Comment briser le "plafond de verre" ?

Promouvoir les « rôles modèles » à tous les échelons de l'entreprise, soutenir l'entrepreneuriat féminin... Chiara Corazza*, présidente du Women's Forum, et Cédric Mignon*, directeur du développement Caisses d'épargne, confrontent leurs stratégies pour l'égalité entre femmes et hommes. Malgré des contextes d'action différents, ils partagent une conviction : la diversité est un enjeu de développement économique autant que d'éthique.
Giulietta Gamberini

LA TRIBUNE - Au niveau mondial comme en France, le plafond de verre reste l'un des principaux obstacles à l'égalité entre femmes et hommes. Que peuvent faire les entreprises pour aider à le briser ?

CÉDRIC MIGNON* - Le premier enjeu est celui de la gouvernance. Mais dans les 16 Caisses d'épargne, où déjà, en 1923, les femmes constituaient un tiers des administrateurs, elle n'a pas été le principal défi. Les femmes représentent 40% des membres des Sociétés locales d'épargne depuis 2015 et 39% des conseils d'orientation et de surveillance depuis 2016. Pour les trouver, chaque Caisse d'épargne s'est rapprochée des femmes qui sont engagées dans leurs régions et ont envie de s'investir. Le deuxième objectif, la mixité du leadership, a en revanche demandé davantage d'efforts : en 2011, malgré des effectifs à 56% féminins, seuls 34% de nos cadres étaient des femmes, et il n'y en avait aucune à la tête d'un directoire. En 2017, nous avons pourtant réussi à avoir 41 % de femmes parmi les cadres, et trois femmes présidentes de directoires - qui sont déjà devenues des icônes pour les plus jeunes !

Il s'agissait pourtant là aussi simplement de raviver l'ADN de l'entreprise, qui dès 1912 a explicitement choisi de consentir aux femmes de travailler en caisse. Quant au sujet de l'écart des salaires, nous avons fixé des recommandations lors des revalorisations, qui sont d'ailleurs souvent spontanément suivies par nos managers, une fois qu'ils ont été sensibilisés à cet enjeu.

Nos 15 réseaux féminins portent par ailleurs en permanence la voix de leurs 1.500 femmes membres, y compris auprès de la direction. Et les politiques de mixité de 13 des 16 Caisses d'épargne ont été labellisées par l'Afnor : une démarche qui, en plus d'avoir mis toute l'entreprise sous attention, a l'avantage de nous engager dans la durée. Même si nous avons atteint de bons résultats, l'objectif est en effet de continuer à progresser ! Mais dans ce chemin, nous avons besoin d'être accompagnés, d'autant plus que nous avançons souvent sur une crête : promouvoir les femmes tout en évitant le marketing de genre.

CHIARA CORAZZA* - Le rôle du Women's Forum for the Economy & Society est justement d'accompagner les entreprises partenaires pour atteindre ces objectifs et les sensibiliser aux enjeux de la diversité. Comme le démontre l'étude Women Matter réalisée par McKinsey, que le Women's Forum relaye et valorise dans le monde entier, l'impact économique de la diversité est impressionnant : elle pourrait générer au niveau mondial 12.000 milliards de dollars d'ici à 2025, dont 2,1% pour l'Europe occidentale. 50 % des grands groupes mondiaux ont d'ailleurs adopté des mesures en faveur de la diversité. Cependant, elles n'ont donné des résultats que pour la moitié d'entre elles, et encore 62% des employés se demandent ce qu'il convient de faire pour avoir une bonne approche vis-à-vis de la diversité. Au niveau mondial, le pourcentage des femmes parmi les cadres ne dépasse pas 20 %, alors que 54% des femmes des pays de l'OCDE ont fait des études supérieures.

Face à ces constats, au Women's Forum nous avons donc décidé de créer « Club » pour favoriser l'échange de bonnes pratiques et soutenir les entreprises partenaires dans leur politique de diversité et de promotion des talents. Accueillir, retenir et intégrer les talents est l'un des enjeux essentiels au niveau mondial ! Dans ce même esprit, le Women's Forum compte également développer une base de données internationale regroupant des femmes d'exception dans tous les secteurs de compétences qui pourra permettre aux décideurs internationaux de dénicher de nouveaux talents notamment pour les comex [comités exécutifs, Ndlr] et les conseils d'administration.

