Alain Juppé cuisiné par quatre startuppeurs

Alain Juppé, candidat LR à la primaire, s'est prêté pour La Tribune à une séance de questions-réponses avec quatre startuppers, notamment sur le numérique.
Alain Juppé a été confronté à quatre dirigeants de startups.

FACE-A-FACE avec Marion Carette, 41 ans fondatrice et PDG de OuiCar

marion carrette

« Il faut alléger et simplifier l'État »

MARION CARRETTE - Je suis une entrepreneure Web. Dans mon domaine, quelques années après la création d'un site Internet, il arrive un moment où le site devient inutilisable. Il faut alors faire une version 2, pour repartir à zéro et le rendre à nouveau fonctionnel. La France arrive-t-elle au moment où il faut faire une « V2 » de l'État ? Et si oui, comment ?

ALAIN JUPPÉ - Je suis d'accord, il faut alléger et simplifier l'État. Comment ? En maîtrisant la dépense publique. Diminuer le nombre de fonctionnaires est indispensable, car leur masse salariale est le premier poste de dépenses de l'État. Je fixe un objectif ambitieux de réduction de 200.000 à 250.000 emplois de fonctionnaires en cinq ans. C'est moins de 5% du total des fonctionnaires. Cela nous ramènerait au niveau du début des années 2000 et la France n'était pas sous-administrée à l'époque. Je prévois d'y arriver en allongeant la durée du travail, en reculant l'âge de départ à la retraite et en ne remplaçant pas les départs en retraite. Couper dans la masse salariale permettra en outre de mieux payer les fonctionnaires, car ils travailleront plus. Bien sûr, on ne peut pas supprimer des emplois de policiers, de gendarmes, ni d'enseignants, même s'il y a des réorganisations à faire.

Du côté des services de l'État, certains organismes doivent être fusionnés ou supprimés, je travaille actuellement à en dresser la liste. La numérisation de l'administration publique, notamment fiscale, permettra de faire des économies.

Enfin, il faudra motiver davantage les fonctionnaires, notamment en instituant deux jours de carence en cas d'arrêt maladie. François Hollande a supprimé le jour de carence que nous avions institué. C'est un contre-signal désastreux.

J'ajouterai que la version 2 de l'État, c'est aussi changer la manière de gouverner. La valse des ministres doit cesser. Les ministres doivent aussi se comporter en véritables patrons avec leur administration, et rendre compte de leur action.

Comment comptez-vous y arriver sans créer de blocages ?

Il va falloir faire preuve de pédagogie. Mais je dirai la vérité aux Français. Pendant la campagne présidentielle, je ne dissimulerai pas mes intentions, cela passera ou cela ne passera pas. Je dis avant ce que je ferai après et si les Français m'élisent, ils me donneront mandat pour exécuter ces réformes en toute connaissance de cause. Je les ferai dans les six mois, en légiférant par ordonnances sur une dizaine de points majeurs, comme l'emploi et la retraite, dont l'âge sera relevé de quatre ans à partir de 2018. La génération de 1964 sera ainsi la première à partir à 65 ans. Le but sera de créer un déclic de confiance auprès des entrepreneurs et des investisseurs.

Depuis quatre ans, le taux de fiscalité sur les plus-values n'a cessé de changer. Comment garantir aux chefs d'entreprise la stabilité fiscale dont ils ont besoin pour se développer et continuer à prendre des risques ?

La stabilité est essentielle. C'est pourquoi, dès la première année du mandat, je proposerai une loi de programmation fiscale qui fixera le cadre fiscal pour les cinq ans suivants. Plus de mauvaises surprises. De plus, les mesures fiscales seront réservées uniquement aux lois de finances pour éviter la « créativité fiscale » permanente. Je supprimerai aussi ce que l'on appelle la « petite » rétroactivité, qui permet au gouvernement de changer en cours d'année les règles du jeu de l'année n-1.

La stabilité fiscale se joue aussi à l'échelle européenne. L'harmonisation fiscale doit être le prochain chantier de la zone euro, ainsi que la mise en cohérence de nos régimes sociaux. Je voudrais également remettre en cause la directive européenne sur les travailleurs détachés. Il n'est pas normal qu'un employeur français puisse recruter, en France, un Polonais ou un Roumain en payant les charges sociales polonaises ou roumaines.

BILAN : CE QU'ELLE EN A PENSÉ

À 41 ans, cette entrepreneure passionnée par l'économie collaborative a déjà fondé trois entreprises. Sa pépite, OuiCar, service de location de voitures entre particuliers, connaît une croissance continue depuis sa création, en 2009. Après deux levées de fonds de 4,5 millions d'euros en 2012 et en 2014 via Jaina Capital, le fonds d'investissement de Marc Simoncini, et Ecomobility Ventures, SNCF est également entrée dans son capital en 2015 grâce à un investissement de 28 millions d'euros.

