Revirement de Trump sur l'Afghanistan, prêt à envoyer des renforts

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Trump change d'avis sur l'afghanistan, pret a envoyer des renforts[reuters.com]
(Crédits : Joshua Roberts)

par Steve Holland, Ayesha Rascoe et Jonathan Landay

WASHINGTON (Reuters) - Revenant sur ses engagements de campagne, Donald Trump a ouvert la voie lundi soir à un renforcement des effectifs militaires américains en Afghanistan dans le cadre d'une révision de la stratégie des Etats-Unis dans la région.

Le président américain, qui avait exprimé ses doutes sur l'opportunité de prolonger une guerre qui dure depuis près de 16 ans, a expliqué que sa nouvelle politique serait "un combat pour gagner" avec pour but d'empêcher l'Afghanistan de devenir un sanctuaire pour les islamistes alors que les taliban gagnent du terrain.

"Nous ne sommes pas dans la reconstruction d'un pays. Nous tuons des terroristes", a dit Trump, qui s'exprimait sur la base militaire de Fort Myer, en Virginie.

Le président a également ouvert la porte à des discussions avec "une partie des taliban" en vue d'un règlement politique. "Mais nul ne sait si ou quand cela aura lieu", a-t-il ajouté.

L'envoi de troupes américaines en Afghanistan a été décidée en octobre 2001 par le président de l'époque George W. Bush, pour renverser le régime taliban qui avait offert un refuge à Al Qaïda pour préparer les attentats du 11 septembre 2001 contre New York et Washington.

Les taliban ne sont plus au pouvoir, mais Trump se retrouve confronté aux mêmes défis que ses prédécesseurs : des taliban qui continuent à commettre des attentats et à grignoter du terrain et un gouvernement faible à Kaboul, miné par des rivalités ethniques et la corruption, malgré le soutien de l'Occident. Le gouvernement du président Ashraf Ghani contrôlerait moins de 60% du pays.

"Les conséquences d'un retrait rapide seraient tout à la fois prévisibles et inacceptables. Un retrait précipité créerait un vide que les terroristes, parmi lesquels l'EI et Al Qaïda, rempliraient instantanément", a dit Trump.

Dans un communiqué, les taliban ont condamné ses annonces. "Au lieu de poursuivre une guerre en Afghanistan, les Américains auraient dû réfléchir à un retrait de leurs soldats", a dit le porte-parole des insurgés islamistes, Zabihullah Mujahid, ajoutant que les taliban "poursuivr(aient) le djihad tant qu'il restera un seul soldat américain dans notre pays".

PAS DE "CHÈQUE EN BLANC" AU GOUVERNEMENT DE KABOUL

Dans les milieux militaires et du renseignement, on craint qu'une victoire des taliban ne permettre à Al Qaïda et aux représentants régionaux de l'Etat islamique d'établir des bases en Afghanistan à partir desquelles seront organisées des attaques contre les Etats-Unis et leurs alliés.

Pendant la campagne présidentielle, l'an dernier, le candidat républicain avait fustigé la politique extérieure, trop coûteuse en vies et en argent et dont Hillary Clinton, disait-il, était l'incarnation.

La guerre en Afghanistan a coûté la vie à plus de 2.400 militaires américains. Son coût depuis le début est estimé à plus de 700 milliards de dollars (600 milliards d'euros).

Dans son discours dénué de chiffres et retransmis en prime time à la télévision, Donald Trump n'a pas dit combien de temps les forces américaines devraient rester dans le pays ni combien de soldats supplémentaires viendraient épauler les 8.400 hommes présents. La présence américaine, a-t-il expliqué, dépendra des "conditions sur le terrain, pas d'échéanciers arbitraires".

De source autorisée, on indique que le président a donné son feu vert au projet du secrétaire à la Défense James Mattis qui prévoit d'envoyer 4.000 hommes supplémentaires.

Trump a toutefois fait comprendre que sa patience envers le gouvernement afghan avait des limites. Kaboul devra coopérer davantage pour justifier la poursuite de l'engagement américain, a-t-il dit, prévenant que le soutien des Etats-unis n'était pas un chèque en blanc" et que Washington ne s'engagera pas dans un processus d'"édification d'un pays".

Le président républicain a expliqué qu'il avait dû surmonter ses doutes initiaux. "Mon instinct à l'origine allait vers un retrait", a déclaré Donald Trump en ajoutant que ses conseillers à la sécurité nationale l'avaient convaincu de renforcer la capacité des Etats-Unis à empêcher les taliban de chasser le gouvernement en place à Kaboul.

"L'ALTERNATIVE, C'EST PERDRE OU NE PAS PERDRE.

GAGNER N'EST PAS VRAIMENT UNE OPTION."

Le chef de la Maison blanche a parallèlement insisté sur la nécessité que d'autres pays ou instances - le gouvernement afghan, l'Inde et les alliés de l'Otan - renforcent leurs propres engagements. Il a réservé ses mots les plus durs au Pakistan, accusé d'être complaisant avec les islamistes, mais, là encore, sans être précis sur les modalités.

"Nous ne pouvons plus rester silencieux sur les sanctuaires au Pakistan", a déclaré le président républicain. "Le Pakistan a beaucoup à gagner à s'associer à notre action en Afghanistan. Il a beaucoup à perdre en continuant à accueillir des terroristes."

Un porte-parole de l'armée pakistanaise a déclaré lundi que le Pakistan avait agi contre tous les islamistes et notamment contre le réseau Haqqani, l'allié des taliban. "Il n'y a pas de refuge pour les terroristes au Pakistan. Nous avons agi contre tous les terroristes, y compris le réseau Haqqani", a déclaré le général Asif Ghafoor lors d'un point de presse à Islamabad.

Envoyer des troupes supplémentaires pourrait faire "gagner du temps au gouvernement afghan pour renforcer sa légitimité et obtenir le soutien des Afghans, ce qui l'aidera à négocier la fin du conflit", estime Scott Worden, de l'Institute for Peace.

Mais des renforts ne vont pas à eux seul vaincre les taliban, prévient cet expert. La composante militaire de la stratégie doit être couplée à une gestion politique, dit-t-il.

Son prédécesseur Barack Obama, qui avait rêvé de rapatrier le dernier soldat d'Afghanistan aux Etats-Unis avant la fin de son mandat, avait finalement dû se résoudre à laisser un contingent sur place. Il y a eu un temps quelque 100.000 Américains en Afghanistan sous son mandat, avec une puissance aérienne considérable et des frappes de drones de la CIA sur les sanctuaires extrémistes au Pakistan et des milliards de dollars pour la reconstruction et l'instauration d'une démocratie.

Obama avait aussi consacré une grande énergie à mettre fin à la guerre sur le plan diplomatique, nommant un envoyé spécial pour coordonner les négociations. Trump a non seulement supprimé ce poste, mais prévu de réduire le budget du département d'Etat de 30% et de laisser de vacants de très nombreux postes importants.

"L'alternative, c'est perdre ou ne pas perdre. Gagner n'est pas vraiment une option", a commenté James Dobbin, qu'Obama avait nommé au poste de représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan, aujourd'hui chercheur à la Rand corporation.

(avec Mirwais Harooni à Kaboul et David Alexander, Yeganeh Torbati et Jeff Mason à Washington; Danielle Rouquié et Henri-Pierre André pour le service français)