accepté à l'avenir, un sujet devenu particulièrement sensible depuis l'affaire VW, fait aussi l'objet d'intenses tractations car il impliquera un nouveau surcoût pouvant atteindre, à l'échelle de l'industrie, quelque deux milliards d'euros selon des analystes.

La norme Euro 6 impose une réduction drastique des émissions de dioxyde d'azote (NOx) - à 80 milligrammes par kilomètre contre 180 grammes dans la norme précédente - mais ce niveau d'émission n'est atteint que sur le papier. En situation réelle, l'observatoire International Council on Clean Transportation (ICCT) estime que les voitures diesel émettent en moyenne 2,5 fois davantage à faible vitesse, et près de trois fois à très grande vitesse. Le dépassement peut même aller jusqu'à 8,5 fois avec certains véhicules.

Les nouveaux standards d'homologation, reposant sur des tests plus réalistes et des mesures en situation réelle de circulation, pourraient entrer en vigueur à partir de septembre 2017 après un an et demi de tests à blanc.

"Il faut qu'on définisse un coefficient de conformité qui soit acceptable par tous, qui tienne compte de la controverse actuelle mais aussi de ce que les constructeurs peuvent accepter économiquement", dit une source proche de PSA Peugeot Citroën.

Les partisans d'un strict respect des 80 milligrammes aimeraient une tolérance zéro tandis que les constructeurs penchent pour un ratio d'environ deux fois la limite, correspondant à un effort plus mesuré.

"C'est une moyenne, il y a aujourd'hui des véhicules qui sont au-dessus. Un tel ratio va ramener tout le monde dans une moyenne basse", précise Hugues Boucher, spécialiste des questions environnementales à la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), partie prenante des discussions.

"Nous sommes obligés de faire un panachage de toutes les conditions de route, qu'il s'agisse de la banlieue parisienne, d'une autoroute allemande, d'un déplacement hivernal en Suède ou d'une petite route d'altitude en Autriche", ajoute-t-il.

PSA, Renault et Fiat ont refusé de faire un commentaire sur les discussions en cours. Le Parlement européen pourrait voter sur la question à l'automne, peut-être début octobre.

L'AUTOMOBILISTE SERA SOLLICITÉ

Si les constructeurs japonais Toyota et Honda, précurseurs en terme d'hybridation, sont bien placés pour tirer parti de la nouvelle crise du diesel, PSA et Renault ont déjà commencé à modifier leur mix énergétique avec le lancement de petits moteurs essence plus économes, auxquels on a retiré un des quatre cylindres traditionnels.

Contrairement aux générations précédentes de ces petites voitures, la nouvelle Citroën C1 et la dernière Twingo ne sont plus proposées avec une motorisation diesel. En revanche, sur l'ensemble du catalogue, PSA a encore réalisé en Europe 62% de ses immatriculations en diesel au premier semestre et Renault 59%.

"Le diesel est intrinsèquement plus difficile à dépolluer que les moteurs essence, et de surcroît le diesel part d'une base moteur plus chère", rappelle Guillaume Devauchelle, directeur de la R&D de Valeo en marge du dernier "Innovation challenge" de l'équipementier. "Donc cela paraît plus facile à faire sur de l'essence, notamment pour des petites voitures."

Plastic Omnium, leader mondial de la technologie de dépollution diesel, estime qu'on peut encore aller plus loin en matière de dépollution. Sa technologie SCR consiste à injecter une solution à base d'urée (Adblue) qui neutralise les NOx en les transformant en azote inoffensif et en eau.

"Si on durcit Euro 6, ou du moins son application dans la vie réelle, il faut que les constructeurs ouvrent le robinet d'Adblue, c'est la seule solution", fait valoir un porte-parole de l'équipementier.

Les constructeurs exposés à l'autre grande technologie anti-NOX, le LNT (Lean NOx Trap ou piège à NOx), pourraient disposer d'une marge de manoeuvre plus limitée. Selon l'ICCT, la SCR permet de neutraliser jusqu'à 95% des oxydes d'azote, contre un taux d'efficacité moyen compris entre 70% et 90% pour le LNT.

Renault, Fiat et Opel ont opté davantage pour le LNT, PSA et Audi pour la SCR.

Mais même avec cette dernière technologie, l'impact d'un durcissement des normes ne sera pas neutre pour l'automobiliste.

Aujourd'hui, les constructeurs ont programmé la consommation pour que le remplissage du réservoir d'urée tombe tous les 15.000 ou 20.000 kilomètres, épousant ainsi le calendrier des visites d'entretien au garage.

Si l'on veut réduire encore les émissions de NOx, le conducteur devra faire ce deuxième plein plus souvent, soit avec une pompe spéciale, soit au bidon.

(Avec Andreas Cremer à Berlin, Agnieszka Flak à Milan et Joe White à Detroit, édité par Jean-Michel Bélot et Marc Angrand)