François Hollande a-t-il raison de proclamer la fin de la crise ?

Le président français a classé la crise de la zone euro dans les tiroirs de l'histoire ce week-end à Tokyo. Si une stabilisation semble se dessiner, la conclusion de l'hôte de l'Elysée semble un peu hâtive...
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François Hollande avait un message à faire passer aux Japonais ce week-end, celui de leur faire « bien comprendre » que la crise dans la zone euro est « terminée. » Des propos qui, tiennent beaucoup de la communication, mais qui méritent sans doute d'être vérifiés par les faits en observant la situation sur les multiples fronts de cette crise.

1. La crise économique

Le PIB de la zone euro est en contraction depuis le dernier trimestre de 2011. Le trimestre actuel semble montrer des signes de stabilisation. La production industrielle française d'avril, publiée ce lundi, a bondi de 2,2 %, contre des attentes du marché de 0,5 %. Les chiffres en provenance d'Allemagne sont également encourageants : les exportations en avril ont progressé de 3,1 % en avril après deux mois de baisse.

Même dans certains pays périphériques, la situation tend à se stabiliser : le chômage a baissé légèrement en Espagne pour le troisième mois de suite en mai et l'indice PMI composite de ce même mois de mai, qui estime le climat des affaires dans les services et l'industrie manufacturière de la zone euro,  montre une amélioration nette de la situation et des anticipations. Ces indices constituent le plus grand espoir des économistes. En Allemagne, il est revenu en zone d'expansion à 50,2, tandis qu'il atteignait un plus-haut de 23 mois en Espagne et de 5 mois en France.

La fin du discours du « tout austérité » par les autorités européennes et, plus récemment encore, par l'Allemagne elle-même, a probablement participé de ce mouvement, notamment dans les pays périphériques. Sans doute y a-t-il aussi un élément de rattrapage « technique. » Des investissements et des commandes repoussées à des temps meilleurs ont été finalement réalisés.

« La récente dynamique des études PMI est encourageante et signale que la zone euro pourrait retrouver la croissance à un rythme modeste au cours du second trimestre », expliquent les économistes de JP Morgan dans une étude publiée lundi, avant cependant de prévenir qu'il existe encore des « risques négatifs. »

Trop tôt pour crier victoire

Car il est sans doute un peu tôt pour crier victoire. D'abord, la récession n'est pas terminée en zone euro, Allemagne exceptée. L'indice PMI composite, qui regroupe le climat des affaires dans les services et l'industrie manufacturière de la zone euro, a certes progressé en mai de 0,8 point, mais à 47,7, mais il reste largement en deçà du niveau de 50 qui signale une expansion de l'économie.

Tous les économistes prédisent un septième trimestre de récession de la zone euro entre avril et juin. La reprise n'est prévue que pour le second semestre. Entretemps, il faudra que les signes positifs enregistrés ces dernières semaines se confirment. Or, dans l'indice PMI cité, le volume des nouvelles affaires continuait à reculer pour le 22ème mois consécutif. Signe de la faiblesse intrinsèque de l'économie européenne. Par ailleurs, certaines économies, comme celle de l'Italie, ne montrent aucun signe de réelle amélioration.

Quelle croissance pour la zone euro demain ?

Aussi peut-on s'interroger sur le potentiel de la croissance européenne à moyen terme. Rappelons que les anticipations des autorités européennes, comme l'a souligné Mario Draghi dans sa dernière conférence de presse, reposent principalement sur le développement des exportations. Or, ce scénario ne se réalisera pas sans la Chine. Une Chine qui montre de plus en plus de signes de ralentissement. Les chiffres publiés ce week-end sont, de ce point de vue, inquiétants. En mai, les importations chinoises ont reculé de 0,3 % et la production industrielle a ralenti sa croissance.

Certes, la Chine est toujours en croissance et les sociétés européennes peuvent y trouver des opportunités. Mais elles sont moins nombreuses. Surtout, face à des produits japonais dopés au yen faible, les exportations européennes, notamment en dehors de l'Allemagne, vont donc avoir fort à faire.

