Onde de choc chez les expatriés des deux côtés de la Manche

reuters.com  |   |  783  mots
Onde de choc chez les expatries des deux cotes de la manche[reuters.com]
(Crédits : Susana Vera)

par Chine Labbé

PARIS (Reuters) - Le choix du Royaume-Uni de sortir de l'Union européenne a provoqué une onde de choc dans la communauté britannique de France, mais aussi chez les Français installés outre-Manche, qui s'interrogent sur l'impact de cette décision sur leur vie.

Au 31 décembre 2015, 400.000 Britanniques vivaient en France, et environ 350.000 Français au Royaume-Uni, selon les estimations du ministère français des Affaires étrangères.

Autant d'expatriations qui pourraient être fragilisées après la victoire des partisans du "Brexit", jeudi.

"Ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'on puisse me retirer la liberté de mouvement", dit Imogen Roy, 26 ans.

Depuis onze ans, cette Écossaise née à Londres vit hors du Royaume-Uni. Pendant six ans, elle a habité en Allemagne et, depuis cinq ans, elle a élu domicile à Paris.

"Pour nous, c'est très naturel de bouger d'un pays à l'autre", ajoute celle qui dit se sentir européenne d'abord, écossaise ensuite, et britannique enfin.

Convaincue de la nécessité de rester dans l'Union européenne, Imogen s'est rendue mercredi à Londres armée de 600 croissants et cartes postales portant des messages d'amour de la part de Français. Objectif : convaincre ses compatriotes. "Je suis très choquée. Je pensais que le vote serait serré, mais que le 'Bremain' passerait malgré tout".

"LE DÉBUT DE LA FIN DU PROJET EUROPÉEN ?"

Inquiet comme elle des possibles conséquences du Brexit, notamment sur sa liberté d'installation, Iain McKenny a déjà cherché un moyen de rester membre de l'UE.

Cet Anglais de 41 ans, en France depuis huit ans, a appelé l'ambassade d'Irlande, et eu confirmation que, grâce à ses grands-parents irlandais, il pouvait le devenir lui-même.

"La meilleure nouvelle que j'ai eu ce matin c'est quand ils m'ont dit 'Bienvenue en Irlande'", raconte-t-il. "Je vais postuler immédiatement."

Mais à terme, Iain McKenny, "honteux" du résultat du référendum, dit ne pas savoir s'il restera dans l'Union. "Si c'est le début de la fin du projet européen, j'ai un passeport canadien, et je l'utiliserai."

A 70 ans, et après plus de vingt ans passés à Marseille, Michael Irish a, lui aussi, décidé de se procurer un autre passeport, français en l'occurrence. "Les partisans du Brexit pensent qu'ils ont ouvert la porte vers un pays merveilleux, mais c'est une fable, c'est 'Alice au pays des merveilles'."

Prudent, Mark Harris, 45 ans, dit vouloir "laisser la poussière retomber" pendant quelques mois.

Mais il craint de possibles "représailles" de la part des autorités françaises, et regrette de ne pas avoir eu voix au chapitre, le droit de vote étant ôté aux Britanniques installés depuis plus de quinze ans à l'étranger.

Comme d'autres, il se demande s'il va rester en France ou s'il devrait demander la nationalité française. "C'est la dernière chose que je souhaite", dit-il toutefois. "Je suis Britannique et fier de l'être."

"FRACTURE IDENTITAIRE"

Un sentiment partagé par Anne Wilding, retraitée de 63 ans qui réside à La-Breille-les-Pins (Maine-et-Loire). "Je suis née Britannique, je préfèrerais garder ma nationalité", dit-elle.

La peur de perdre son droit de séjour est toutefois bien présente. "Assise dans la maison qui est la mienne depuis quinze ans, je me suis soudainement sentie comme une immigrée, c'est très étrange."

Seule voix discordante parmi tous les témoignages recueillis en France par Reuters, Duncan Evans, 58 ans, a voté pour le Brexit, sans croire que son camp gagnerait. Aujourd'hui, loin d'être déçu ou inquiet, il dit ne pas croire à un impact négatif de cette décision sur ses affaires, parmi lesquelles une maison d'hôte haut de gamme dans le sud de la France.

"Je paie mes taxes en France, je ne peux pas croire une seule seconde que ce pays refusera du jour au lendemain ma contribution à son économie parce que je suis un citoyen britannique", dit-il.

Mais des deux côtés de la Manche, l'inquiétude semble dominer chez les expatriés français et britanniques.

"Pour le moment, tout le monde essaye de nous rassurer, en nous disant que rien ne devrait changer dans les deux prochaines années, mais personne ne sait ce qui va se passer", souligne la Française Dominique Akhoun, bibliothécaire universitaire en Angleterre depuis treize ans.

Ses deux enfants, nés à Londres d'une mère Française et d'un père Suisse, "se sentent très Londoniens". Dominique, elle, se dit bien intégrée, et confie avoir une "profonde affection pour la mentalité Britannique."

"C'est difficile à expliquer, cette fracture identitaire."

(avec Ingrid Melander, Richard Lough et John Irish, édité par Yves Clarisse)