Nous attribuons aussi beaucoup d'importance aux « rôles modèles » : pour être véritablement efficaces, les politiques de mixité doivent être promues d'en haut, notamment par le chef d'entreprise, qui doit en connaître lui-même les enjeux. Traditionnellement, les entreprises ont été construites par les hommes pour les hommes. Il est désormais indispensable que des femmes inspirantes situées aux échelons intermédiaires puissent donner envie et permettre aux plus jeunes d'évoluer. Plus une femme réussit, plus elle doit se battre pour accompagner et promouvoir d'autres femmes ! Elle a la responsabilité de give back aux plus jeunes. Enfin, les nouvelles technologies vont être un formidable accélérateur de diversité au sein des entreprises, puisqu'elles vont faciliter l'équilibre de vie des jeunes femmes qui souhaitent monter dans la hiérarchie.

La mixité, cela est prouvé par plusieurs études, est un formidable levier de croissance, au niveau micro comme macro-économique. Les entreprises et les investisseurs en sont-ils conscients ?

C.M. - Aujourd'hui, la mixité ne semble pas encore constituer un critère orientant les investisseurs qui prêtent à notre groupe. Mais nous espérons que les ONG et les médias parviendront à montrer que la mixité rend les entreprises plus performantes, pour bénéficier encore plus des effets de nos avancées !

C.C. - Les entreprises qui s'engagent dans la diversité entendue au sens le plus large en mesurent les effets positifs, notamment en termes de performance économique. Elles entretiennent aussi de meilleures relations avec les syndicats. Je ne suis en revanche pas certaine que les investisseurs s'intéressent tous au fait que l'entreprise soit dirigée par une femme ou un homme. À nous de les convaincre que les résultats économiques peuvent être meilleurs.

L'entrepreneuriat féminin semble aussi confronté à une forme de plafond de verre. Comment le promouvoir ?

C.M. - Les femmes constituent 32% des clients entrepreneurs des Caisses d'épargne. Certes, ce taux est largement supérieur à celui affiché par nombre de nos concurrents... il n'empêche qu'il nous paraît encore inacceptablement bas. Soutenir l'entrepreneuriat féminin est en effet pour nous un enjeu non seulement éthique, mais aussi de business et de développement économique, puisque plus d'entreprises créent plus de richesse, ce qui profite aux banques et aux régions. D'autant plus que si on y arrive, on aura aussi plus de femmes dans les conseils d'administration d'autres entreprises... En 2014, les Caisses d'épargne ont donc signé un partenariat avec le ministère des Droits des femmes, nous engageant à mener un certain nombre d'actions afin de parvenir au taux de 40 % de femmes parmi nos clients entrepreneurs en 2017.

Pour atteindre cet objectif, nous avons tout d'abord tenté de comprendre les raisons du faible entrepreneuriat féminin. Une série d'études internes nous ont prouvé que si, en France, le taux de financement des projets féminins et masculins est le même (autour de 60 %), les femmes osent moins franchir la porte des banques, et vendent moins bien leurs dossiers, alors que leurs projets sont souvent plus solides et moins risqués. L'enjeu incontournable est alors celui de les encourager à passer à l'acte : des produits spécifiques, comme nos prêts à taux zéro consacrés à l'entrepreneuriat féminin, peuvent y contribuer. Nous avons aussi travaillé sur la formation de nos collaborateurs, qui ne connaissaient pas tous les nombreux dispositifs visant à soutenir l'entrepreneuriat féminin, comme le fonds de garantie à l'initiative des femmes, et contribué à l'édition d'un Guide du routard du financement d'entreprise, dont un chapitre particulier est destiné aux femmes.

Le principal obstacle à l'entrepreneuriat féminin n'est en effet pas l'envie, mais la complexité de l'accès aux aides possibles ! Ces actions aussi sont en ligne avec notre histoire : créées en 1818 pour permettre aux « exclus de la finance » d'accéder à la banque, les Caisses d'épargne comptaient déjà explicitement parmi leurs futurs clients les femmes. Elles se sont battues pour être la seule banque à ne pas respecter le code matrimonial napoléonien, en devenant ainsi la première banque vecteur de l'émancipation féminine.

Après trois ans, quel est le bilan de ce partenariat, et quelles seront vos prochaines actions ?