Sur son blog, l'économiste de Natixis Asset Management, Philippe Waechter, prévient : « le commerce mondial ne redémarre pas. Les échanges évoluent lentement et les flux de commandes à l'exportation sont relativement stables. » Et de conclure : « Imaginer que la reprise sera initiée d'abord par le commerce mondial est probablement inverser la causalité, car la croissance du commerce mondial sera le résultat des efforts de chacun pour retrouver la croissance. En zone Euro et en France, les politiques d'austérité ne vont pas dans ce sens. »

Manque de dynamique interne

Et c'est là que le bât blesse : sans dynamique interne, les pays de la zone euro vont manquer de souffle. Or, au mieux, la consommation se stabilisera-t-elle, selon JP Morgan. L'investissement devrait se reprendre, mais pas suffisamment, faute de dynamique dans le commerce mondial, pour tirer l'économie vers le haut. D'autant que l'on sait que l'accès au crédit demeure extrêmement difficile et que la BCE a indiqué qu'elle ne pouvait pas faire beaucoup à court terme sur ce front.

On voit mal alors comment l'emploi pourrait se redresser. Or, sans dynamique sur le marché de l'emploi, il n'y aura pas de reprise de la demande intérieure. La croissance restera au mieux molle et donc incapable de créer des emplois. Au final, le risque récessif est donc loin d'avoir disparu en zone euro. Du reste, la pression de la désinflation continue à peser sur nombre de secteurs. Si le ralentissement chinois est plus brutal que prévu et si le commerce mondial ne se redresse pas rapidement, la « stabilisation » de l'économie européenne fera long feu.

2. La crise de la dette


La crise de la dette souveraine de la zone euro a pris plusieurs visages depuis ses débuts en 2010. Un des plus inquiétants, celui de la hausse des taux semble apaisé, sous l'effet conjugué des anticipations de sortie de récession, des délais accordés par Bruxelles sur les objectifs de réduction de déficit, mais aussi et surtout du programme de rachat illimité des obligations souveraines de la BCE, le fameux OMT, dont la menace a suffi, depuis septembre dernier, a ralentir la crûe des taux.

Par ailleurs, les mesures de création monétaire prises aux Etats-Unis et surtout au Japon, ont déversé des liquidités qui ont stimulé le marché de la dette souveraine. Compte tenu de la détermination de la BCE à « sauver l'euro », les dettes des pays périphériques ont été jugés attirantes et les taux de ces dettes ont fortement reculé. En mai, le taux italien à 10 ans est repassé sous les 4 %, retrouvant brièvement un niveau proche de 2010. Le taux grec à 10 ans s'est installé sous les 9 %. Tous les taux ont remonté depuis lors, mais le risque d'une crise des taux, comme à l'été 2011 ou 2012, semble en effet, pour le moment, écarté.

Pas de retour à la normale

Pourtant, la crise n'est pas « finie. » D'abord, parce que la zone euro n'est pas dans la situation où elle était avant la crise. Trois de ces pays membres n'ont pas accès au marché pour refinancer leur dette et sont donc entièrement dépendants de l'aide du MES. La situation des finances publiques de la plupart des pays de la zone euro reste difficile. L'Union bancaire reste à faire, ses modalités sont incertaines : les Allemands veulent une réforme des traités.

De plus, il n'est pas certain que le mécanisme de supervision commun prenne en compte au final les dettes « héritées », ce qui laisse certains pays comme l'Espagne à la merci d'une crise bancaire. Du reste, la BCE se préparerait, selon le quotidien espagnol El Pais, à prolonger jusqu'à la fin de l'année - au moins - sa ligne de crédit de 100 milliards d'euros accordée voici un an pour la recapitalisation des banques espagnoles. Le retour à la normale dans les pays périphérique reste donc lointain. Le feu couve donc toujours sous l'optimisme.

