La campagne de 2017 s'immisce dans la rentrée littéraire

reuters.com  |   |  907  mots
La campagne de l'election presidentielle se joue aussi dans les librairies[reuters.com]
(Crédits : Pascal Rossignol)

par Elizabeth Pineau

PARIS (Reuters) - La campagne de l'élection présidentielle de 2017 en France se joue aussi dans les librairies.

A huit mois de l'échéance fleurissent sur les étals professions de foi de candidats à la primaire de droite, bilans du quinquennat de François Hollande, analyses, biographies et autres livres de souvenirs politiques.

"Une maison d'édition reflète l'air du temps et ce qui intéresse les gens, a fortiori en année électorale", a expliqué à Reuters Sophie de Closets, P-DG des Editions Fayard.

C'est par la publication d'un livre-programme, "Tout pour la France", que Nicolas Sarkozy, a officialisé cette semaine sa candidature à la primaire de son camp prévue en novembre, avant de quitter la présidence des Républicains (LR).

L'éditeur de l'ex-chef de l'Etat, Plon, garde secret le nombre d'exemplaires mis en vente sachant que son précédent opus, "La France pour la vie", s'est écoulé à 170.000 exemplaires, selon l'institut Gfk, référence en la matière.

Mais le site internet amazon.fr place "Tout pour la France" en tête de ses ventes de livre, devant Harry Potter.

De Bruno Le Maire à Alain Juppé en passant par François Fillon, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-François Copé et Hervé Mariton, la plupart des candidats conservateurs ont, comme l'ex-président, couché sur le papier leur projet pour la France.

Au pays de Victor Hugo et de François Mitterrand, qui adressa en 1988 une "Lettre à tous les Français" annonçant sa candidature à un second mandat, la tradition de l'écrit perdure.

"Écrire un livre fait partie de la geste d'une candidature présidentielle sérieuse, crédible. Le candidat s'adresse à tous les Français, pas seulement à son électorat", explique Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'institut de sondages Ifop.

Le directeur des éditions Privat, Philippe Terrancle, croit en la force du livre malgré l'irruption des réseaux sociaux.

LES ÉCRITS RESTENT

"Un livre a un statut, une force indéniable depuis 5000 ans, même à l'heure d'internet, des tweets assassins, des petites phrases prononcées à 10h00, oubliées à 10h15. Le livre a une permanence, une charge symbolique : ce qui y est écrit prend de facto une résonance", a-t-il dit à Reuters.

Dans un pays où l'opinion ne croit plus guère en la parole politique, un livre engage son auteur.

"Les paroles s'envolent, les écrits restent : c'est une manière d'affirmer que ce qui est dans un livre va être fait. Même si l'opinion reste sceptique", souligne Frédéric Dabi.

Gage pour l'avenir, un livre sert aussi à faire le bilan d'une action.

En cette rentrée littéraire, plusieurs opus ont François Hollande pour sujet principal, dont deux recueils d'entretiens, "Ça n'a aucun sens" (Plon) et "Conversations privées avec le président" (Albin Michel), un livre-bilan, "François Hollande, le courage de réformer" (Privat) et un récit du quinquennat, "Le Premier secrétaire de la République" (Fayard). D'autres sont attendus à l'automne.

L'auteur du dernier cité, le journaliste Cyril Grazziani, dit avoir voulu se distinguer par une "analyse clinique" où "90% des interviews sont en 'on'" : "François Hollande parle à beaucoup de monde : on ne peut pas parler de confidences, mais de story telling. Sa parole doit être mise en perspective avec d'autres voix", a-t-il expliqué à Reuters.

Pour Frédéric Dabi, les livres se basant sur des propos du président ne servent pas forcément ce dernier, qui dira en décembre s'il repart dans la course à l'Elysée, alors que les prétendants se bousculent à gauche.

"Ça donne l'image d'un président qui n'est pas concentré sur son action, plus soucieux de la trace qu'il va laisser que du bien-être des Français", dit Frédéric Dabi. "Ça ne rentre pas dans la catégorie des livres qui solidifient une image."

DE L'INTÉRIEUR

D'une manière générale, les personnalités de l'opposition se vendent mieux que celles de la majorité. Année électorale ou pas, les best-sellers écrits par des politiques ne coïncident pas forcément avec l'actualité brûlante de leur auteur.

C'est ce que semblent montrer les récents succès des ouvrages de l'ex-ministre Christiane Taubira ("Murmures à la jeunesse", écoulé à 152.000 exemplaires chez Philippe Rey), de l'élu vendéen Philippe De Villiers ("Le moment est venu de dire ce que j'ai vu", Albin Michel, 245.000 livres vendus) et de l'ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré ("Ce que je ne pouvais pas dire", Robert Laffont, 105.000).

"Le récit de l'intérieur d'une personnalité qui a fait un pas de côté, ça marche bien. Il peut aussi y avoir une attente forte vis-à-vis d'une personnalité. Ce serait le cas (du ministre de l'Economie) Emmanuel Macron", explique Sophie de Closets. "En revanche le livre qui recycle des éléments de com', le robinet d'eau tiède, non. Et ça peut-être douloureux : moins de 500 exemplaires !"

Les ouvrages de politique et d'actualité sont une catégorie intéressante économiquement pour les éditeurs. Selon GfK, ils ont représenté 2,8 millions de volumes écoulés en 2015 pour un chiffre d'affaires variant entre 1% et 1,5 % de l'ensemble du marché du livre.

"Il ne faut pas regretter de voir trop d'ouvrages de ce type dans les librairies", commente Philippe Terrancle. "Le jour où la réflexion politique ne passera plus par ce support multimillénaire, c'est là qu'il faudra s'inquiéter."

(Edité par Emmanuel Jarry)