« L'exercice de confronter un responsable politique à des questions concrètes est intéressant. Sur le fond, je pense qu'Alain Juppé a compris l'impératif de stabilité qu'attendent les entreprises et j'espère qu'il tiendra sa promesse de planification fiscale sur cinq ans s'il est élu. J'attendais peut-être un peu plus d'audace sur la réforme de l'État. Sa proposition de revenir aux 39 heures est un choix fort mais est-ce vraiment possible ? Enfin, j'ai apprécié son honnêteté par rapport aux choses qu'il aurait faites différemment dans sa carrière politique, mais j'aurais aimé être un peu plus "embarquée". »

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Thomas Boisserie

FACE-A-FACE avec Thomas Boisserie, 33 ans, PDG de Loisirs Enchères

« Les nouvelles technologies peuvent redonner un élan à la démocratie »

THOMAS BOISSERIE - Beaucoup d'entreprises grandissent dans un environnement en constante évolution, où l'instabilité fait partie de l'équation. Dans ce contexte, le système de bail 3-6-9 semble totalement inadapté aux startups. Que proposez-vous pour réviser ce type de contrat afin de résoudre le problème crucial du logement des startups ?

ALAIN JUPPÉ - Je n'ai pas encore fait de propositions concrètes sur ce sujet, mais je suis parfaitement conscient du problème. Les startups n'entrent pas dans le schéma classique des baux 3-6-9. Pour faciliter l'hébergement des startups, il y a déjà la solution des hôtels d'entreprises, qui fonctionne bien. Malheureusement je n'en ai qu'un à Bordeaux, il est plein, c'est une lacune. Il faut les développer.

Les nouvelles technologies peuvent être un outil formidable pour une politique plus participative et plus proche des citoyens. Comment développer ces outils ?

Je suis persuadé que les nouvelles technologies peuvent donner un nouvel élan à la démocratie. À Bordeaux, nous avons réussi à mettre en place de nombreuses techniques de consultation citoyenne et de coproduction des projets, qui fonctionnent très bien. On ne peut plus diriger en 2016 comme on le faisait en 1990.

La question est maintenant de transposer ces succès au niveau national. Il faut que cela vienne du terrain, on voit d'ailleurs beaucoup d'outils citoyens émerger en ce moment. Mais il faut aussi que l'État s'implique. J'implanterai dans chaque ministère des task forces digitales, comme l'a fait Barack Obama aux États-Unis. Leur mission sera de faire remonter les propositions de ceux qui vivent les complexités du quotidien. L'enjeu est aussi de recréer de la confiance entre les politiques et les citoyens.

Qu'auriez-vous fait différemment dans votre parcours politique national ?

Si j'avais tout bien fait, je serais déjà président de la République dans mon deuxième mandat [rires]. Deux exemples me viennent. Si je pouvais revenir sur mon discours à l'Assemblée nationale de novembre 1995, je ne parlerais pas des régimes spéciaux de retraite. La veille, Marc Blondel, le secrétaire général de Force ouvrière (FO), m'avait assuré son soutien sur la réforme de l'Assurance maladie, en me conseillant de ne pas parler des régimes spéciaux. Je ne l'ai pas écouté, et mon discours a mis le feu aux poudres.

Mon deuxième regret est d'avoir été négligeant dans la gestion du RPR. J'aurais dû faire plus attention au statut d'un certain nombre d'employés.

À l'époque, les lois sur la gestion des partis politiques étaient imprécises, elles ont été complétées depuis. Si j'avais été plus attentif, je n'aurais pas subi de sanction judiciaire [Alain Juppé a été condamné en 2004 pour prise illégale d'intérêts dans l'affaire des emplois fictifs au sein du RPR financés par la Mairie de Paris, NDLR]. Je rappelle toutefois que la sanction m'exonérait de tout enrichissement personnel.

BILAN : CE QU'IL EN A PENSÉ

Et si la loi du marché décidait du prix de vos loisirs et de vos vacances ? C'est le principe de Loisirs Enchères, startup bordelaise fondée en 2014. Chaque prestation (restaurant, massage, voyage, concert, théâtre...) est soumise aux enchères, qui débutent à 1 euro. À la fin, l'offre la plus haute remporte l'enchère. Les internautes réalisent une économie comprise entre 20% et 50%. Le site garantit au prestataire un prix minimum, qu'il complète si l'enchère est trop basse. Son fondateur, Thomas Boisserie, 33 ans, rêve de placer Loisirs Enchères dans le Top 10 des agences de voyages.

