Le Pen et Philippot au bord de la rupture

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Le pen et philippot se dechirent a la tete du fn[reuters.com]
(Crédits : Vincent Kessler)

par Simon Carraud

PARIS (Reuters) - Marine Le Pen et Florian Philippot ont fait un pas de plus mardi vers une possible rupture qui scellerait la fin de huit années de collaboration entre la présidente du Front national et son ex-homme de confiance, accusé de manifester des velléités d'émancipation avec son association personnelle.

La députée du Pas-de-Calais l'a plusieurs fois sommé de renoncer à la présidence de ce "laboratoire d'idées", Les Patriotes, ce à quoi Florian Philippot répond pour l'instant par une fin de non-recevoir.

"Si c'est le cas, je prendrai comme présidente du Front national mes responsabilités", l'a menacé Marine Le Pen sur RTL, sans dire quelle pourrait être la nature de la sanction.

"Il sait, je crois, que la création des Patriotes au moment des législatives a créé une forme d'émoi au sein du Front national (...) et même certaines inquiétudes", a-t-elle ajouté, tout en disant lui faire confiance pour "lever ces ambiguïtés".

Marine Le Pen l'avait déjà appelé à "clarifier" sa situation dans une interview au Parisien de vendredi et, lundi, elle l'a à nouveau pressé de rentrer dans le rang lors d'une réunion de dirigeants frontistes à Nanterre (Hauts-de-Seine).

"Je lui ai répondu, ainsi qu'au bureau politique, que je ne comprenais pas du tout cette demande et que je ne pouvais donc pas y répondre", a rétorqué mardi le vice-président frontiste sur BFM TV.

"Je ne comprends pas du tout cette demande et je pense qu'on ne fera pas la refondation avec un pistolet sur la tempe", a ajouté l'eurodéputé.

Lors de ce bureau politique à huis clos, Florian Philippot se trouvait en bout de table, lui qui a longtemps joué le rôle de plus proche conseiller et de stratège en chef.

"UN CÔTÉ PASSIONNEL, IRRATIONNEL"

L'énarque est entré en 2009 au service de l'héritière de la dynastie Le Pen à la suite d'un premier rendez-vous qui a, selon elle, viré au "coup de foudre intellectuel".

Par la suite, il a connu une rapide ascension dans l'appareil frontiste, jusqu'à occuper la vice-présidence à partir 2012, au risque de se créer de solides inimitiés.

Longtemps, Florian Philippot a été contesté par certains cadres mais protégé par la présidente, qui partage ses principales orientations, comme l'opposition farouche à l'Union européenne, la volonté de "dédiaboliser" le parti lepéniste et l'ambition de dépasser le clivage droite-gauche.

Cette stratégie s'est heurtée à la présidentielle d'avril-mai, conclue par une défaite au second tour avec un score en deçà des attentes du parti (33,9%).

Marine Le Pen a alors promis une "refondation", qui se traduit depuis quatre mois par un débat acerbe entre Florian Philippot et ses opposants, pour qui la conquête du pouvoir passe par un aggiornamento sur l'euro et une "union des droites".

"Tout le monde a compris que nos différences sont complémentaires mais il y a un côté passionnel, irrationnel dans les réactions des uns et des autres, un côté ridicule", déplore Jean Messiha, présent au bureau de lundi et joint par Reuters.

"Si c'est personnel, il faut le dire", a déclaré Florian Philippot sur BFM TV.

Il a pris en exemple la situation de Louis Aliot, député des Pyrénées-Orientales et compagnon de Marine Le Pen, à qui personne n'a jamais reproché de diriger son propre club de réflexion, Idées-Nation.

Mais, selon le chercheur Gilles Ivaldi, "les tensions autour de Florian Philippot s'intègrent dans un cadre plus large, qui est celui de la stratégie et du programme avec lesquels le FN peut un jour arriver au pouvoir".

"MACHINE INTELLECTUELLE"

"Ils ont aujourd'hui un problème qu'on peut résumer en une phrase, c'est qu'ils ne peuvent pas continuer comme avant mais, s'ils changent, il y a un risque de perdre leur attrait auprès de beaucoup de gens", poursuit-il.

Au-delà de la crise actuelle, le parti vit depuis la présidentielle un profond malaise, aggravé par le départ de Marion Maréchal-Le Pen vers d'autres horizons professionnels et l'embarras né de la prestation jugée ratée de Marine Le Pen durant le débat de l'entre-deux-tours.

"En ce moment, on ne progresse pas, c'est évident. Parce qu'on n'est pas suffisamment audibles", a encore dit le vice-président du FN sur BFM TV. "Je trouve que la refondation se passe mal."

Ce processus, qui pourrait aboutir à un changement de nom et de siège, est censé s'achever avec un congrès au mois de mars.

Se pose désormais la question des conséquences qu'aurait un départ du vice-président.

"La question est plus l'apport qualitatif que quantitatif de Florian Philippot", analyse Jérôme Fourquet, de l'Ifop. "C'est une machine intellectuelle qui a amené des jeunes cadres qui alimentent le parti en argumentaires."

"Or on a vu entre les deux tours (de la présidentielle) que le FN et Marine Le Pen elle-même sont cruellement en manque de ce type de ressources", toujours selon Jérôme Fourquet.

L'histoire du parti d'extrême droite est rythmée par les portes qui claquent, comme en 1998-1999, lorsque Bruno Mégret a organisé une scission en emmenant avec lui la plupart des cadres sans réussir, par la suite, à rivaliser avec Jean-Marie Le Pen.

(Avec Ingrid Melander, édité par Yves Clarisse)