C.M. - Parmi nos clients entrepreneurs, le taux de femmes est passé à 37%. Les avancées sont toutefois moins lentes qu'il ne paraît : n'oublions pas que jusqu'en 1965 les femmes ne pouvaient même pas signer un chèque sans l'autorisation de leur mari ! Le gouvernement nous a d'ailleurs récemment demandé de renouveler notre partenariat. Nous comptons ainsi encore progresser dans notre programme de formations, et profiter de notre 200e anniversaire, l'année prochaine, pour mettre en avant des exemples de réussite féminine : saviez-vous que Marie Curie était l'une de nos clientes ?

Aujourd'hui, les entreprises féminines sont toutefois surtout présentes dans des secteurs spécifiques comme les services aux ménages, le social, la santé, etc. N'y voyez-vous pas un risque de ségrégation ?

C. C. - Seulement 30% des femmes au niveau mondial ont choisi des études scientifiques. Cela explique le faible nombre de femmes qui se lancent dans l'industrie. Mais aujourd'hui, les métiers d'avenir les plus créateurs de richesse et d'emplois, et souvent aussi les moins risqués et les plus socialement utiles, sont justement ceux choisis par les startups féminines ! Pourtant, au niveau mondial, l'accès à la finance reste un véritable problème pour les femmes...

Qu'attendez-vous des pouvoirs publics pour contribuer à l'accélération du mouvement vers la parité ?

C. C. - Il ne faut pas tout attendre du gouvernement pour agir. Mais les pouvoirs publics peuvent lancer des signaux forts, afin de créer un effet d'entraînement, y compris au niveau mondial où la France est toujours regardée comme la patrie des droits de l'homme... et de la femme.

Augmenter le nombre de parlementaires femmes, d'ambassadrices, arriver à égalité parmi les membres du gouvernement, des cabinets ministériels et de l'administration ferait partie de ces signaux. Le nouveau président pourrait également aller plus loin, par exemple en nommant des femmes compétentes à la tête des entreprises où l'État français a une participation, comme l'a fait, en Italie, le président du Conseil des ministres, Matteo Renzi, en nommant des femmes présidentes d'Eni, Enel, Poste italiane, Ferrovie dello Stato...

Enfin, il est aussi indispensable, pour faciliter l'entrepreneuriat féminin, de simplifier les dispositifs : les femmes les plus talentueuses et entreprenantes n'ont pas toujours le temps d'aller chercher l'information. Elles sont dans l'action, dans le résultat. Au Women's Forum, nous serons toujours aux côtés des pouvoirs publics pour accélérer le mouvement vers la parité avec tout notre engagement pour avoir un impact.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini
Photos : Marie-Amélie Journel

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(*) MINI-BIOS
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  • CHIARA CORAZZA

Ex-directrice générale de Paris-Ile-de-France capitale économique, l'organisme privé chargé de promouvoir la région auprès des investisseurs étrangers, Chiara Corazza dirige depuis janvier 2017 le Women's Forum, où elle a succédé à Jacqueline Franjou. Britannique et italienne, distinguée chevalier de la Légion d'honneur en France, celle qui a créé le Cercle des femmes du Grand Paris est également administratrice de l'Arab international women's forum, ainsi que d'April et de la RATP.

Chiara Corazza, Women's Forum, Cédric Mignon, Caisses d'épargne, diversité, mixité, parité, égalité femmes-hommes, salaires, fonctions, entreprises, HEBDO 212, interview Gamberini, photos Journel, plafond de verre, Marie-Amélie Journel / La Tribune,

  • CÉDRIC MIGNON

Nommé directeur du développement Caisses d'épargne en 2013, Cédric Mignon est aussi membre du comité exécutif du groupe BPCE. Responsable des stratégies d'offre des 16 Caisses d'épargne sur l'ensemble de leurs marchés, en 2014 il a signé un partenariat avec le ministère aux Droits des femmes visant à soutenir le développement de l'entrepreneuriat féminin, qu'il compte renouveler.

Chiara Corazza, Women's Forum, Cédric Mignon, Caisses d'épargne, diversité, mixité, parité, égalité femmes-hommes, salaires, fonctions, entreprises, HEBDO 212, interview Gamberini, photos Journel, plafond de verre, Marie-Amélie Journel / La Tribune

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Women For Future, inscription, 29 mai 2017,

Giulietta Gamberini
Commentaire 1
à écrit le 23/05/2017 à 9:44
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La femme n'a plus le droit de rester au foyer, il semblerai qu'il n'y ait plus assez d'activité dans une maison! Comme les hommes, elle est obligé de travailler sinon cela est "mal vue"!

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