« Je suis agréablement surpris par sa personnalité, je l'ai trouvé accueillant et à l'écoute. Il dégage aussi une impression d'honnêteté et d'humilité sur son bilan, il a bien joué le jeu de l'auto-analyse.
À titre personnel, je ne suis pas d'accord avec toutes ses propositions et je pense que son programme reste à peaufiner sur les enjeux de la nouvelle économie. Concernant le logement, qui est une problématique majeure pour les startups, ma question est restée un peu en suspens, mais je serais ravi d'être consulté dans le cadre d'un groupe de travail pour lui proposer quelques pistes. »

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Stanislas niox

FACE-A-FACE avec Stanilas Niox-Château, 29 ans, cofondateur de Doctolib

« Le tiers payant généralisé sera supprimé »

STANISLAS NIOX-CHÂTEAU - Voulez-vous poursuivre le tiers payant pour les professionnels de santé et notamment les médecins libéraux ?

ALAIN JUPPÉ - Je le dis très clairement : le tiers payant généralisé est une mauvaise idée et une mesure démagogique. C'est une fausse solution, car ceux qui ne peuvent payer sont déjà pris en charge, notamment par la couverture maladie universelle (CMU). Certes, le tiers payant est populaire, car les gens sont ravis de ne pas avoir à sortir quelques euros, mais il présente l'inconvénient d'ajouter des formalités administratives aux médecins. Et ce qui est gratuit ne permet pas de responsabiliser les gens sur la maîtrise nécessaire des dépenses sociales. J'ajoute que le système de l'interlocuteur unique ne fonctionne pas, et qu'il faudra le supprimer.

Une réforme de notre système de santé est attendue par les Français et les professionnels de santé. Comment comptez-vous la mener ?

Le système de santé français repose sur deux piliers : le public et le privé. Il faut maintenir cette dualité qui fait notre force. Pour à la fois améliorer les soins et réduire les coûts de notre système de santé, je pense qu'une des solutions est de recourir beaucoup plus souvent, dès que possible, aux soins ambulatoires, c'est-à-dire à la possibilité d'être opéré le matin et de rentrer chez soi le soir. Ce système est avantageux pour les patients, qui sont soignés chez eux, et pour les établissements de santé, qui voient se libérer des lits. Grâce au développement de l'e-santé et des objets connectés, il sera en outre de plus en plus facile de suivre à distance le patient pour lui apporter les meilleurs soins.

Une deuxième idée est de responsabiliser les citoyens. Certains systèmes poussent à la dépense de manière incontrôlable. Je réformerai l'aide médicale d'État (AME), qui coûte 800 millions d'euros par an. Je veux diviser par trois le nombre de bénéficiaires. Certains résidents étrangers, qui vivent dans des pays voisins, viennent se faire opérer en France pour bénéficier de l'AME alors que l'acte est possible dans leur pays. Ce n'est pas acceptable.

J'aurai également d'autres propositions à faire dans le domaine de la santé, que je dévoilerai avant l'automne.

Quelles sont les trois applications smartphone que vous utilisez tous les jours ?

Twitter, tous les jours. Facebook beaucoup moins. Et puis... [pause] les applications des médias comme Le Figaro. Et La Tribune, bien sûr...

Qui sont les étoiles montantes de votre équipe, les jeunes de moins de 35 ans qu'il nous faut suivre dans les années à venir ?

Moins de 35 ans, c'est difficile, on est encore jeune dans la quarantaine (rires). Virginie Calmels [45 ans, NDLR], ma première adjointe à la mairie de Bordeaux et conseillère régionale, est une femme d'entreprise connectée au réel et une élue remarquable. Maël de Calan [36 ans, NDLR] est une autre étoile montante de mon équipe. Ce Breton, conseiller départemental du Finistère, est un esprit brillant qui vient de publier un livre très bien argumenté, La vérité sur le programme du Front National (Plon).

BILAN : CE QU'IL EN A PENSÉ

29 ans et déjà multi-entrepreneur. Après avoir lancé le fonds de capital-risque Otium Capital, qui finance des startups dans l'Internet et le logiciel, Stanislas Niox-Château a voulu contribuer à la numérisation du secteur de la santé. Lancé fin 2013, Doctolib s'est rapidement imposé comme le leader en France et en Europe de la prise de rendez-vous médicaux en ligne. La startup, fer de lance de l'e-santé en France, emploie 200 personnes et a levé 23 millions d'euros depuis sa création. Déjà présente en Allemagne, elle compte s'étendre à toute l'Europe dans les années à venir.

