Les attentats font bouger les lignes françaises en Syrie

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La france inflechit sa strategie diplomatique en syrie apres les attentats[reuters.com]
(Crédits : Philippe Wojazer)

par Marine Pennetier et John Irish

PARIS (Reuters) - Les attentats commis par l'Etat islamique à Paris ont poussé la France à infléchir sa stratégie diplomatique en Syrie, en faisant de la lutte contre l'organisation djihadiste sa priorité numéro un et en ouvrant la porte à une coopération avec la Russie à laquelle elle se refusait jusqu'à présent.

François Hollande a réclamé lundi un rassemblement "de tous ceux qui peuvent réellement lutter contre cette armée terroriste dans le cadre d'une grande et unique coalition".

Le chef de l'Etat a également insisté devant le Congrès sur le fait que l'ennemi de la France "en Syrie, c'est Daech" et non le président syrien Bachar al Assad dont le maintien au pouvoir ne peut toutefois pas "constituer l'issue du conflit syrien".

"On sent que les positions que défendait principalement le ministère français des Affaires étrangères sont un petit peu mises en sourdine, ça veut dire qu'on ne met plus comme préalable le départ de Bachar al Assad", souligne Alain Rodier, directeur de recherches au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).

"Le fait de redésigner l'Etat islamique comme ennemi numéro un apparaît très clairement" dans le discours de François Hollande, ajoute-t-il. "Cela sous-entend que l'Etat islamique est une menace directe pour nos intérêts et que le régime de Damas, tout condamnable soit-il pour l'attitude vis-à-vis du peuple n'est pas considéré comme une menace pour nos Etats".

Jusqu'à présent, la France avait adopté une ligne dure concernant l'avenir de Bachar al Assad dans le cadre d'une transition politique destinée à mettre fin au conflit syrien qui a fait plus de 250.000 morts depuis mars 2011.

QUEL SORT RÉSERVER A ASSAD ?

Le régime syrien et l'Etat islamique étaient vus comme "les deux faces d'une même médaille" à Paris, où on continue de réclamer le départ du président.

Pour François Heisbourg, président de l'International institute for strategic studies, la France a commencé à modifier sa position syrienne bien avant les attentats de vendredi.

"Sur Bachar, la politique française a commencé à changer il y a environ six mois quand ils ont décidé qu'ils n'allaient plus envisager de fournir des armes à la rébellion et que la chute de Bachar ne nous concernait pas concrètement", dit-il à Reuters.

"La question maintenant c'est de savoir si la France va aller plus loin et permettre une présence de Bachar dans le cadre d'un processus politique ou non".

Deuxième inflexion française, la coopération avec la Russie contre l'Etat islamique, deux mois seulement après le rejet par Paris d'une proposition émise par Moscou qui appelait à mettre sur pied une grande coalition anti-EI.

"Ce qui a changé, c'est peut-être moins la France que d'abord la Russie", se défend l'entourage du ministre de la Défense à Paris. "La Russie a reconnu maintenant que le crash d'un avion russe [en octobre dans le Sinaï] était bien un attentat".

Moscou, "commence à se dire que Daech est son propre ennemi aussi et qu'il faut le frapper", ajoute-t-on.

Les récentes frappes russes contre l'EI dans les secteurs d'Alep et d'Idlib en Syrie "sont bien la preuve qu'il y a de leur côté aussi une prise de conscience", estime Paris.

Lors d'un entretien téléphonique ce mardi, François Hollande et Vladimir Poutine, qui se rencontreront la semaine prochaine à Moscou, sont convenus de coopérer plus étroitement dans la lutte contre l'EI.

COORDINATION

Le président russe a d'ores et déjà ordonné à la flotte russe d'entrer en contact avec le porte-avions français Charles-de-Gaulle, qui doit appareiller mercredi à destination de la Méditerranée orientale.

A la fin de la semaine prochaine, "on veut être en mesure de frapper ensemble, plus intelligemment, Daech, faire mal à Daech en les prenant par leurs financements", souligne une source diplomatique française. "Et voir comment avancer ensemble à un processus qui conduise au départ de Bachar al Assad."

Dans les faits, la coordination avec la Russie, qui pourrait impliquer le choix des cibles à viser, est loin d'aller de soi.

"Pour l'instant il n'y a quasiment pas de coordination, il y a le minimum pour éviter les incidents" dans le ciel syrien, souligne Camille Grand, directeur de la fondation pour la recherche stratégique.

Or, "jusqu'à une date récente, les Russes frappaient presque exclusivement des cibles qui n'étaient pas Daech, 90% des leurs frappes étaient sur l'opposition à Bachar al Assad hors Daech", poursuit-il. "Il y a là un sujet qu'il va falloir traiter avec les Russes si on veut travailler ensemble".

"On ne va pas se coordonner pour qu'on tape sur des gens qu'on considère comme des gens à peu près raisonnables dans le paysage syrien, donc cela va être un point important de discussion."

(avec Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse)