La polémique sur le burkini se poursuit

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La polemique sur le burkini continue d'enfler[reuters.com]
(Crédits : © Stringer . / Reuters)

PARIS (Reuters) - La polémique sur le burkini a continué jeudi d'exacerber les tensions en France jusqu'au gouvernement, où Manuel Valls a désavoué Najat Vallaud-Belkacem, pour qui la multiplication des arrêtés d'interdiction constitue une "dérive" politique.

Cette polémique enfle depuis fin juillet et les premiers arrêtés pris dans plusieurs villes de France - dont Cannes, le Touquet et la Ciotat - contre le port de cette tenue de bain controversée utilisée par des musulmanes pratiquantes.

Saisi notamment par la Ligue des droits de l'Homme (LDH), le Conseil d'Etat, plus haute juridiction administrative française, devait examiner dans l'après-midi la légalité de l'arrêté pris au nom de risques potentiels de troubles à l'ordre public par la mairie de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) .

La prolifération des arrêtés anti-burkini "n'est pas bienvenue", a estimé la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, sur Europe 1.

"Je pense que ça pose un problème, ça pose la question de nos libertés individuelles: jusqu'où va-t-on pour vérifier qu'une tenue est conforme aux bonnes mœurs ?" a-t-elle dit. "Cela par ailleurs libère la parole raciste, on l'a remarqué dans les verbalisations, dans les incidents".

"Je pense qu'il y a une dérive qui est dangereuse, une dérive politique, puisque ces arrêtés ont été pris par des responsables politiques", a-t-elle ajouté.

Un peu plus tard au micro de BFM TV et RMC, Manuel Valls prenait le contre-pied de sa ministre : "Je pense que ces arrêtés ne sont pas une dérive", a dit le Premier ministre.

Quant à la libération de la parole raciste évoquée par sa ministre, il a estimé que c'était "une mauvaise interprétation des choses", car "ces arrêtés ont été pris au nom-même de l'ordre public".

"DISCERNEMENT"

"Ils ont été pris à un moment donné, dans des plages du sud de la France, quelques jours après les attentats de Nice dans un contexte particulier", a fait valoir Manuel Valls.

Le député socialiste "frondeur" Yann Galut a critiqué cette mise au point sur Twitter. "Une fois de plus Valls divise les Français, la gauche et jusqu'à son propre gouvernement", a-t-il écrit. "On est nombreux à ne plus en pouvoir."

En déplacement à Strasbourg, le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, a lui-même cédé à la tentation du commentaire.

"Il faut dans le pays aujourd'hui tel qu'il est (...) avoir beaucoup d'exigence en termes d'ordre public (...) et une priorité, le maintien de la cohésion nationale", a-t-il dit.

"Dans leurs compétences, les maires sont légitimes. Mais je ne veux pas en faire un débat sur les religions, je ne veux pas en faire un débat sur la laïcité aujourd'hui", a-t-il ajouté.

"Notre pays aujourd'hui, s'il souffre de quelque chose, c'est des risques de désunion et des commentaires incessants sur tous les sujets", a conclu le jeune ministre, pourtant habitué des prises de position iconoclastes.

Les arrêtés anti-burkini nourrissent dans la communauté musulmane la crainte d'une stigmatisation. Ses représentants ont été reçus mercredi à leur demande par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, qui leur a assuré que les principes de l'État de droit seraient respectés.

Les arrêtés doivent être appliqués "avec discernement", a pour sa part dit Manuel Valls à BFM TV. "On ne peut pas accepter le prosélytisme mais on ne peut pas accepter l'humiliation non plus. Tout ce qui peut apparaître comme une stigmatisation, une volonté de s'en prendre à l'islam est évidemment condamnable."

CONSTERNATION

La polémique s'est invitée dans la pré-campagne pour l'élection présidentielle de 2017.

L'ex-chef de l'Etat Nicolas Sarkozy, candidat à la primaire de la droite et du centre, a ainsi dénoncé dans une interview au Figaro Magazine le port du burkini sur les plages, fustigeant un "acte politique" et une "provocation".

Cécile Duflot, candidate à la primaire d'Europe Ecologie-Les Verts, a lancé jeudi une mise en garde contre un risque "de guerre de tous contre chacun".

Sur France 2, le co-fondateur du Parti de Gauche Jean-Luc Mélenchon a appelé à ne pas stigmatiser la communauté musulmane.

"Nous sommes face à une offensive politique de l'islamisme, nous ne sommes pas dupes", a-t-il dit. Mais "ce qui ne va pas aujourd'hui, c'est qu'on a l'impression qu'on montre du doigt sans cesse l'islam."

Les arrêtés et la polémique qu'ils suscitent sont observés avec consternation à l'étranger. Ainsi, le maire de Londres de confession musulmane, Sadiq Khan, en visite à Paris, critique les premiers dans un entretien au quotidien Evening Standard.

"Personne ne devrait dicter aux femmes ce qu'elles doivent porter, un point c'est tout", déclare-t-il. "Je ne dis pas que nous sommes parfaits mais l'une des joies de Londres c'est que nous tolérons non seulement la différence mais nous l'intégrons et nous la célébrons."

(Marine Pennetier, avec Michel Rose, Simon Carraud et Gilbert Reilhac à Strasbourg, édité par Emmanuel Jarry)