Merkel remporte son pari, terni par la poussée de l'extrême droite

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L'afd jubile[reuters.com]
(Crédits : Wolfgang Rattay)

par Paul Carrel et Gernot Heller

BERLIN (Reuters) - Angela Merkel a réussi dimanche son pari en s'assurant un quatrième mandat consécutif à la tête du gouvernement allemand mais va devoir s'atteler à de difficiles tractations pour former une nouvelle coalition dans un Parlement où l'extrême droite est de retour pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

D'après les premières projections diffusées par la chaîne de télévision ARD à la fermeture des bureaux de vote, le bloc conservateur CDU-CSU de la chancelière est donné vainqueur du scrutin avec un score projeté de 32,5% des voix, très en deçà de ses 41,5% obtenus aux précédentes élections, il y a quatre ans.

Angela Merkel égale certes Konrad Adenauer et son mentor en politique, Helmut Kohl, les deux seuls chanceliers à s'être procuré quatre mandats depuis l'après-guerre, mais la poussée de l'extrême droite ternit son succès.

L'arrivée au Bundestag de députés d'Alternative für Deutschland, parti anti-immigration et xénophobe, est un "grand test" pour l'Allemagne, a reconnu la chancelière qui a admis qu'elle espérait "bien sûr" un meilleur résultat.

Mais elle a ajouté que son parti avait clairement obtenu un mandat pour former le prochain gouvernement et a ajouté qu'aucune coalition n'était possible sans le bloc CDU-CSU.

"D'un point de vue comptable, il y a deux manières de former une coalition. Numériquement le SPD et la CDU/CSU ont assez d'élus. Il s'agit d'une question de responsabilité, une question pratique et non théorique", a dit la chef du gouvernement.

"J'ai entendu que le SPD n'était pas disponible pour des négociations mais nous pourrons en discuter demain. Nous allons dormir sur cela et nous en parlerons demain. Je veux un gouvernement stable pour l'Allemagne", a-t-elle ajouté, se disant confiante d'avoir un gouvernement stable avant Noël.

Les sociaux-démocrates du SPD sont donnés à 20%, un score historiquement bas, très loin de 25,7% de 2013. Manuela Schwesig, la vice-présidente du parti, en a aussitôt tiré les conséquences, proclamant la mort de la "grande coalition" mise en place avec la CDU-CSU en 2013.

"C'est un très mauvais résultat pour le SPD, une lourde défaite. Pour nous se termine aujourd'hui la grande coalition", a-t-elle déclaré, imité plus tard dans la soirée par Martin Schulz.

Les électeurs, a dit l'ancien président du Parlement européen désigné en début d'année à la tête du plus vieux parti allemand, ont envoyé un message clair pour retourner dans l'opposition.

"C'est une journée difficile et amère pour la social-démocratie allemande", a-t-il dit. "Ce qui nous déprime tous en particulier, c'est la force de l'AfD, qui ramène pour la première fois un parti de droite dure au Parlement dans une telle de position de force. C'est un tournant", a-t-il déploré.

L'AFD JUBILE

Avec un score projeté à 13,5%, un peu au-dessus des sondages qui lui étaient les plus favorables, le parti d'extrême droite AfD, qui s'est nourri de la crise des migrants fin 2015, fait pour sa part une entrée en force au Bundestag où il devient la troisième force parlementaire.

"Le futur gouvernement, quel qu'il soit, devrait se préparer à des temps difficiles. Nous allons les traquer, nous allons reprendre notre pays et notre peuple", s'est réjoui Alexander Gauland, un des deux chefs de file du parti durant la campagne.

Créée en 2013 pour lutter contre la monnaie unique européenne et les plans de renflouement dans la zone euro, Alternative für Deutschland s'est muée progressivement en un parti anti-immigration, xénophobe et dont certains des membres, à l'image de Gauland, redoutent que les Allemands "ne soient bientôt que des étrangers dans (leur) propre pays".

Aux élections de 2013, l'AfD avait obtenu 4,7% des voix, échouant à franchir le seuil de représentation parlementaire fixé à 5% des suffrages au niveau national.

Plusieurs centaines d'opposants à l'AfD se sont rassemblés en début de soirée devant le QG de campagne du parti, à Berlin.

"L'AfD au Bundestag allemand, cela fait mal à notre pays", a commenté de son côté Ingo Kramer, le président de la fédération patronale allemande BDA.

VERS UNE COALITION À TROIS ?

En optant pour une cure d'opposition, et compte tenu des scores projetés des autres partis, le SPD ne laisse a priori d'autre choix à Merkel que de tenter de former une coalition à trois avec les libéraux du FDP, projetés à 10,5%, et les écologistes des Grünen, donnés à 9,5%.

Mais la tâche s'annonce ardue.

"On ne peut pas contraindre les Verts et nous à entrer dans une coalition pour la simple raison que le SPD se retire", a prévenu le numéro deux du FDP, Wolfgang Kubicki, sur l'antenne de l'ARD.

Le parti de la gauche radicale Die Linke est donné lui à 9%. Six partis seront représentés au Bundestag, contre quatre dans le parlement sortant.

Dans les derniers jours de campagne, Merkel comme Schulz avaient multiplié les appels à la mobilisation, redoutant que la désaffection de leurs électorats ne fasse le jeu de l'AfD.

Dans une tribune publiée par le quotidien Bild, un des plus forts tirages de la presse allemande, au matin même du scrutin, le président Frank-Walter Steinmeier avait mis ses concitoyens en garde contre la tentation de l'abstention qui confierait à d'autres leur propre avenir.

"Il n'a peut-être jamais été aussi évident que ces élections concernent l'avenir de la démocratie en Europe", a-t-il écrit alors que le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) est aux portes du Bundestag et que les indécis sont estimés à près d'un tiers des inscrits.

"Si vous ne votez pas, les autres décideront."

(avec Thomas Escritt; Nicolas Delame et Henri-Pierre André pour le service français)