L'article 50, pomme de discorde du Brexit

reuters.com  |   |  730  mots

par Alastair Macdonald et Paul Taylor

BRUXELLES (Reuters) - Les partisans les plus ardents du fédéralisme européen, dont l'un tire aujourd'hui les ficelles à Bruxelles, ont lorsqu'elle a été proposée en 2003 tenté de dynamiter la clause permettant à un Etat membre de quitter l'UE ou de la rendre inapplicable.

C'est cette clause, pourtant élaborée par un diplomate britannique chevronné et qui conduit automatiquement à une sortie du bloc après deux ans, que la Grande-Bretagne rechigne à mettre en oeuvre pour des raisons tactiques, malgré la victoire des partisans du divorce lors du référendum de jeudi dernier.

L'ironie du sort est omniprésente dans l'histoire de cette disposition, devenue l'article 50 du Traité de Lisbonne adopté en 2009.

Rédigée par John Kerr, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne auprès de l'UE, alors secrétaire général de la Convention sur l'avenir de l'Europe, elle a été proposée par Valéry Giscard d'Estaing, président de ladite Convention, dont la tâche consistait à doter l'UE d'une Constitution.

Dans un entretien accordé cette semaine au Corriere della Sera, l'ex-président français explique qu'elle visait à dissiper "la crainte éminemment anglo-saxonne que l'Union européenne ne soit une espèce de prison dont on ne peut sortir une fois qu'on y est entré".

Pour John Kerr, aujourd'hui membre de la Chambres des Lords, l'objectif était également de "réfuter les bobards" d'une partie de la presse, selon laquelle la Grande-Bretagne serait prise au piège d'une Europe toute puissante.

En réalité, a-t-il expliqué à Reuters, rien n'interdisait à un Etat membre d'en sortir avant même l'introduction de cette clause. "Si vous arrêtiez de payer et de siéger, on vous signifiait votre sortie", explique-t-il. En bon connaisseur de la guerre de Sécession américaine, Valéry Giscard d'Estaing tenait toutefois à formaliser la procédure.

"La Commission et le Parlement européen ne l'aimaient pas parce qu'ils la trouvaient souverainiste et se demandaient pourquoi l'ajouter si Jean Monnet ne l'avait pas fait", poursuit John Kerr.

Sous l'impulsion de l'Allemand Elmar Brok, coordinateur de la délégation du Parti Populaire Européen à la Convention sur l'avenir de l'Europe, les fédéralistes ont d'abord cherché à s'opposer à son adoption, avant d'y adjoindre la limite de deux ans pour la période transitoire.

"JE PENSE QU'ILS NE NOTIFIERONT JAMAIS"

"J'étais contre", raconte-t-il. "Si un Etat membre voulait quitter l'UE, il y avait d'autres moyens. Il n'y avait pas besoin de clause particulière. Mais, puisque Giscard et d'autres y tenaient, nous l'avons adoptée dans le cadre d'un compromis sur les pouvoirs du Parlement européen."

L'article 50, estime-t-il, n'est qu'une procédure de divorce sans conséquences pour l'avenir de la construction

européenne. Elle ne pouvait selon lui être négociée qu'après l'exclusion de l'Etat membre désireux de rompre. Or, c'est précisément ce que les partisans britanniques du "Leave" veulent éviter.

Elmar Brok n'était pas seul à s'y opposer. Craignant que l'article 50 n'encourage les départs, les gouvernements allemand et néerlandais ont exprimé leur hostilité à son sujet dans le cadre de la Convention.

"Cette clause doit être rayée", estimait ainsi le chef de la diplomatie allemande de l'époque, Joschka Fischer.

La limite de deux ans a été ajoutée à l'initiative de Martin Selmayr, alors conseiller de la commission juridique du Parlement européen. Il est aujourd'hui chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, président de la Commission, et beaucoup le considèrent comme l'homme fort de Bruxelles.

Elle pose un gros problème à la Grande-Bretagne, qui souhaite conserver autant d'avantages que possible malgré sa sortie annoncée, dans la mesure où, une fois entamée, la procédure ne peut être enrayée ou prolongée que par une décision unanime, ce qui confère un droit de veto à chaque Etat membre.

Voilà pourquoi David Cameron rechigne à notifier la décision des électeurs britanniques, alors que les "27" le pressent de le faire.

"Conseilleriez-vous (aux Britanniques) d'envoyer une lettre qui enclenche un processus automatique et leur fait supporter toute la pression ? Dés lors qu'on appuie sur le bouton, on entre dans de stupides tractations", estime un membre de l'administration européenne impliqué dans cette procédure.

"Je pense personnellement qu'ils ne notifieront jamais. Ils ont les fonctionnaires les plus intelligents du monde".

(Jean-Philippe Lefief pour le service français)