Le FDP revient dans le jeu politique et embarrasse Merkel

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(Crédits : Morris Macmatzen)

par Noah Barkin

BERLIN (Reuters) - Après les élections du 24 septembre en Allemagne, Angela Merkel pourrait former un nouveau gouvernement avec un parti dont le chef de file affirme que la Grèce devrait sortir de l'euro, la Russie garder la Crimée et les réfugiés retourner dans leur pays d'origine.

Le Parti libéral-démocrate (FDP) est un partenaire historique de la CDU-CSU de la chancelière. Il était associé aux gouvernements de Helmut Kohl et au deuxième gouvernement Merkel, entre 2009 et 2013.

Mais l'accident de 2013 - la sortie du Parlement avec moins de 5% des suffrages au niveau national, seuil requis pour entrer au Bundestag - a contraint les Libéraux à se réinventer.

Et leur nouvelle ligne, incarnée par un ambitieux trentenaire au discours radical sur l'Europe, déstabilise la classe politique allemande, y compris au sein du parti chrétien-démocrate d'Angela Merkel.

Pourtant, si la CDU-CSU est en mesure de former un cabinet de coalition avec le FDP après le 24 septembre, la chancelière n'aura guère d'autre choix que de s'allier avec les Libéraux et leur jeune dirigeant Christian Lindner.

Le bloc conservateur aura du mal à ne pas renouer ce partenariat de longue date, surtout après quatre années d'alliance avec le SPD (Parti social-démocrate), son rival historique.

"Le pire scénario pour Merkel serait d'obtenir une étroite majorité avec le FDP", estime Frank Decker, politologue et directeur de thèse de Christian Lindner à l'Université de Bonn.

"Elle n'aurait pas le choix. Elle serait condamnée à gouverner avec eux."

Les sondages créditent le bloc CDU-CSU et le FDP d'un score cumulé d'environ 45% des voix, juste en dessous de la majorité. Il reste cependant l'hypothèse d'une coalition tripartite réunissant CDU-CSU, FDP et Grünen, que préfèrent les proches de Merkel.

MACRON BIS ?

En 2013, le FDP conduit par Guido Westerwelle avait chuté à 4,8% des voix faute d'avoir tenu sa promesse de baisser les impôts quand il était au gouvernement. Il pourrait doubler son score aujourd'hui, selon les enquêtes d'opinion.

Christian Lindner, avec ses costumes de banquier et sa barbe de trois jours, a pratiquement réussi à sortir à lui tout seul cette formation de sa mauvaise passe.

Les médias allemands ont pu le comparer à Emmanuel Macron en raison de son âge - 38 ans, soit un an de moins que le président français - et de sa confiance en soi.

Mais la ressemblance semble s'arrêter là.

Le chef de l'Etat français promet de travailler avec le prochain gouvernement allemand à une réorganisation de la zone euro, qu'il souhaite voir se doter d'un budget et d'un ministre des Finances. Christian Lindner a rejeté ces idées avec une agressivité qui a surpris jusqu'à ses plus proches alliés.

Dans son programme, le FDP promet l'instauration de sanctions automatiques pour les pays violant les règles budgétaires de l'UE, la suppression du fonds de sauvetage européen et la possibilité accrue pour les pays de se séparer de l'euro.

La Grèce est la cible favorite de Christian Lindner. Il y a deux semaines à Francfort, lors d'un forum bancaire, le chef du FDP a estimé que le rétablissement de la drachme serait une aubaine pour Athènes. "Tous ceux qui passent leurs vacances à Majorque iraient dans les îles grecques", a-t-il expliqué.

"(Lindner) pourrait faire regretter Wolfgang Schäuble à nos partenaires européens", ironise un conseiller d'Angela Merkel, par allusion à l'actuel ministre des Finances, déjà considéré comme un "faucon".

CONTROVERSES

Martin Lück, stratège d'investissement chez le gérant de fonds Blackrock, n'écarte pas le risque d'une nouvelle crise de la zone euro, marquée par exemple par une forte hausse du rendement des obligations souveraines italiennes, si le FDP entre dans le prochain gouvernement allemand.

Les responsables du parti libéral allemand minimisent de telles hypothèses, soulignant le rôle modérateur que jouent d'autres membres du FDP tels que les eurodéputés Alexander Graf Lambsdorff et Michael Theurer.

"Notre programme montre une direction, ce que nous ferions si nous étions en mesure de gouverner seuls, ce qui ne sera évidemment pas possible", explique un haut responsable du FDP.

Dans la dernière ligne droite de la campagne, Christian Lindner a lancé une série de propositions controversées, dans le but apparent de prendre des voix à l'extrême droite, au détriment d'Alternative für Deutschland (AfD).

Le mois dernier, il a préconisé de faire de l'annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 un "arrangement provisoire permanent". La semaine dernière, il a déclaré que les réfugiés fuyant leur pays en guerre devraient y retourner dès que la paix y serait rétablie.

Christian Lindner brouille les cartes au point que même les membres du FDP ont du mal à discerner ce qui relève d'un programme ou d'une simple posture électoraliste.

Le tableau devrait s'éclaircir dimanche, quand le parti dévoilera une liste de dix propositions prioritaires, qui devraient davantage ressembler à celles d'autres libéraux européens comme Emmanuel Macron (baisse d'impôts, investissements dans le haut débit, système d'immigration 'à la canadienne', visant à attirer les immigrés hautement qualifiés, etc.).

Quoi qu'il en soit, le FDP devra, s'il entre au gouvernement, se former sur le tas. Deux tiers de ses candidats aux législatives n'ont jamais siégé au Parlement. Un seul peut se targuer d'une expérience ministérielle à Berlin.

"Nous verrons s'ils ont appris les leçons du passé. Westerwelle était un grand dirigeant d'opposition mais il a eu des difficultés au gouvernement", rappelle Franck Decker. "Lindner devra éviter le même sort."

(Avec Thorsten Severin et Andreas Rinke, Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Gilles Trequesser)