Code du travail : "L'existence d'un socle commun de protections est en question"

ENTRETIEN - Alors que démarre véritablement la concertation entre l'exécutif et les partenaires sociaux ce vendredi, Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail à l'université Paris-Ouest Nanterre, estime que les réformes voulues par l'exécutif pourraient remettre en question les protections minimales des salariés.
Jean-Christophe Catalon
"De réforme en réforme, aujourd'hui, c'est l'existence d'un socle commun de protections qui est en question, car il fond comme peau de chagrin, du fait des gouvernements successifs", explique Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail à Nanterre.

Le gouvernement d'Edouard Philippe ouvre ce vendredi la concertation avec les partenaires sociaux, comme convenu dans son programme, pour fixer dans le détail la réforme du code du travail qu'il compte finaliser avant l'automne. L'objectif affiché est de donner plus de fluidité au marché du travail afin de réduire le chômage.

Officiellement, plusieurs mesures sont sur la table, déjà énoncées par le président Emmanuel Macron, alors candidat. Il s'agit notamment de l'inversion de la hiérarchie des normes, en faveur des accords d'entreprise, et l'instauration d'un barème obligatoire sur les indemnités prud'homales. Des révélations successives dans la presse cette semaine laissent penser que l'exécutif pourrait avoir quelques idées en tête pour aller plus loin dans son projet.

Ces intentions ne rassurent pas Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail à l'université Paris-Ouest Nanterre. Il analyse pour La Tribune les possibles conséquences de la réforme en cours et rappelle les mesures alternatives de la "Proposition de code du travail", publiée par le GR-Pact (Groupe de recherche pour un autre code du travail), qu'il coordonne. L'ouvrage a d'ailleurs été remis "en mains propres" au président de la République, au Premier ministre et à la ministre du Travail, sans réponse à ce jour.

Pour en savoir plus : Des universitaires ont réécrit un code du travail allégé mais plus protecteur

LA TRIBUNE - Le cœur du projet de l'exécutif est de renforcer les accords d'entreprise, qu'en pensez-vous ?

EMMANUEL DOCKÈS - Cette proposition est la moins originale qu'on puisse faire, car c'est ce qui est pratiqué continuellement depuis trente ans. Plus d'une vingtaine de textes avancent dans ce sens. Pour ce qui est du dernier quinquennat, on peut citer : la loi Travail, la loi Rebsamen, la loi de sécurisation de l'emploi et la loi Macron. L'argument avancé en faveur de cette réforme est qu'il faut prendre en compte la particularité des situations concrètes dans les entreprises. Tout le monde est d'accord sur ce point, la négociation collective a toujours servi à cela.

En revanche, la question s'est inversée : est-ce qu'il faut aussi conserver un socle de règles communes ? De réforme en réforme, aujourd'hui, c'est l'existence d'un socle commun de protections qui est en question car il fond comme peau de chagrin, du fait des gouvernements successifs.

Alors, que faut-il garder ? Le socle actuel est très friable. Avec les conventions collectives, les possibles vont déjà, d'après moi, au-delà de ce qui paraît décent. Par exemple, on peut faire en sorte que les heures supplémentaires soient payées tous les trois ans... Mais faut-il en rajouter ? Je pense qu'il serait mieux de mener une réflexion sur la teneur des règles plutôt que de réfléchir à leur destruction.

Le GR-Pact propose de supprimer les dispositions qui font de la loi et des accords de branches des règles subalternes, soit l'inverse de ce qu'envisage le gouvernement. Pourquoi ?

Donner trop d'influence aux conventions collectives d'entreprises par rapport à la branche pose un problème de concurrence déloyale. Dans un secteur donné, si une entreprise réussi à détruire des avantages sociaux, les autres devront suivre, au risque de perdre de leur compétitivité. Par exemple, dans la métallurgie, il existe des primes de salissure. Si une entreprise obtient la destruction de cet avantage, les autres voudront faire de même, il y aura un effet d'entraînement. C'est du dumping social et la convention collective de branche a vu le jour pour contrer ce phénomène.