La Slovénie inquiète toujours

L'autre épée de Damoclès, c'est la Slovénie. Si sa récente levée de fonds sur les marchés américains met le pays de l'ex-Yougoslavie à l'abri d'un besoin urgent de refinancement, les investisseurs demeurent inquiets. Plusieurs incertitudes demeurent, notamment celui de l'ampleur des créances douteuses dans le bilan des banques, la stabilité et la détermination du gouvernement de coalition au pouvoir à Ljubljana, la mise en place concrète de la structure de défaisance.

Du reste, l'obligation slovène de référence, qui arrive à maturité en 2014, affiche un taux autour de 6,3 % qui reste assez élevé et qui est remonté depuis mai de près de 60 points de base (0,6 point de pourcentage). Nul ne peut donc écarter l'hypothèse d'une demande d'aide slovène. Ce serait un nouveau défi pour la zone euro. Chypre a démontré que la (petite) taille du pays n'est qu'une piètre défense. Si cette aide est structurée comme celle de Chypre, avec une participation des déposants, elle pourrait bien inquiéter à nouveau les investisseurs sur leurs dépôts dans les autres pays périphériques.

La BCE au centre du jeu

Plus généralement, l'apaisement a moins été le fruit de la politique des dirigeants européens que de celle la BCE. L'OMT reste la pierre angulaire de cette « fin de crise. » Or, c'est un concept encore très flou. Mario Draghi a annoncé que les modalités légales et techniques seraient publiées sous peu. Elles devront être crédibles pour ne pas affaiblir l'impact de l'OMT.

Surtout, il sera très intéressant de surveiller la décision sur l'OMT de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Si elle pose des conditions à la participation de l'Allemagne à sa mise en place ou à la mise en place d'autres mesures non conventionnelles, l'autorité de la BCE pourrait en pâtir. Et l'efficacité de son action également. Les marchés pourraient alors reconsidérer le risque européen. C'est la mise en garde qu' a adressé ce lundi le membre allemand du directoire de la BCE, Jörg Asmussen, dans Bild Zeitung exhortant Karlsruhe à ne pas "mettre la zone euro en danger" par sa décision.

Ce qui est étrange dans cette situation, c'est que la BCE refuse ce rôle de « dernier filet » pour sauver l'euro qu'elle exerce de facto. Sous la pression des pays du « nord », l'institution de Francfort pourrait profiter du léger mieux conjoncturel pour tenter de quitter ce rôle. Plus généralement, le calme sur les marchés dépend largement des politiques des banques centrales. L'avenir va beaucoup dépendre de la gestion de la sortie de crise de ces pays. L'ennui, c'est que tout mouvement dans le sens d'un léger resserrement de la politique monétaire peut provoquer une correction. C'est pourquoi la volatilité est forte sur les marchés. Proclamer la fin de la crise reste bien hardi. Là aussi, il y a surtout une stabilisation.

3. La crise politique

La crise économique et financière en Europe a conduit à une crise politique dans la zone euro et l'Union européenne avec la montée des mouvements populistes et des gouvernements fragiles. Depuis la mise en place du gouvernement Letta en Italie et le recul dans les sondages du parti anti-euro allemand AfD, ce risque semble également en recul. Mais là encore, la situation n'est pas sans risque. La coalition italienne est fragile et les mouvements politiques populistes, opposés aux politiques « d'ajustement structurel » restent forts en Italie et en Grèce. A l'inverse, les mouvements de droite anti-euro demeurent très forts dans les sondages en Finlande, en France, aux Pays-Bas et en Autriche. En Espagne aura lieu l'an prochain le référendum sur l'indépendance de la Catalogne qui est, rappelons-le, une conséquence de la crise de la dette. Au gré des élections et des vies politiques, la tension peut donc réapparaître. D'autant que les conséquences sociales de la crise vont encore se faire sentir longtemps....

En conclusion, les propos de François Hollande semblent bien optimistes. Même si un apaisement est indéniable, cette pause ne signifie pas que l'on soit entré dans une phase de sortie de crise.

 

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Commentaire 1
à écrit le 11/06/2013 à 11:40
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Encore un adepte de la méthode Coué, s'il suffisait d'y croire pour que cela se réalise, cela se saurait.

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