« Je l'ai trouvé précis et engagé. Sur les questions de santé, qui me concernent particulièrement, il a le mérite de se montrer clair sur le tiers payant. Ses autres propositions pour réformer le système de santé sont plus générales pour l'instant, j'attends avec impatience qu'il se dévoile un peu plus. Sur l'économie, il est cohérent avec sa ligne politique libérale, mais ses propositions sont sans surprise. Son expérience à Bordeaux est un vrai plus pour lui. »

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Eric Léandri, cofondateur de Qwant, le moteur de recherche français « anti-Google », coprésident de la French Tech Côte d'Azur.

FACE-A-FACE avec Eric Léandri, 43 ans , PDG de Qwant

« Je n'ai pas dit que j'allais tout casser... »

ÉRIC LÉANDRI - La French Tech est un grand succès, elle est devenue le point d'ancrage de l'entrepreneuriat, car elle a permis le rassemblement de toutes les forces numériques du pays, avec une véritable résonance à l'international. Si vous étiez élu, poursuivrez-vous cette initiative, même si elle a été lancée par un gouvernement de gauche ?

ALAIN JUPPÉ - Oui, sans hésitation.Je n'ai pas dit que j'allais tout casser. Certaines choses ont été bien faites - pas beaucoup, quelques-unes - [rires] et la French Tech en fait partie. J'y suis d'autant plus favorable qu'elle ne coûte rien à l'État, car il s'agit surtout d'une mise en réseau. Je constate qu'à Bordeaux, l'écosystème d'innovation s'y est engagé à fond. C'est très positif.

En France, les startups n'ont pas de mal à lever des fonds pour se lancer, mais beaucoup plus pour grandir et devenir des champions nationaux, européens et mondiaux. Avec l'émergence de nouvelles technologies comme la Blockchain ou l'intelligence artificielle - des secteurs naissants où des entreprises peuvent devenir rapidement leader - comment faire en sorte de muscler l'écosystème de financement ?

C'est toute la philosophie de mes réformes en matière de fiscalité, d'épargne et d'investissement. Il est vrai qu'il existe de nombreux mécanismes de financement pour aider les jeunes entreprises à se lancer, mais il leur est plus difficile de grandir, de lever 5, 10 ou 20 millions d'euros.

Mes mesures fiscales énoncées précédemment visent justement à inciter les investisseurs à investir en France et à réorienter l'épargne dans le financement des entreprises. La suppression de l'ISF y contribuera, tout comme la réforme de la fiscalité du capital pour revenir à une taxation forfaitaire des plus-values, et à une imposition forfaitaire des revenus du capital équivalente à ce qu'elle était avant 2012, et comme le dispositif d'encouragement aux business angels. Cela amorcera la pompe. Je prévois par ailleurs un nouveau Programme d'investissements d'avenir (PIA) destiné aux entreprises du numérique. J'ai été à l'origine de ce que l'on a appelé le Grand emprunt, avec Michel Rocard. Cela a été un grand succès, puisqu'on en est au troisième PIA. Mais il en faut un nouveau, spécialisé dans le financement des jeunes entreprises du numérique. Il faudra aussi mobiliser les financements européens du plan Juncker qui commence à se déployer. L'Europe doit financer l'innovation.

BILAN : CE QU'IL EN A PENSÉ

Un pied à Paris, un pied à Marseille. À 43 ans, le Corse Éric Léandri, expert en sécurité informatique, a trouvé le succès avec Qwant, qui se positionne comme l'alternative à Google dans la recherche en ligne.

Lancé en 2013 juste avant les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden sur la surveillance de masse pratiquée par le gouvernement américain via des entreprises Internet comme Google, Qwant joue la carte du moteur de recherche éthique.

Respectueux de la vie privée, il ne « trace » pas l'utilisateur sur Internet et ne revend pas ses données personnelles. L'entreprise a lancé en décembre dernier Qwant Junior. Développé avec l'Éducation nationale, il vise à épurer les recherches de contenus violents, sexuels et de liens commerciaux. Prochaine étape : lancer Qwant partout en Europe.

« Je pense qu'Alain Juppé a bien identifié certaines problématiques des entrepreneurs, comme le besoin de stabilité fiscale. En revanche, la nouvelle économie ne semble pas sa tasse de thé. Il peut encore monter en compétence, comme sur la Blockchain par exemple, une révolution majeure qu'il a admis ne pas connaître. Je suis content qu'il souhaite conserver la French Tech, mais étonné que le fait qu'elle coûte très peu à l'État soit un critère si important pour lui, car ce n'est pas le sujet. Sur l'étape de l'accélération, cruciale pour les startups, j'attendais des mesures plus incitatives, plus claires pour pousser ceux qui ont du capital à le réinvestir dans la nouvelle économie. Je crains que la suppression de l'ISF ou la baisse de l'impôt sur les sociétés et sur les dividendes n'incitent pas assez à investir dans des placements risqués plutôt que dans des valeurs sûres, comme l'immobilier. »

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