Emmanuel Macron attendu au tournant

POLITISCOPE. Avec le nouveau gouvernement Castex annoncé ce lundi 6 juillet, Emmanuel Macron entame la dernière ligne droite de son quinquennat avant l'échéance de 2022. Le président ne dispose ainsi plus que de vingt-deux mois pour inverser la tendance post-Covid. Ayant fait face à de nombreuses crises depuis le début de son mandat, l'homme qui avait été le candidat de la rupture et de l'espérance doit désormais se réinventer. Une prise de risque qui n'est pas forcément pour lui déplaire.
Marc Endeweld
(Crédits : POOL)

C'était une autre époque. Celle où Emmanuel Macron qui n'avait pas encore 40 ans arborait encore un visage poupin. Une période presque insouciante, malgré le poids de ses nouvelles responsabilités : en octobre 2017, le plus jeune président de la Ve République confiait à l'écrivain Emmanuel Carrère :

« Je suis fait pour diriger dans les tempêtes et pas par temps calme comme mon prédécesseur. »

Tout souriait alors à Emmanuel Macron. Le jeune président avait la certitude d'avoir un destin à la hauteur des plus grands hommes de notre histoire. Les journaux étrangers ne tarissaient pas d'éloges. Multipliant les coups d'éclat à l'international, le novice en diplomatie semblait discuter d'égal à égal avec Vladimir Poutine à Versailles ou avec Donald Trump, lors d'un dîner à la tour Eiffel.

« France is back », déclamait-il à la moindre occasion.

Et même le très sévère The Economist désignait la France comme le pays de l'année. Une vraie révolution.

Macron mobilisait alors toutes ses forces pour établir un « dialogue stratégique avec l'Allemagne », comme il l'avait écrit dans son livre de campagne intitulé justement Révolution. Avec l'Europe comme mantra, il tentait de marquer les esprits. On se souvient de ses discours de la Sorbonne et d'Athènes...

"Jupiter" est tombé de son piédestal

Presque trois ans après, le décor a pourtant changé du tout au tout. Malgré le Brexit, la France apparaît de plus en plus isolée en Europe comme sur la scène internationale. Sur le plan intérieur, Emmanuel Macron a dû faire face à de multiples crises. L'heure n'est plus aux fanfaronnades.

Suite au mouvement des « gilets jaunes », ce président à la pratique du pouvoir si verticale a dû descendre de son piédestal. Pour reprendre le dialogue avec les Français, Jupiter lance un « Grand Débat ». En coulisses pourtant, le charme est rompu.

Dans les dîners en ville, l'establishment parisien ne tait plus ses déceptions et ses critiques à l'égard de celui qui voulait dynamiter la vie politique française. Dans les milieux économiques, certains de ses plus fervents soutiens commencent à douter.

Si les élections européennes lui ont permis de reprendre son souffle, de retrouver des marges de manoeuvre, le président a dû également composer avec le principe de réalité au niveau de ses administrations. Lui qui qualifia les fonctionnaires, puis le Quai d'Orsay, « d'État profond », coupable, selon lui, de contrecarrer certains de ses choix stratégiques, semble de plus en plus enlisé dans les inerties bureaucratiques.

La crise sanitaire du Covid-19 a fini par porter un coup fatal à son image d'homme capable, à lui seul, de renverser la table. Cruauté ultime de la situation : c'est Édouard Philippe, son subordonné, qui a fini par recueillir les fruits de son travail et de son abnégation.

Les Français accordent davantage leur confiance son ex-Premier ministre, cet homme du Havre, malgré ses erreurs. Et ce, alors que ce conseiller d'État est l'incarnation même du technocrate, pétri de certitudes, comme Alain Juppé en son temps. Ces « technos », que les plus proches conseillers du président, comme ses visiteurs du soir, aiment fustiger à longueur de off auprès des journalistes comme pour mieux évacuer tout sentiment d'impuissance au plus haut niveau de l'État.

Une synthèse de Rocard et de Chevènement

Arrive-t-il au président Macron de se retourner sur son passé, comme pour mieux retrouver la fougue de ses débuts en politique ? S'il se relit, il pourrait avoir des surprises.

En 2011, ce lettré écrivait ainsi un article dans la revue Esprit, au titre étrange - « Les labyrinthes du politique. Que peut-on attendre pour 2012 et après ? » - mais au contenu étonnamment annonciateur :

« On ne peut ni ne doit attendre d'un homme et 2012 n'apportera pas plus qu'auparavant le démiurge. Loin du pouvoir charismatique et de la crispation césariste de la rencontre entre un homme et son peuple, ce sont les éléments de reconstruction de la responsabilité et de l'action politique qui pourraient être utilement rebâtis. »

Cette analyse pourrait passer aujourd'hui pour une autocritique de son propre rapport au pouvoir depuis 2017.

