Muriel Pénicaud, Business France : "L'esprit critique des Français est reconnu par les investisseurs étrangers"

Dans un entretien accordé à "La Tribune", Muriel Pénicaud, la directrice générale de Business France, commente le tableau de bord de l'attractivité 2015. Les atouts de la France restent intacts, malgré les conflits sociaux et les menaces terroristes. Elle ébauche des pistes pour relancer l'export.
Fabien Piliu
" On dépeint souvent les Français comme des esprits critiques qui passent leur temps à remettre l'ordre établi en question. Dans le domaine de la recherche, de l'innovation, c'est une qualité « disruptive » que les investisseurs reconnaissent ", explique Muriel Pénicaud..

LA TRIBUNE - Quels sont les principaux enseignements de ce nouveau millésime ?

MURIEL PENICAUD - La France reste un pays éminemment attractif. Elle est toujours la première destination des investissements directs étrangers en Europe dans le domaine industriel.

Dans ce contexte, les flux d'IDE [investissements directs à l'étranger] et le nombre d'emplois créés ou maintenus progressent-ils ?

Il est encore un peu tôt pour le dire. Dans notre bilan annuel, nous ne comptabilisons que les projets effectivement signés. Nous ne tenons pas compte des promesses, des déclarations d'intention. Il faut attendre le mois de mars prochain pour avoir une idée précise à ce sujet. En attendant, rien n'indique que les flux d'investissements directs étrangers ne devraient pas au moins se maintenir au niveau observé ces dernières années. J'ajoute que beaucoup de dossiers se finalisent en fin d'année.

Des projets d'envergure, comparables à l'implantation de Toyota à Valenciennes, sont-ils dans les cartons ?

Il y a un certain nombre de projets dits « greenfields » dans les tuyaux, mais ils ne sont pas aussi importants. La tendance dans toute l'Europe est à l'investissement dans la durée, mais par étape.

Quels sont les atouts du site France ?

Ils sont connus et restent plébiscités par les entreprises qui ont déjà investi en France. Citons la qualité du système éducatif, notamment des écoles de commerce et d'ingénieurs, la productivité du travail, la recherche publique et privée, la qualité des infrastructures et de transport, le faible coût de l'électricité, ainsi que le déploiement rapide du haut débit. Son positionnement géographique est également une force. Un certain nombre d'entreprises étrangères ont fait le choix de la France car elle est au centre de l'Europe, mais aussi parce qu'elle est un tremplin vers le continent africain. Faut-il rappeler qu'un tiers des exportations tricolores sont le fait de filiales françaises d'entreprises étrangères ? C'est parce que la France est une plate-forme d'échanges intercontinentale que des entreprises comme Ajinomoto, Fedex, Rio Tinto ou China Exim ont récemment fait le choix de s'installer chez nous

Quelle Afrique ?

Toute l'Afrique ! La qualité de notre réseau diplomatique, les relations commerciales tissées par la France avec les pays francophones et également anglophones sont un atout.

Les acteurs de la French tech brillent. La France est-elle également reconnue pour sa capacité à innover ?

C'est l'autre enseignement majeur de ce tableau de bord. On dépeint souvent les Français comme des esprits critiques qui passent leur temps à remettre l'ordre établi en question. Dans le domaine de la recherche, de l'innovation, c'est une qualité « disruptive » que les investisseurs reconnaissent. Cet esprit critique est reconnu ! C'est la raison pour laquelle un certain nombre d'entre eux, parmi lesquels Cisco, SAP ou encore Facebook, Intel et Microsoft qui ont récemment décidé d'amplifier leurs investissements en France. Si l'on a vu un certain nombre de sièges sociaux déserter, on a également pu observer l'arrivée de nombreux centres de recherche et de développement dans nos territoires.

Le crédit impôt recherche est-il un atout ?

Indéniablement. Ce dispositif, un des meilleurs du monde, a permis de conserver des unités de recherche en France et d'en aimanter de nouvelles.

Pourtant, il est souvent remis en question par le Parlement.

C'est un fait. Nous rassurons régulièrement les investisseurs sur ce point en rappelant que François Hollande a sanctuarisé ce dispositif.

Les images chocs du conflit social à Air France ont-elles dégradé l'image de la France au point de faire capoter des projets d'investissements ?

Non. Investir dans un pays étranger quel qu'il soit, s'inscrit dans une stratégie de long terme, dont l'horizon s'étale sur au moins quinze-vingt ans. Ceci étant dit, nous avons eu 24 heures compliquées à gérer après la diffusion d'images dont l'impact a été différent selon les publics. Les entreprises déjà implantées en France comprennent que cet incident isolé n'est pas représentatif des relations sociales en France. En revanche, les entreprises qui ne sont pas encore implantées chez nous peuvent s'interroger. Lorsqu'un évènement, même ponctuel correspond à un cliché, le travail de conviction est plus important. Dans les faits, les conflits sociaux ont beaucoup diminué en France depuis plusieurs années et ils sont rares.

Les attentats à Paris et à Saint Denis peuvent-ils également être un repoussoir ?

Je ne le crois pas. Le monde entier est concerné par la menace terroriste. Les messages de sympathie ont été innombrables aussi de la part des investisseurs étrangers et les projets d'investissements se poursuivent.

Comment procédez-vous concrètement pour attirer les IDE ?

Les investisseurs étrangers qui sont déjà implantés sur notre sol réinvestissent et se développent. Les bureaux de Business France à l'étranger sont également à pied d'œuvre. Ils prospectent 1.200 dossiers par an et près de 500 projets aboutissent, soit la moitié du bilan France.

Les réformes, notamment celles permettant de réduire le coût du travail, sont-elles déterminantes dans le choix de la France par les investisseurs ?

Les effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) sont visibles depuis début 2015 [3,3% de réduction du coût du travail mesuré par l'INSEE pour l'année]. Les investisseurs étrangers sont sensibles au fait que le coût du travail dans l'industrie est désormais plus faible en France qu'en Allemagne.

Vous avez évoqué la capacité de la France à innover. Pourtant, la balance commerciale est dans le rouge depuis 2003.

Le déficit de la balance commerciale est réel. La situation s'est améliorée en 2015, néanmoins trop peu d'entreprises encore inscrivent l'export au cœur de leur stratégie. Seules 10.000 PME font 95% de l'export. Comment expliquer qu'environ 2.000 entreprises seulement aient recours au volontariat international en entreprises qui est un dispositif génial pour l'entreprise comme pour les jeunes, un joyau pour débuter à l'export ? Mais je crois que la principale raison de cette situation est la faiblesse structurelle de nos entreprises. Elles ne sont pas assez puissantes pour aller à la conquête du monde. Quand la France recense 4.900 ETI, l'Italie et l'Allemagne en comptent respectivement 8.000 et 12.000. C'est dans ce domaine que des solutions doivent être apportées, avec le soutien de l'ensemble des acteurs privés et publics.

Fabien Piliu
Commentaire 1
à écrit le 27/11/2015 à 10:58
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Pas de chance: le jour où la Tribune publie un article annonçant haut et fort que la "France reste un pays éminemment attractif", le journal Les Echos en publie un sur le même thème mais disant le contraire: "Les firmes américaines jugent encore dure...

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