Il y a une idéologie forte qui consiste à penser que tout doit aller à l'entreprise. La philosophie du GR-Pact est que le code du travail est bâti sur plusieurs sources : la loi, la branche et l'entreprise. Chacun de ces niveaux a une utilité sociale profonde, qu'il faut conserver. Le droit du travail est un socle qui a pour but de protéger les faibles. Si vous ne faites des règles que pour ceux qui sont en position de force dans la négociation, vous aboutissez à une situation désastreuse. La loi doit être calibrée pour un socle de protection - ça ne veut pas dire qu'elle doit tout définir, mais protéger un minimum.

Au lieu d'imposer un barème sur les indemnités prud'homales, vous proposez une "procédure de résolution judiciaire" : en quoi consiste-t-elle ?

Sur la question des prud'hommes, il y a deux situations. Dans le cas d'un employeur qui a une bonne raison de licencier, il doit être sécurisé, c'est un besoin légitime. C'est pourquoi, au GR-Pact, nous proposons de mettre en place un système de sécurité juridique, via une procédure plus efficace et plus courte comme la résolution judiciaire. En clair, avant de prononcer un licenciement, un employeur peut saisir le juge pour savoir si le motif -la cause réelle et sérieuse qu'il projette pour justifier la rupture du contrat- est valide ou non. De son côté, le juge doit donner une réponse rapide. Aujourd'hui, il y a un réel problème d'accès au droit, c'est pour ça qu'on a proposé un code du travail divisé par quatre. Avec ce système, on ouvre une sécurité pour les employeurs. Le gouvernement ne veut pas simplifier mais rajouter encore des dispositifs.

En revanche, dans le cas d'un employeur qui licencie un salarié pour un motif injustifié [au sens de la convention 158 de l'OIT, dont le Medef demande la sortie, Ndlr], nous prévoyons des sanctions dissuasives, parce qu'il y a violation de la loi et que cela ne doit pas être encouragé.

Or, l'argument du gouvernement est que ça coûte trop cher de prendre un salarié. C'est une revendication très ancienne du patronat. Mais, si on fixe un barème sur les dommages et intérêts suite à un licenciement abusif, cela encourage des comportements prédateurs. Autrement dit, ceux qui ont les moyens pourront se permettre de racheter des concurrents et piquer leurs brevets ou les couler, puisqu'ils sauront combien ça coûte. C'est encourager les employeurs voyous qui pourront licencier sur un coup de tête, sans respecter aucune procédure, car ils sauront combien ça coûte.

Le gouvernement prévoit également la fusion des instances représentatives du personnel. Qu'est-ce que cela implique ?

Il est vrai qu'il existe beaucoup d'instances, c'est une spécificité française et, au GR-Pact, nous ne sommes pas contre simplifier cela. Nous proposons d'ailleurs une fusion de la délégation du personnel et du comité d'entreprise, tout en conservant le nombre d'élus et les fonctions des délégués du personnel, qui ont à charge les problématiques individuelles des salariés. Autrement dit, la simplification ne peut se faire qu'à condition de préserver les compétences collectives et individuelles des élus et de conserver le nombre d'élus.

Ce n'est pas du tout ce que semble vouloir faire le gouvernement. Dans la réforme, il est question de fusionner le comité d'hygiène, de santé et des conditions de travail (CHSCT), ce qui est une grave erreur. Les fonctions de sécurité sont spécifiques. Si on supprime les élus spécialistes, on peut mettre les salariés en danger.

Ces élus, ce ne sont pas n'importe qui, ils ont une expertise. Passer par des élections générales implique que l'on ne parle que de questions générales, et cela pourrait nuire, voire faire disparaître cette spécialité, cette expertise. L'avant-projet de loi révélé par Le Parisien montre que, même si ce n'est pas sur la table, ils y ont pensé. Si on regarde le programme de travail du gouvernement, il est écrit qu'il faut "prévoir des adaptations sur les questions de sécurité et de santé", ce qui laisse penser que la santé et la sécurité pourraient devenir négociables. On n'aurait même plus de garantie sur la sécurité et la protection des personnes. Aucun pays ne fait ça.

Sur les révélations parues dans la presse, justement, il est question d'une négociation au niveau de l'entreprise des termes du contrat de travail. Est-ce légal?