Les exégètes du macronisme et les conseillers présidentiels ne cessent d'annoncer un tournant du quinquennat. Emmanuel Macron lui-même a soufflé l'idée d'un « nouveau chemin ». Les promesses ont pourtant déjà été nombreuses : après le tournant social, le tournant écolo, voici le tournant républicain. Croire qu'il n'était pas républicain, c'est pourtant mal connaître Macron.

En réalité, ce caméléon de la politique a toujours été Chevènement et Rocard à la fois, comme pour mieux s'en approprier les mérites, et proposer une synthèse originale :

« Autant la deuxième gauche m'a inspiré sur le social, autant je considère que son rapport à l'État reste très complexé, nous confiait-il à l'été 2015. Je me suis toujours interrogé sur le rôle de l'État, et c'est pour cette raison que je me tourne, plus jeune, vers Jean-Pierre Chevènement. (...) On ne peut pas s'affranchir d'une réflexion sur l'État à l'heure de la globalisation. »

Justement, en pleine crise du Covid-19, Emmanuel Macron s'est mis à parler de « souveraineté économique ». Dès 2019, il osait promouvoir dans The Economist « l'autonomie stratégique » que l'Europe devait s'assurer face aux États-Unis et à la Chine.

Aujourd'hui, il évoque également « une nouvelle donne territoriale » et un éventuel big bang dans l'organisation de l'État. Reste que le plus grand défi à relever pour Emmanuel Macron est de retrouver « la vague » qui l'a porté au pouvoir en 2017.

En plein déconfinement, remettre en mouvement la société n'est pas chose aisée, surtout dans l'optique d'en tirer des fruits politiques. Il est loin le temps où Emmanuel Macron, alors jeune ministre, confiait ses espérances devant les Gracques, ce club de hauts fonctionnaires de droite et de gauche.

Une semaine après les terribles attentats du 13 novembre 2015, il affichait sa volonté de transformer la société pour permettre plus de « mobilité sociale », pointant « la responsabilité des élites », lesquelles devraient « accepter de laisser la place à d'autres, de passer le relais, de laisser les plus jeunes, les plus en difficulté parfois, dire et faire, changer cette société en l'ouvrant ». Ce message à la jeunesse, cette proposition d'avenir, est sûrement ce qui a fait le plus  défaut au macronisme depuis son arrivée au pouvoir.

Il y a quelques mois, le député LREM Bruno Bonnell, ancien patron d'Infogrames, nous avait d'ailleurs rapporté cette anecdote révélatrice :

« Lors d'une rencontre avec Emmanuel Macron, je lui avais demandé s'il se  reconnaissait plutôt dans 1830 ou 1848. »

À l'époque, le futur chef de l'État ne lui avait pas répondu.

Emmanuel Macron sera-t-il au final un Louis-Philippe qui donne le pouvoir à Guizot et aux technocrates, ou sera-t-il un Louis-Napoléon Bonaparte qui transforme la France avec les entrepreneurs ?

Celui qui s'était autoproclamé « maître des horloges » dispose-t-il encore de temps pour répondre à cette question ? Car vingt-deux mois en politique, c'est très court.

« Le temps politique vit dans la préparation de ce spasme présidentiel autour duquel tout se contracte et lors duquel tous les problèmes doivent trouver une réponse. »

Ces propos qui datent de 2011 sont ceux de l'actuel président. S'il veut continuer à lier son destin à la France, l'ancien élève du lycée de La Providence, à Amiens, va devoir en tout cas résoudre cette difficile équation.

Marc Endeweld
Commentaires 3
à écrit le 07/07/2020 à 6:32
Signaler
France backward plutot.

à écrit le 06/07/2020 à 18:07
Signaler
Au final son véritable premier échec n'a t’il pas été justement d'instaurer un dialogue avec l'Allemagne ? Dès le début on avait l'impression que c'était très important pour lui ayant certainement fondé une bonne partie de sa stratégie là dessus alor...

à écrit le 06/07/2020 à 16:50
Signaler
Emmanuel Macron prépare sa réélection en ratissant large. Il n'a pas fini d'arroser avec l'argent des français se fichant pas mal de la dette et du chômage de masse.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.