Congés payés et confinement, un casse-tête pour le gouvernement

Le ministère du Travail a annoncé la prise en charge de 10 jours de congés payés à poser entre le 1er janvier et le 20 janvier 2021 pour les secteurs concernés par des fermetures administratives pendant 140 jours depuis le 1er janvier 2020 ou qui ont perdu 90% de leur chiffre d'affaires pendant la période de l'état d'urgence. Le coût estimé par le ministère du Travail s'élève à "plusieurs centaines de millions d'euros", "tout va dépendre du taux de recours" assure l'entourage d'Elisabeth Borne.
Grégoire Normand
Le dispositif passera par la voie réglementaire au mois de décembre.
Le dispositif passera par la voie réglementaire au mois de décembre. (Crédits : Reuters)

C'est un sujet hautement inflammable. Depuis le premier confinement au printemps, des millions de salariés ont continué d'accumuler des congés payés à raison de 2,5 jours par mois alors qu'ils ont traversé des périodes de chômage partiel. Pour une partie du patronat, il est hors de question de prendre en charge ce stock de congés payés qui s'accumulent alors que la décision du confinement émane du gouvernement. Du côté des salariés, beaucoup ont déjà annulé ou reporté des congés en raison des périodes de confinement et redoutent de perdre leurs droits dans ce contexte de récession.

Pour tenter de désamorcer ce dossier brûlant, le ministère du Travail a annoncé mercredi 2 décembre au soir un dispositif spécifique après avoir multiplié les réunions avec les fédérations patronales et les syndicats depuis la mi-novembre. L'Etat va prendre en charge 10 jours de congés payés entre le 1er janvier et le 20 janvier 2021. "Ils correspondent aux jours de congés payés accumulés pendant le premier et le second confinement. Ce sont les secteurs concernés par les fermetures administratives qui pourront en bénéficier. Le second critère est d'avoir une chute de 90% du chiffre d'affaires pendant l'état d'urgence sanitaire. C'est notamment le cas des hôtels qui ne sont pas forcément fermés administrativement mais qui ont été fortement touchés par les restrictions de déplacement" a assuré le ministère du Travail lors d'une réunion avec des journalistes.

Lundi dernier encore, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, accompagnée du ministre des PME, Alain Griset, avaient reçu les représentants de l'hôtellerie-restauration et des cafés dans un climat d'incertitude. Pour le gouvernement empêtré dans une triple crise (économique, sanitaire et sociale), cette question explosive risquait d'éclater rapidement avec le déconfinement et la réouverture de nombreuses activités. Si les grandes entreprises ont la possibilité de lisser les jours travaillés, les PME vont rapidement se retrouver face à un problème de disponibilité de la main d'oeuvre et peuvent avancer un manque de trésorerie.

1,5 milliard d'euros pour l'hôtellerie-restauration

Il est encore difficile à ce stade d'avoir une évaluation précise du stock de congés payés accumulés depuis la crise par l'ensemble des salariés en activité partielle. Au ministère du Travail, aucun chiffre n'a été communiqué. "C'est un vrai problème" explique François Asselin, président de la CPME interrogé par La Tribune. Dans l'hôtellerie et la restauration, la situation est particulièrement critique. Selon des calculs du GNI (Groupement national des indépendants, hôtellerie et restauration ), "ce sont pas moins de 16 millions de jours de congés payés, en attente, qui auront été cumulés par les salariés. Sur près d'un an, les congés payés coûteront un milliard et demi d'euros, alors même que les caisses sont archi-vides". Et les professionnels vont encore devoir attendre le 20 janvier pour commencer à reprendre leur activité. Au total, le confinement pour ces activités fortement affectées par cette crise pourrait durer près de 20 semaines, entre la mi-mars 2020 et la mi-janvier 2021.

Du côté des petites et moyennes entreprises, François Asselin ne cache pas ses inquiétudes. "Lorsque le chômage partiel dure un mois, cela peut passer. Lorsqu'il se prolonge, les frais pour les entreprises (loyers, factures) continuent et les dettes s'accumulent. Au delà d'un problème d'organisation, cela pose un problème financier." Le représentant patronal évoque notamment l'absence de filets de protection pour les entrepreneurs. "Dans les entreprises, le statut d'indépendant ne permet de faire face à la crise malgré le fonds de solidarité. Les indépendants vont se retrouver avec beaucoup de dettes".

Une ligne rouge à ne pas franchir pour les syndicats

La question des congés payés en période d'activité partielle fait l'objet d'un accord national interprofessionnel (ANI) signé par les partenaires sociaux en 2012. A l'époque, ce dispositif n'avait pas été pensé dans le contexte d'une montée en puissance du chômage partiel. Pour les différentes organisations syndicales interrogées par La Tribune, la question des congés payés est une ligne rouge à ne pas franchir. Pour Patrick Ertz, président de la fédération CFTC des commerces, services et forces de Vente, "ce sont principalement les salariés des cafés et restaurants en chômage partiel pendant les périodes de confinement qui sont concernés. Ce chômage partiel continue de générer des congés payés. Cela pose problème aux employeurs mais les salariés n'ont pas demandé à être en chômage partiel." Même son de cloche chez Force ouvrière. "C'est principalement le secteur du HCR (hôtellerie, cafés et restaurant) qui porte le sujet depuis un petit mois," explique le secrétaire confédéral Michel Beaugas. "Il n'est pas question de toucher aux congés payés. C'est une fin de non recevoir. Il est hors de question de renégocier l'accord de 2012" ajoute-t-il.

Au printemps, le gouvernement avait déjà fait passer une série d'ordonnances pour assouplir temporairement le code du travail. "Les employeurs ont déjà toutes les marges de manoeuvre pour imposer la prise de congés. L'ordonnance permet d'imposer six jours. Avec ces six jours, cela ne fait plus que quatre semaines qui pourront être prises. Les salariés ont leurs salaires à 84% et les entreprises sont remboursées à 100%. Je ne vois pas pourquoi les salariés devraient perdre des congés dans cette période exceptionnelle" explique le représentant.

La question du niveau des salaires dans les secteurs les plus frappés par la crise revient régulièrement dans la bouche des syndicats. "Notre principal but est que le salarié ne soit pas le grand oublié ou la victime. Au vu des salaires versés dans la restauration, il ne faut pas que les employés paient une facture encore plus importante" affirme Patrick Ertz. De son côté, François Asselin assure "qu'il ne s'agit pas d'aller voler les droits des salariés. Ils n'ont pas demandé à être en chômage partiel. A l'époque de l'accord national de 2012, les PME n'avaient pas recours au chômage partiel. Il serait malvenu de dénoncer l'accord national de 2012 dans la période actuelle." En attendant, le geste annoncé par le gouvernement devrait permettre de faire retomber la pression pendant quelques semaines si le déconfinement se passe bien.

Grégoire Normand
Commentaires 3
à écrit le 03/12/2020 à 21:23
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Qu'ils nous laissent enfin tranquilles, leur sollicitude nous étouffe : des amis qui nous veulent tellement de bien, forcément, il faut s'en prémunir...

à écrit le 03/12/2020 à 11:07
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Ma boulangerie a fermée une semaine il y a deux mois suite à un cas de covid.Les salariés ont été en chômage partiel pendant cette période du moins ils le pensaient ,mais la patronne a reçu un courrier du gouvernement ce lundi. Les trois salariés dev...

à écrit le 03/12/2020 à 8:46
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Non mais qu'est-ce qui n'est pas un casse tête pour notre gouvernement !? "Tout est bruit pour celui qui a peur" Sophocle

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