Si c'est vraiment ce qui est prévu, c'est la porte ouverte à des violations du droit européen. On critique souvent l'Europe comme la cause de la destruction du droit du travail, c'est faux. Sur cette question du contrat de travail, une directive européenne de 1999 réglemente la succession abusive de CDD (contrats à durée déterminée).

Si cela venait en application, cela revient à libéraliser le droit du travail précaire en France. On observe déjà une précarisation importante des salariés. Appliquer ce genre de réforme revient à précariser davantage les précaires et à fragiliser les CDI (contrats à durée indéterminée), d'abord avec la barémisation des indemnités aux prud'hommes, mais si, en plus, des causes préétablies de licenciement sont fixées à chaque entreprise, cela signifie qu'un employeur pourra licencier comme il veut. Tout deviendrait négociable, y compris le motif de licenciement.

Jean-Christophe Catalon
Commentaires 14
à écrit le 10/06/2017 à 11:56
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exat,?si le patronnat sait conbien vas leurs coutez LES LICENCIMENT DANS UNE ENTRPRISE les entreprises vont devenir un ennorme marche, et une ennorme braderies,LE GROS PROBLEME C EST QU ILS S AGIT DE MILLIONS D EMPLOIES? C EST OUVRIR LA BOITE A PANDO...

à écrit le 10/06/2017 à 11:35
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Quand il s'agit d'une question de Droit, mais aussi de transparence et de justice, surtout après les derniers événements. Puisque le ministère du travail porte plainte contre X et s'en prend indirectement à un journal, après la publication de "piste...

à écrit le 10/06/2017 à 11:30
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Le code du travail comme tous le textes législatifs, est complexe plus dans la forme que dans le fond. Peut-être que la première chose à faire serait de le rendre plus lisible. Je pense que l'informatique pourrait le rendre plus didactique, avec des ...

à écrit le 09/06/2017 à 14:04
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Le problème est le suivant: doit-on conserver une bible pour laquelle patrons et salariés doivent engager des interprètes, qui a pour résultat un chômage record, des salariés surexploités, un PIB qui ne permet ni de résorber la dette de l'état, celle...

à écrit le 09/06/2017 à 13:07
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Quelles sanctions pour les patrons voyous et récidiviste!!!

le 09/06/2017 à 14:52
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La démission de leurs salariés. La concurrence, c'est pour tout le monde ! Les mauvais patrons ne garderont que les mauvais et se planteront...

le 09/06/2017 à 17:00
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C'est en parti vrai, sauf pour les entreprises ou l'état est actionnaire, qui peuvent être renflouée avec l'argent de nos impôts. Les mauvais peuvent rester, et les victimes du turn-over son ceux qui se sont épuisés à faire tourner la boutique...

à écrit le 09/06/2017 à 11:50
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On est "en marche" vers une réforme à la mode "Schröder Harz" qui produira les mêmes effets qu'en Allemagne c.a.d diminution des stats du chômage (c'est juste bon pour la com et les comparaisons internationales! mais cela plaira à la commission euro...

à écrit le 09/06/2017 à 11:38
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On est aujourd'hui en pleine hypocrisie concernant les contrats de travail .Allez donc faire un tour dans un palace 5 étoiles dont la nuitée se situe aux alentours de 600 à 1000 euros. Le personnel embauché sur la base de contrat d'apprentissage touc...

le 09/06/2017 à 13:32
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En faisant d'un cas une généralité il est facilement démontrable que rien n'est à changer en France concernant la protection des salaries et la flexibilité du contrat du travail! Suffit de sortir de chez soit! Et de comparer le prix d'un produit alle...

le 09/06/2017 à 14:49
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"sur la table des négociations à venir" Il s'agit de consultations et non de négociations et pour finir des ordonnances.

à écrit le 09/06/2017 à 11:02
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Tout à fait d'accord avec cette analyse et, malheureusement, la remise en question des protections minimales des salariés est bien qui est recherché dans ces nouvelles lois.

le 09/06/2017 à 20:28
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Ras le bol des feignasses ...

à écrit le 09/06/2017 à 9:58
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C'est bien une question de Droit. Cela commence mal pour les réformes et cela devient même inquiétant. Aussi bien sur le fond que sur la forme, c'est déjà une déception, car à quoi bon élire un candidat représentatif d'un équilibre et d'une plura...

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